mardi 15 décembre 2015

Le français d’Usito / 4


L’Infolettre Usito de décembre 2015 contient une page intitulée « Une langue de neige ». On y lit :


La consistance de la neige varie en fonction de la température et de l’humidité, selon qu’elle soit tombée récemment ou non.

Usito, qui dit collaborer avec l’Office québécois de la langue française, devrait consulter plus fréquemment la Banque de dépannage linguistique. Les rédacteurs d’Usito y apprendraient que « selon que se construit toujours avec un verbe au mode indicatif. »


La fluctuation de ces facteurs font que la neige peut être collante, compacte, etc.

La fluctuation … font : l’accord doit se faire au singulier.


Dans la page « La Sainte-Flanelle est dans le dictionnaire » de la même infolettre, cet extrait :

[…] la flanelle étant ce tissu de laine léger dont auraient été faits les premiers chandails portés par les joueurs des Canadiens.

Dans la définition d’un terme, il est d’usage en français de recourir à l’article, non à l’adjectif démonstratif : le tissu de laine, non ce tissu de laine. En pareil cas, le démonstratif est un calque de l’anglais. J’ai déjà mentionné ce point dans un billet.

  
Après tous mes billets critiques, on peut dire que le français d’Usito est châtié.

lundi 14 décembre 2015

Bas de plafond


Je viens de tomber sur une page du site de RTL où j’ai lui ce qui suit :

"Plafond de verre". Depuis les élections régionales de 2015, l'expression est quasiment devenue un dicton. Il faut dire que l'image est frappante : le plafond de verre du Front national, c'est cette barrière invisible à laquelle le parti se heurte et qui l'empêche de passer le second tour des élections pour accéder au pouvoir.

L'expression, employée par la plupart des commentateurs politiques, ne date pourtant pas d'hier. Elle est utilisée pour la première fois en 1984, aux États-Unis. À cette époque, le "plafond de verre" (glass ceiling) ne désignait pas un parti politique... mais la carrière des femmes dans les grandes entreprises américaines. "Les femmes ont atteint un certain point que j'appelle plafond de verre. Elles accèdent aux fonctions de management intermédiaire mais s'arrêtent là", écrivait à l'époque Gay Bryant, rédactrice en chef du magazine Adweek

Dans les années 2000, l'expression traverse l'Atlantique. Elle est alors appliquée aux femmes politiques françaises comme Arlette Laguiller, Ségolène Royal, Éva Joly ou encore Marine Le Pen, pour exprimer le fait qu'aucune d'entre elles ne parvient jamais à accéder aux fonctions de commandement.

L’expression « plafond de verre » est aussi utilisée au Québec : l’ancienne ministre des finances, Monique Jérôme-Forget, a publié en 2012 Les Femmes au secours de l'économie : pour en finir avec le plafond de verre (Montréal, Stanké).



Mais le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’a pas enregistré « plafond de verre ». Tout au plus trouvons-nous une fiche « glass ceiling », produite par Angelo Cagnacci Schwicker (?) en 1972, qui donne comme équivalent français « plafond vitré » dans le domaine du bâtiment, mais rien dans le domaine de la sociologie du travail.


Encore une fois, la banque de données Termium du gouvernement fédéral est plus à jour :

Pour le Bureau international du travail, « le plafond de verre constitue les barrières invisibles artificielles, créées par des préjugés comportementaux et organisationnels, qui empêchent les femmes d'accéder aux plus hautes responsabilités » [...] Cette expression a été étendue à d'autres catégories victimes de discrimination.


Le GDT, qui a la prétention d’orienter l’usage, n’est même pas capable de le suivre et de l’enregistrer.


vendredi 11 décembre 2015

Le français d’Usito / 3


Qu’en termes abscons et erronés ces choses-là sont dites !


L’Infolettre Usito de décembre 2015 contient une page intitulée « L’accord ou non de certains compléments du nom » à partir de deux exemples, étude d’impact et offre de service. Doit-on écrire étude d’impact ou d’impacts, offre de service ou de services ? En fait, la chronique porte sur le nombre du complément déterminatif, non sur son accord.


L’infolettre recopie les entrées étude d’impact et offre de service du dictionnaire Usito, d’où j’extrais les remarques suivantes :

En principe, impact reste au singulier, comme entité abstraite, dans ce nom composé. Dans un autre sens, et distinct du nom composé, il peut par ailleurs s’accorder (les différentes études d’impacts économiques et sociaux).
En principe, service reste au singulier, comme entité abstraite, dans ce nom composé. Dans un autre sens, et distinct du nom composé, il peut par ailleurs s’accorder (diversifier son offre de services).


Ce qui se conçoit clairement s’énonce aisément. On voit tout de suite que le rédacteur n’a rien compris au problème qu’on lui a soumis. Il ne s’agit nullement de savoir si l’on doit faire un accord car il faudrait se demander alors avec quoi il faut faire accorder ce complément déterminatif. Il s’agit plutôt et plus simplement de savoir quel nombre ce complément doit avoir.


Le québécois standard illustré par l’exemple / 17


L’animateur de la treizième heure


À Midi Info sur ICI Radio-Canada Première, Michel C. Auger, quelques secondes avant 13 h, a l'habitude de dire que son émission se poursuivra « de l'autre côté de l'heure » (c'est-à-dire après les infos de 13 h). Curieusement, Google ne me donne qu'une seule attestation de cette expression pourtant utilisée quotidiennement à Radio-Canada.


Plus imaginative, ou plus coquine, Marie-Louise Arseneault de l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, un peu avant 14 h, annonce que son émission se poursuivra « de l'autre côté de nous ».


Dans les médias anglophones, on a l'habitude de dire « at the top of the hour » ou « at the bottom of the hour ». Sur Internet, on ne trouve guère que ces attestations de l’expression « on the other side of the hour » :

KERRY CASSIDY (KC): This is Kerry Cassidy, Project Camelot Whistleblower Radio, and hopefully we will be on the air tonight with Michael Tellinger. [...]
KC: Okay. I’m sorry to interrupt you here... we’re about to go to break. We’ll be right back on the other side of this hour, and this is Michael Tellinger on Project Camelot Radio.

Okay, we're continuing on the other side of the hour, we're going to break right now, and thank you so much, Michael Tellinger, we'll be right back. (Source: Whistleblower Radio, 14 janvier 2010)

L’expression « de l’autre côté de l’heure » est fort vraisemblablement un calque de l’anglais. Faut-il dans ces conditions s’étonner qu’elle semble avoir échappé à l’attention de nos lexicographes ?


mercredi 9 décembre 2015

Le français d’Usito / 2


La dernière livraison de l’Infolettre Usito me fournit une nouvelle fois la matière d’un billet.

Dans sa promotion du temps des fêtes, l’équipe d’Usito offre son dictionnaire au prix réduit de 19,99 $ (toujours cette influence américaine : pourquoi pas un chiffre rond, 20 $ ?). On ajoute que « ce tarif est applicable pour un nouvel abonnement, un renouvellement ou un cadeau. » Applicable pour : on entend habituellement applicable à ou sur. Il y a visiblement télescopage avec l’expression valable pour. De plus, le Dictionnaire québécois-français de Lionel Meney nous apprend qu’un rabais applicable à ou sur est une expression calquée de l’anglais. En français standard on dit plutôt : à faire valoir sur ou valable pour.

Écrire à la manière d’Usito, c’est contribuer à créer une nouvelle langue latine à substrat anglais, le « français standard en usage au Québec ».

Si vous voulez offrir un dictionnaire en cadeau à l’occasion des fêtes de fin d’année, choisissez donc plutôt le Petit Larousse, le Petit Robert, le Multidictionnaire ou le Meney.

Voir aussi mon billet du 27 mai 2015


mardi 8 décembre 2015

Un match dans un(e) aréna


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’aime pas tellement le mot match. Tout au plus l’admet-il « dans certains contextes » dans deux fiches, l’une rédigée en 2013, l’autre en 2014.


Les deux fiches, qui privilégient l’emploi de partie plutôt que de match, ont la particularité de ne pas présenter exactement la même définition :

Compétition sportive entre deux joueurs ou deux équipes de deux joueurs, constituée d'un nombre déterminé de manches à remporter (2013).

Compétition, le plus souvent de nature sportive, qui se déroule selon des règles précises, habituellement entre deux concurrents ou deux équipes, et qui est mesurée par un nombre de coups à jouer, de points à obtenir pour l'emporter (2014).


Pourquoi n’avoir pas fait une seule fiche en uniformisant la définition ?


La fiche de 2013 contient une note bizarre : « Une partie est divisée en manches, en jeux et en points. » Une partie divisée en points ? Étonnant, n’est-ce pas ?

Mais plus étonnante encore est la remarque suivante : « L'emprunt à l'anglais match est attesté dans les sports depuis le XIXe siècle. » Soyons plus précis que le GDT qui aime bien laisser des zones d’ombre quand cela fait son affaire : depuis 1819 selon le Trésor de la langue française informatisé (TLFi). Soit depuis près de deux siècles.

Les utilisateurs du GDT savent que la cohérence est loin d’être la qualité principale de l’ouvrage. Ainsi le GDT admet-il le mot score entré plus tardivement en français (1896). Il admet aussi aréna au prétexte qu’il est « un emprunt ancien à l’anglais ». Pourtant le Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) date de 1898 son apparition. Et il est particulièrement intéressant de relire les premières attestations de ce mot :

L'Arena, une construction spécialement consacrée aux joueurs de hockey, est l'un des plus beaux édifices du genre (La Presse, 1898).

Quinze cents personnes se sont rendues à l'Arena, samedi, ce qui semble indiquer clairement que la vogue du jeu de hockey est plus que jamais croissante (La Patrie, 1900).

Les clubs Victoria et Mc Gill sont sortis victorieux des deux parties de la ligue intermédiaire jouées hier après-midi, à l'Arena (Les Débats, 1903).

[...] le leader du mouvement nationaliste dans le Québec, M. Henri Bourassa [...] avait loué l'«Arena» pour y faire une manifestation en l'honneur du Sacré-Cœur [...] (Le Devoir, 1910).


Première constatation : dans ses plus anciennes attestations, le mot est écrit sans accent aigu, avec une majuscule et, dans un cas, avec des guillemets. Preuve de son origine anglaise (ou peut-être à l’époque lui prête-t-on une origine latine).


Seconde constatation : le mot n’est pas accompagné d’un complément déterminatif (ce n’est pas l’aréna Maurice-Richard ou l’aréna du centre-ville), on le considère comme un nom propre, avec une majuscule. Tout comme plus tard le Forum (à Montréal) et le Colisée (à Québec).


Bref, l’utilisation d’aréna comme nom commun générique pour désigner des patinoires couvertes est plus récente, de 1913 au plus tôt à en juger par la documentation du TLFQ.


Aréna, vieux d’à peine un siècle en français québécois, est accepté par le GDT alors que match, entré en français depuis deux siècles, est considéré avec suspicion. Allez chercher la logique là-dedans.


Le mot aréna, au féminin, commence à s’introduire en français européen pour désigner un stade couvert multifonctionnel. Mais il ne s’agit pas encore d’un nom générique courant. Exactement le même phénomène qu’en français québécois à la fin du xixe siècle.


lundi 7 décembre 2015

La logique du Grand Dictionnaire terminologique


Le gouvernement québécois vient de présenter un projet de loi sur la réforme des commissions scolaires. C’est pour nous l’occasion de reparler de la fiche commission scolaire du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Elle contient toujours cette perle :


Même si la désignation commission est moins bien adaptée à la réalité actuelle, le terme commission scolaire est, au Québec, fortement lexicalisé. En effet, le sens de chacun des termes cède le pas au signifié unique.

Pour certains terminologues de l’Office, apparemment peu portés sur la logique, le terme commission scolaire serait donc composé de deux termes…


J’avais déjà analysé la fiche commission scolaire dans le billet « Faire de la terminologie à Babel » publié le 11 juin 2014. La fiche n’a toujours pas été corrigée.


vendredi 13 novembre 2015

Quand l’anglicisation fait bon ménage avec la novlangue


Ce matin dans Le Devoir, texte  très intéressant du président-fondateur de l’Association pour le soutien et l’usage de la langue française (Asulf), le juge à la retraite Robert Auclair :

À bien y penser, qu’est-ce que l’appellation étrange « clause orphelin » peut bien vouloir dire à un francophone ? La réponse est claire : rien ! Pour le savoir, mieux vaut pour lui s’informer de l’appellation employée par les anglophones dans ce cas. Il apprendra qu’ils parlent d’une orphan clause. S’il consulte ensuite un dictionnaire anglais, il va découvrir que le mot « orphan », au figuré, se dit d’une personne ou d’une chose privée d’un avantage ou d’une protection, contrairement au mot français « orphelin », qui n’a nullement ce sens. Voilà la source de l’anglicisme.

La clause en question dans une convention collective prévoit habituellement un salaire différent en fonction de la date d’embauchage d’un salarié. Ainsi, un nouveau salarié touche un salaire inférieur à celui qui est établi pour un emploi donné. Il en résulte une différence de traitement entre salariés pour un même emploi, soit une disparité. Quoi de plus normal alors que de parler d’une « clause de disparité de traitement » ?

Dans le contexte des négociations pour le renouvellement des conventions collectives, on comprend pourquoi le gouvernement ne veut pas appeler un chat un chat et qu’il préfère utiliser la langue de bois, ou la novlangue façon Orwell, pour occulter une mesure discriminatoire à l’égard des jeunes.


jeudi 12 novembre 2015

Peut encore s’améliorer !


Dans mon billet du 1er mai 2014, « Plus fort que Malherbe et Vaugelas ! », je critiquais une formule utilisée par l’équipe d’Usito pour faire la réclame de son dictionnaire :

Usito est bonifié continuellement par l'usage ainsi que par les commentaires et requêtes de ses utilisateurs.
Infolettre Usito, avril 2014

J’ajoutais : Malherbe et Vaugelas, qui ont cherché à définir le bon usage, n’auraient jamais pu concevoir un dictionnaire « bonifié continuellement par l’usage ». Tant il est vrai qu’on n’arrête pas le progrès. J’imagine que les auteurs de la phrase que je cite, s’ils avaient su écrire, l’auraient formulée à peu près comme suit : notre dictionnaire est constamment amélioré grâce aux commentaires de ses usagers.

Mon commentaire ne semble pas avoir été inutile. Dans la dernière Infolettre (11 novembre), le dictionnaire est désormais présenté comme « un outil de référence vivant, continuellement enrichi par l’actualité et par les besoins exprimés par ses usagers. » Bonifié a été remplacé par enrichi, ce qui est déjà un progrès. Mais je tique sur le complément d’agent : comment peut-on enrichir un outil par des besoins ?


mardi 3 novembre 2015

Les mots qui nous différencient


Ces dernières années, le débat sur la norme du français a été particulièrement vif au Québec et s'est déroulé avec comme toile de fond l'entreprise de produire un dictionnaire national normatif du québécois. Dans ce contexte, il est important de faire le point sur les mots utilisés dans le registre soutenu et qui nous différencient vraiment des autres francophones pour rompre avec la démagogie des aménageux. Selon Marie-Éva de Villers, qui n'étudie que la langue journalistique, 85 % des mots employés seraient les mêmes qu'en France – évaluation qui, déjà, relativise les différences.

Il est simplificateur et dangereusement réducteur de classer les québécismes (les mots ou sens propres au Québec) dans les trois catégories suivantes : les archaïsmes, c'est-à-dire les mots vieillis dans le reste de la Francophonie mais vivaces au Québec ; les créations québécoises et les anglicismes.

Essayons d'y voir plus clair. Et précisons que la typologie que je propose, puisqu’elle a pour objet de rendre compte du registre soutenu, omet les mots familiers et vulgaires.

Il y a d'abord une première catégorie de mots qui n'ont de québécois que l'apparence. Ce sont en fait des mots du français universel qui désignent des réalités (souvent botaniques ou fauniques) qui n'existent principalement qu'au Québec : pimbina n'est pas plus un québécisme que boabab n'est un africanisme. Ce sont des mots du français général nécessaires pour parler de réalités propres à des régions particulières. Il ne viendrait à personne l'idée de classer isba et datcha comme russismes, yourte comme mongolisme, iglou comme inuktitisme : ce sont tous là des mots pour désigner des habitations dans des contextes particuliers. On aura compris que c’est dans cette catégorie que se trouvent principalement les mots, peu nombreux, empruntés aux langues amérindiennes (carcajou, babiche, etc.): ce sont des mots disponibles dans le français universel.

Une deuxième catégorie de mots est constituée par ce qu'un linguiste belge a appelé des statalismes, c'est-à-dire des mots propres aux réalités administratives des divers territoires : ainsi, au Québec il y a des cégeps et en France des lycées. Un Français voulant parler du système scolaire du Québec devra utiliser le mot cégep tout comme un Québécois parlant du système scolaire français n'aura d'autre choix que de recourir au mot lycée. Et si l'on doit écrire sur l'Université d'Antananarivo, on utilisera le mot cathédrale pour désigner un bâtiment qui sert d'amphithéâtre et qui est caractérisé par de larges ouvertures dans les murs pour permettre la circulation de l'air, type de bâtiment évidemment inimaginable dans les universités du Nord mais tout à fait adapté au climat tropical. Parmi les statalismes propres au Québec, on peut encore citer carte-soleil ou sous-ministre, sans oublier de nombreux sigles, acronymes ou gentilés (noms désignant les habitants d’un lieu). Ce sont ces mots que les aménageux citent volontiers pour appuyer l’existence d’une langue québécoise standard autonome. Mais à ce compte, il y aurait autant de français qu’il y a non seulement de pays mais de régions administratives francophones. Et c’est ce qu’a fait le Conseil supérieur de la langue française en parlant de français acadien standard, de français ontarien standard (dans son bulletin de juin 2007). C’est pourtant donner beaucoup d’importance à quelques centaines de mots – peut-être deux mille dans le cas du Québec – qui peuvent facilement être réunis dans un dictionnaire de particularismes.

Parmi les statalismes figurent un certain nombre d’emprunts à l’anglais : coroner, whip, etc. Toutefois, même si beaucoup d’anglicismes du domaine judiciaire et parlementaire ont progressivement été remplacés (qu’on songe à l’Orateur, maintenant appelé le président de l’Assemblée), on peut se demander si le mouvement ne devrait pas se poursuivre : c’est ainsi que caucus, même s’il est entériné par une longue tradition (comme l’était Orateur, d’ailleurs), pourrait être remplacé par groupe parlementaire. Le statut normatif de certains statalismes pourrait donc évoluer.

Les deux premières catégories se ressemblent en ce qu’elles sont constituées de mots relatifs à des faits de société ou de culture propres au Québec.

Dans une troisième catégorie, il y a des mots créés au Québec pour combler des lacunes de vocabulaire communes à tous les francophones : par exemple, courriel et baladodiffusion. Ces cas doivent être rangés à part parce ces créations québécoises ont vocation à devenir des internationalismes – des mots qui sont mis à la disposition de tous les francophones du monde. D'ailleurs, courriel se répand, sûrement quoique lentement, dans les autres pays francophones.

Une quatrième catégorie est constituée de mots encore courants au Québec mais considérés comme des mots ou vieillis ou archaïques ou dialectaux en France (bas pour désigner une chaussette). On peut aussi mettre dans cette catégorie des innovations québécoises qui doublent des mots utilisés ailleurs dans la Francophonie (par exemple, vivoir, aujourd'hui vieilli, pour séjour ou crémage pour glaçage). C’est dans cette catégorie que nous trouvons l’immense majorité des québécismes qui font double emploi avec les mots aujourd’hui standard ailleurs dans le monde francophone. La vitalité de ces québécismes est liée à la question de la modernisation de la langue (voir le billet intitulé « Le marteau de Fishman »). La connaissance des équivalents « français » de ces mots québécois a beaucoup progressé depuis un quart de siècle ; ainsi, selon une étude de l'Office québécois de la langue française, en 1983 46 % d'un échantillon représentatif d'habitants des régions métropolitaines de Montréal et de Québec répondaient champlure quand on leur demandant comment ils appelaient habituellement l'objet représenté par un dessin qu'on leur présentait ; en 2006, 72 % donnaient plutôt le mot robinet.

Compte tenu de l’histoire politique, économique et sociolinguistique du Québec, il faut classer à part les nombreux emprunts de mots ou de sens (traductions littérales) faits à l'anglais.

Les mots anglais utilisés tels quels lorsque l'on parle français au Québec sont, selon toute vraisemblance, en voie de régression : dans l'étude précédemment citée de l'OQLF, 53,6 % des Montréalais et des Québécois avaient répondu fan en 1983 mais, en 2006, ils étaient 74,6 % à donner ventilateur comme réponse lorsqu’on leur présentait une illustration de cet objet.

Mais ce qui domine vraiment dans cette dernière catégorie, ce sont les traductions littérales de l'anglais (emprunts sémantiques et calques), ainsi « à l'intérieur des murs » (within the walls) pour dire « derrière les barreaux », expression que l'on peut entendre quotidiennement à la radio et à la télévision. Comme l'ont constaté Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière, « La fréquence des emprunts de sens dans la Banque de données textuelles de Sherbrooke est nettement supérieure à celle des emprunts de forme » (c'est-à-dire les mots anglais tels quels). Les emprunts sémantiques et les calques dominent d’ailleurs dans les répertoires d’anglicismes. Et une étude de l'OQLF portant sur la langue des bulletins d'information à la radio a montré que la proportion des anglicismes de sens et des calques était quatre fois supérieure à celle des emprunts lexicaux.

Les anglicismes lexicaux, c’est-à-dire les mots anglais utilisés comme tels en français, sont beaucoup plus faciles à reconnaître que les emprunts sémantiques et les calques. Des mots anglais qui étaient courants au xixe siècle sont aujourd’hui disparus. Mais la chasse aux anglicismes lexicaux a paradoxalement (mais logiquement du point de vue du linguiste parce qu’on les a remplacés par des traductions littérales) accru le nombre des calques et des emprunts sémantiques. Il y a une relation statistique entre l’accroissement des derniers et la diminution des premiers comme je l’ai démontré dans une étude portant sur la langue de la publicité des chaines d’alimentation.

Il faut se rendre à l'évidence : plus que tout, ce sont les interférences causées par l'influence de l'anglais qui caractérisent le français utilisé au Québec « dans les situations de communication formelle », dans les communications publiques et officielles. Ainsi que l'a constaté un observateur aussi perspicace que le linguiste français Louis-Jean Calvet : « les Québécois ont tendance, lorsqu'ils suivent les instructions officielles, à parler anglais en français. »

Les promoteurs d'une « langue québécoise standard orale et écrite » font l'impasse sur cette évidence criante : s'il existe une langue québécoise différente du français de France, elle doit son existence avant tout au grand nombre d'interférences introduites sous l'influence de la langue anglaise. La question est donc de savoir si l'on veut adopter comme modèle de référence une forme de langue qui est en bonne part un hybride.


jeudi 15 octobre 2015

Sans voile


La proposition du Parti conservateur dans la présente campagne électorale d’interdire le port du niqab a eu des répercussions inattendues à Québec : le site de l’Office québécois de la langue française nous apprend en effet que le Conseil supérieur de la langue française a décidé de dévoiler les récipiendaires lors de la cérémonie de remise des insignes de l’Ordre des francophones d’Amérique. Enfin une cérémonie qui se déroule à visage découvert !
 
Extrait du site de l'OQLF, 15 octobre 2015

On notera que la formulation utilisée par l’OQLF est un nouvel exemple de brachylogie : « les récipiendaires sont dévoilés » au lieu de « les noms des récipiendaires sont dévoilés ». Le communiqué du CSLF lui-même disait de façon plus idiomatique : « Le Conseil supérieur de la langue française remet les insignes de l’Ordre des francophones d’Amérique ».


lundi 12 octobre 2015

Les anglaises de Chopin





Dear Commentators please switch on English.
[...]
Dear Users please comment in English.
[...]
The commentaries in Polish are not understandable to the wider circle of users. Due to the fact that Chopin Competition is the international event, you are kindly requested to post your comments in English.
– Chopin Institute


Ce mois-ci a lieu le 17e concours international Chopin à Varsovie. Sur le fil de discussion, l’Institut Chopin demande que les commentaires soient rédigés uniquement en anglais. À ce compte, Chopin ne pourrait pas composer aujourd’hui des polonaises, mais uniquement des écossaises (à défaut d’anglaises). Bel exemple de servitude volontaire.


L’Institut Chopin demandant à jimmy3 d’écrire en anglais plutôt qu’en polonais :

Protestation d’un Polonais : nous sommes dans notre pays, nous pouvons bien utiliser notre langue, surtout lorsqu’il s’agit d’établissements financés entièrement par l’État :




Charles Richard-Hamelin est le seul Québécois en compétition cette année :



mardi 22 septembre 2015

Brachylogie hardie



Dans le billet précédent, j’ai cité cette phrase de la BD Paul dans le Nord : « Ses parents avaient un chalet autour du lac ». Il faut suppléer plusieurs mots pour obtenir une phrase logique : ses parents avaient un chalet situé sur le chemin qui faisait le tour du lac.


C’est ce que j’appellerai une brachylogie* hardie en reprenant le terme que le professeur Jean Thérasse avait utilisé en commentant le passage suivant de Tacite (Histoires, 1, 49) :

Galbae corpus diu neglectum et licentia tenebrarum plurimis ludibriis vexatum dispensator Argius e prioribus servis humili sepultura in privatis eius hortis contexit. Caput per lixas calonesque suffixum laceratumque ante Patrobii tumulum (libertus in Neronis punitus a Galba fuerat) postera demum die repertum et cremato iam corpori admixtum est.

Le corps de Galba, longtemps abandonné, fut, dans la licence des ténèbres, le jouet de mille outrages. Enfin Argius, intendant de ce prince et l'un de ses anciens esclaves, lui donna dans les jardins qu'il avait avant d'être empereur une humble sépulture. Sa tête, que des vivandiers et des valets d'armée avaient attachée à une pique et déchirée cruellement, fut retrouvée le lendemain devant le tombeau de Patrobius, un affranchi de Néron puni par Galba. On en mêla les cendres à celles du corps, qui déjà était brûlé. (Traduction de Burnouf)

Caput […] repertum et cremato iam corpori admixtum est, littéralement : sa tête fut trouvée et mélangée au corps déjà brûlé. Comme le demandait le professeur Thérasse : que peut bien donner une tête mélangée à des cendres ? Sa réponse : un visage barbouillé !
_____________
* Brachylogie : suppression de certains éléments d’une phrase.


dimanche 20 septembre 2015

Le québécois standard illustré par l’exemple / 16

De quoi perdre le Nord

Ses parents avaient un chalet autour du lac.
– Michel Rabagliati, Paul dans le Nord, planche reproduite dans Le Devoir, 19-20 septembre 2015, p. A9


Question : petit lac ou gros chalet ?


mardi 8 septembre 2015

Encore de l’humour noir !



Extrait de la page d'accueil du site de l'OQLF, 8 septembre 2015


Sur la page d’accueil de son site, l’Office québécois de la langue française (OQLF) nous propose ces jours-ci un vocabulaire de la sécurité aérienne pour nous aider à « voler en toute quiétude » : amerrissage forcé, appel de détresse, approche manquée, décompression explosive, dommages causés par des corps, impact d’oiseau, etc.


dimanche 6 septembre 2015

Le québécois standard illustré par l’exemple / 15

La disparition de l’article défini


En 1890, le YMCA de place D'Youville était encore bien loin de devenir le futur Théâtre Le Diamant. Même son voisin, le célèbre Capitole, n'existait pas encore.
– Valérie Gaudreau, « Le YMCA de Place D’Youville en 1890 », Le Soleil, 6 septembre 2015


En français standard, on utilise l’article défini en pareil cas : de la place d’Youville (on ne met pas de majuscule non plus au d’). Cette façon de dire est fréquente à Québec où on va à Place Laurier (au centre commercial Laurier) ou à place Royale (à la place Royale). Ce n’est pas le seul cas où l’article défini disparaît en français québécois. J’ai déjà mentionné dans un billet sa disparition devant certains titres de civilité : vous avez rendez-vous avec Docteur X, l’Orchestre symphonique de Montréal avec Maestro Nagano au pupitre. Ces derniers exemples s’expliquent par l’influence de l’anglais.


Le tour à place d’Youville pourrait être le résultat d’une crase, phénomène phonétique courant en québécois parlé : sur la table > su’ ’a table > s’a table, à la place > à ’a [a allongé] place > à place.


vendredi 21 août 2015

Carte muette

Le Devoir, 21 août 2015



Les dépanneurs commenceront « très bientôt » à demander systématiquement une carte d’identité aux acheteurs de produits du tabac, d’alcool ou de loterie, quel que soit leur âge.
[…]
« Le “cartage” subjectif a atteint ses limites, a-t-il soutenu devant la commission parlementaire en matinée. […] La répression accrue ne donnera rien. Il faut qu’on prenne le taureau par les cornes et qu’on règle le problème. »

M. Gadbois demande donc que le « cartage obligatoire », l’identification obligatoire des clients, soit ajouté au projet de loi, sinon les dépanneurs sont prêts à l’imposer eux-mêmes très bientôt.

Le Devoir, 21 août 2015


Le verbe carter et le substantif cartage ne font pas partie de la nomenclature du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française. La Banque de dépannage linguistique (BDL) du même Office a toutefois une fiche « se faire carter » où on lit :

Qu’elle se soit répandue dans l'usage sous l'influence de l'anglais to card (somebody), « exiger de voir les cartes d'identité de quelqu’un », ou simplement en raison de sa concision, cette expression appartient à la langue orale et familière. On pourra notamment la remplacer par des expressions comme : se faire demander ses cartes (d'identité) ou exiger de voir la carte (d'identité) de quelqu'un.


Il est curieux de voir non seulement que l’on propose de corriger la langue orale ou familière mais qu’en plus on suggère de remplacer un mot tout simple par une longue circonlocution. Et dans la fiche de la BDL, on ne lit nulle part les expressions courantes en français vérifier l’identité, vérification d’identité qu’on attendrait dans ce contexte.


Le Wiktionnaire, plus à jour que le GDT, définit ainsi le verbe carter :

(Néologisme) (Populaire) S’assurer de l’âge légal d’une personne, par exemple pour un commerce de cigarettes ou d’alcool, ou encore un dancing en contrôlant la carte d’identité de cet individu.


La mention dancing dans la définition nous permet de croire que le verbe carter s’utilise ailleurs qu’au Québec.


En lisant l’historique de la fiche carter du Wiktionnaire, j’ai découvert que la définition a été ajoutée le 2 septembre 2007, il y a déjà huit ans, sous la forme : « s’assurer de l’âge légal d’une personne (par exemple pour un commerce de cigarettes ou d’alcool, ou encore une boîte de nuit) en contrôlant la carte d’identité de cet individu ».


Qu’il est dur pour l'Office d’orienter l’usage quand il ne parvient même pas à le suivre, encore moins à l’enregistrer !


vendredi 7 août 2015

Le québécois standard illustré par l’exemple / 14

Écrire en anglais avec des mots français


Selon lui, la question n’en est pas une de moyens — le PLC se plaçant second au chapitre des ressources financières à sa disposition, même s’il s’est fait doubler par le NPD pour la première fois de son histoire quant aux fonds amassés au cours du dernier trimestre —, mais plutôt de stratégie.
– Philippe Orfali, « Pas d’autobus pour les libéraux », Le Devoir, 6 août 2015


En français standard, on écrirait tout simplement : il ne s’agit pas d’une question de moyens mais plutôt de stratégie ; ou encore : la question n’est pas celle des moyens mais plutôt celle de la stratégie.


Sur ce calque syntaxique de l’anglais, dont l’auteur a trouvé quelques exemples en France, voici un extrait de L’Actualité langagière (volume 6, numéro 1, 2009, page 13) :

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Irène de Buisseret n’aimait pas la tournure « en est un de », cet imposteur dans la maison, comme elle l’appelle. Ne mâchant pas ses mots, elle l’accuse d’être « un Américain mâtiné de Britannique qui a mis un masque à la française pour cacher sa physionomie anglo-saxonne »… J’ai longtemps cru qu’elle avait été la première à attacher le grelot à cet anglicisme, mais trois ans auparavant un terminologue proposait une traduction de « one of » qui indique assez clairement qu’il avait lui aussi démasqué l’imposteur : « L’atmosphère du yoga est de calme et de paix ».
Deux ans après Irène de Buisseret, un lexique de l’Assemblée nationale du Québec parle de barbarisme. Cinq ans plus tard, la grammairienne de l’Université de Montréal, Madeleine Sauvé, lui consacre un article assez exhaustif. Quant à notre bible des anglicismes, ce n’est qu’avec la troisième édition (1994) que les auteurs du Colpron s’aviseront de condamner ce tour. Lionel Meney le relève lui aussi, et en donne six exemples. Deux sites le dénoncent comme calque, les « Clefs du français pratique » de TERMIUM® et le « Français au micro » de Radio-Canada (dont l’auteur est Guy Bertrand).
[…]
La tournure est tellement fréquente (au-delà de 100 000 occurrences sur Internet), qu’on ne s’étonne pas de la rencontrer chez à peu près tous nos journalistes (Le Droit, Le Devoir, La Presse ou L’Actualité). Mais on la voit aussi sous la plume de gens soucieux de bien écrire, comme Guy Frégault, historien et membre fondateur de l’Académie canadienne-française : « Le quartier en était un d’ouvriers et de petits bourgeois »; ou Pierre Vadeboncoeur : « Leur activité en était une de pur relais »; ou encore, Jean-Marc Léger : « La question n’en est pas une de générosité ni de maturité ». On la trouve même chez des spécialistes de la langue, comme Robert Dubuc (qu’on ne saurait qualifier de laxiste) : « La situation dans ces médias en est une de bilinguisme marqué », ou Philippe Barbaud : « Une attitude éclairée qui doit en être une de réalisme et de respect ». Vous me direz que même nos linguistes ne sont pas à l’abri des fautes… Il est vrai qu’ils baignent dans le même milieu « anglifiant » que nous.