jeudi 30 avril 2020

La néologie en temps de pandémie/ 2





Je continue mon analyse de la liste de termes relatifs à la pandémie de COVID-19 que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) offre actuellement sur sa page d’accueil.


J’ai noté hier l’absence du mot anglais « cluster ». Aujourd’hui je note celle de « tracking » (traçage), procédé utilisé dans certains pays pour suivre les déplacements des personnes infectées. Il y a bien, dans le GDT, une fiche « tracking » mais elle ne se rapporte pas à l’épidémiologie :



Autre absence, le mot « quatorzaine » qu’on a pu entendre à quelques reprises, surtout dans les premiers jours de la pandémie. On sera étonné d’apprendre, grâce au site de France 3 Nouvelle Aquitaine*, que « nos "cousins" du Canada utilisent le mot quatorzaine qui désigne pour eux un espace de quatorze jours, dans leur langage courant ». Le GDT, qui prétend orienter l’usage, aurait eu une belle occasion pour nous dire si quatorzaine est préférable à quarantaine. Pour sa part, le Larousse indique que la quarantaine est un « isolement provisoire de durée variable. »




La fiche « distanciation sociale » illustre, une fois de plus, la dérive lexicographique du GDT qui se manifeste depuis plusieurs années. Elle décrit l’usage des termes concurrents, distanciation sociale et distanciation physique, sans favoriser l’un plus que l’autre. On attendrait d’un dictionnaire prétendument terminologique qu’il indique l’usage préférable plutôt que la simple description des usages en concurrence :

L'expression distanciation sociale, dans laquelle il revêt ce sens [l’habillage du sens !], est utilisée par les autorités sanitaires au Québec, en France, en Belgique et en Suisse depuis le milieu des années 2000.

Certaines sources privilégient l'emploi des termes distanciation physique et éloignement physique parce qu'ils ont l'avantage d'atténuer la connotation négative associée à l'isolement social. 

Le Figaro a consacré un article** à cette question. Extraits :

[…] lors du dévoilement du plan de déconfinement, le premier ministre Edouard Philippe a préféré à la « distanciation sociale », calque de l'anglais social distancing, la « distanciation physique ».

« Distanciation sociale est une expression malvenue. En anglais, social a gardé son sens étymologique. En français à partir de 1830, il a pris une signification politique », explique le linguiste Bernard Cerquiglini. On parle de « question sociale », de « préoccupations sociales » ou encore, de « mouvement social ». 


De fait, la distanciation sociale serait plutôt le comportement qu’adopte un grand bourgeois vis-à-vis de son concierge (gardien d’immeuble) ou de sa femme de ménage (technicienne de surface).


Dans les mises à jour quotidiennes qu’il se propose de faire de sa liste de termes liés à la pandémie, le GDT devrait envisager de prendre position sur ce terme.



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* Je dois ce renseignement au blog de Lionel Meney, «Carnet d’un linguiste ».
** Merci à Diane Lamonde de m’avoir signalé cette référence.


mercredi 29 avril 2020

La néologie en temps de pandémie



« … j’ai compris que tout le malheur des hommes venait de ce qu’ils ne tenaient pas un langage clair. »
– Albert Camus, La Peste


Dans plusieurs billets de ce blog, j’ai critiqué le peu d’importance que l’Office québécois de la langue française (OQLF) accorde à la néologie. Pour une fois, son Grand Dictionnaire terminologique (GDT) semble ne pas être pris de court puisqu’on a mis en ligne, le 20 avril, une liste de fiches relatives à la pandémie actuelle. Voyons cela de plus près.


Et commençons par la fiche « COVID-19 » où on lit : « COVID-19 est de genre féminin, car dans la forme longue du terme français, maladie à coronavirus 2019, le mot de base est maladie ». En vertu de cette règle, on devrait donc dire « la coronavirus » (expression que j’ai d’ailleurs entendue deux fois sur une chaîne d’infos). Manque de logique dans l’argumentation. Et ce que la fiche du GDT ne dit pas, c’est que l’utilisation du mot COVID au féminin est une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé reprise, bien avant l’OQLF, par Radio-Canada dès le 10 mars.



À la fiche « masque chirurgical », il n’est fait aucune mention du terme « masque de procédure » qu’on a pu entendre à presque toutes les conférences de presse du premier ministre du Québec et du docteur Arruda. Les habitués de mon blog ne seront pas surpris d’apprendre que la fiche offre la note suivante : « en contexte, la forme courte masque est souvent employée pour désigner le présent concept. » « En contexte ! » Comme si on ne parlait pas toujours en contexte. Et voici qu’un objet devient un concept. Mais cela ne surprendra pas le lecteur habitué de ce blog : il sait déjà que, selon le GDT, les casseroles vont au four et que les paniers ont des roues.


La fiche « pandémie » est intéressante dans la mesure où elle illustre le recyclage auquel a eu recours le GDT pour donner l’impression d’être à jour : les parties française et anglaise sont datées de 2020 mais les autres parties, en catalan, espagnol, etc., sont datées de 2008 ou de 2009. On trouve le même procédé dans la fiche « quarantaine ».


J’ai noté une absence étonnante : il n’y a pas de fiche « cluster », mot anglais qu’on a pu entendre à plusieurs reprises lors des premières conférences de presse du premier ministre et du docteur Arruda. Plus précisément, il y a deux fiches « cluster » mais aucune ne concerne le domaine de l’épidémiologie et ne donne l’équivalent « foyer ».



Je compte continuer mon analyse des « diverses informations linguistiques portant sur des questions liées à la COVID-19 » que nous offre l’OQLF.


mercredi 22 avril 2020

Un virus de mauvais genre


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Au tout début de la pandémie, on ne parlait que du coronavirus, au masculin bien évidemment. Puis on lui a donné un nom scientifique, Covid-19. Comme l’a expliqué une porte-parole de Donald Trump, s’il y a 19 dans le nom, c’est bien parce qu’il y en a eu 18 avant lui : « C’est le Covid-19, pas le Covid-1 » a déclaré la blonde (quel rapport ? après tout, elle peut être teinte) Kellyanne Conway.

 



Sur les médias audiovisuels français, je n’ai entendu le nom qu’au masculin. On était habitué à utiliser le mot masculin coronavirus et on a continué d’agir ainsi avec Covid.

 

Au Québec, les médias suivent en majorité la recommandation de l’Organisation mondiale de la santé qui a décidé de soigner sinon toutes les langues du moins son français en préconisant l’emploi du mot au féminin puisque le d de Covid signifie « disease », mot qui se traduit en français par « maladie ». Mais il n’est tout de même pas rare d’entendre Covid au masculin et encore moins rare de trouver l’emploi du mot au masculin dans les commentaires publiés sur le site Internet du quotidien Le Devoir. Bien des gens ne voient donc dans Covid qu’une abréviation de coronavirus.




lundi 20 avril 2020

Robert Chaudenson tel que je l’ai connu


Comme je l’ai mentionné dans le billet précédent, mon ami Robert Chaudenson est mort le 7 avril dernier. J’ajoute qu’il est décédé du Covid-19.

J’avais entendu le nom de Robert Chaudenson bien des années avant que je fasse sa connaissance. La première fois que j’ai entendu parler de lui, ce fut en 1984 lors d’un colloque dans une université de province dominée par la gauche. Dans une réunion préparatoire, son nom avait été mentionné et on l’avait associé à la droite, laissant même entendre qu’il pouvait être un agent du Deuxième Bureau, voire de la CIA. Lui-même n’hésitait pas à se gausser de cette réputation.

La première fois que je l’ai rencontré, c’était en 1992 à l’occasion d’une réunion à Brazzaville sur la création des Offices des langues nationales et la définition d'un plan d'aménagement linguistique de l'Afrique francophone organisée par l'Agence de Coopération Culturelle et Technique (ancêtre de l’Organisation internationale de la Francophonie). J’ai compris par la suite que Robert était loin d’être étranger à l’invitation que l’on m’avait faite de participer à cette réunion.

Le vol, parti de Montréal, faisait escale à Zurich, Genève et Douala. Robert est monté à bord à l’escale de Genève (de Zurich à Genève, ce n’est qu’un saut de puce) et il a demandé de pouvoir s’asseoir à côté de moi. J’ajoute ici qu’à l’escale de Douala, j’ai compris pourquoi on demandait aux passagers et au personnel de bord de s’asseoir et de boucler leurs ceintures ! De Genève à Brazzaville, nous avons donc eu plusieurs heures pour faire connaissance.

Ma première rencontre avec Robert Chaudenson est donc très différente de celle de Louis-Jean Calvet. J’extrais un passage du texte qu’il a publié sur son site le 8 avril :

Nous nous étions rencontrés au début des années 1980. Je savais qui il était, il savait qui j’étais, mais nous ne nous étions jamais rencontrés. C’était un soir, à l’aéroport d’Abidjan. Nous étions tout un groupe à attendre le bus, en retard, qui devait nous amener à l’hôtel où allait se dérouler le colloque auquel nous étions conviés. Et j’entends puis je vois un grand mec, grande gueule, protester de façon très désagréable contre ce retard. Je me tourne vers un ami ivoirien venu nous accueillir et je lance, très fort, « qui c’est ce grand con ? ». On me répond que c’est Chaudenson. Il lance à son tour « qui c’est ce petit con ? ». On lui dit que c’est Calvet. Il avait une réputation politique exécrable et je lance « Ah ! C’est vous le fasciste ! ». Il réplique : « Ah ! C’est vous le gauchiste ! » On fait mieux comme première rencontre.

Calvet ajoute plus loin : « Il était ce qu’on pourrait appeler un anarchiste de droite ».

La citation décrit une facette de sa personnalité. Il en est une autre, plus secrète, qu’une linguiste parisienne m’a révélée bien des années plus tard : Robert était très généreux, il lui est arrivé de secourir des étudiants dans le besoin. J’ajoute le témoignage de Calvet : « il avait un cœur d’or, une grande générosité, beaucoup d’étudiants doivent s’en souvenir. » 

Peu avant la réunion de Brazzaville, le Canada avait fait don d’ordinateurs (usagés, je crois) à des écoles africaines. Dès notre première rencontre, Robert s’est mis à pester contre cette action et a tenu à m’en démontrer l’absurdité. Nous avons eu une journée de libre avant notre retour et, je ne sais comment il a manigancé le tout, je me demande s’il n’a tout simplement pas imposé notre présence, nous avons visité trois écoles primaires de trois quartiers socio-économiquement différents de Brazza. Aucune école n’avait l’électricité : Robert avait donc raison de dire que le don du Canada montrait une ignorance totale de la réalité de l’école africaine (publique, ajouterais-je ; car il y a là-bas beaucoup d’écoles religieuses qui sont mieux loties). Les classes comptaient 60-70 élèves, tous assis par terre sauf dans une école où quelques élèves de familles un peu plus riches apportaient chaque matin sur leur tête leur petite chaise en plastique. Seule la maîtresse avait un manuel.

Robert était une grande gueule et il prenait plaisir à polémiquer. Spécialiste des créoles, il a pris à partie, dans une revue québécoise de surcroît, une linguiste québécoise adepte de la théorie de la relexification du créole haïtien (en gros : le créole haïtien provient d’une seule langue africaine, le fon du Bénin, dont on aurait remplacé les mots par des mots français). À cette occasion, la plupart des linguistes québécois se sont comportés comme les moutons de Panurge, venant à la rescousse de leur pauvre collègue attaquée par le maudit Français sans même prendre la peine d’étudier les arguments de Chaudenson. La position de Chaudenson est la suivante** :

Les créoles français nés de la colonisation des XVIIème et XVIIIème siècles, résultent dans le contexte socio-historique de la plantation esclavagiste alimentée en main-d’œuvre par des populations immigrées linguistiquement hétérogènes, de l’appropriation non guidée de variétés approximatives d’un français déjà koïnéisé durant la phase antérieure de société d’habitation.[…] La créolisation est en fait un phénomène exceptionnel dans la mesure où dans les conditions socio-historiques et sociologiquement spécifiques (plantations à mains-d’œuvre juvéniles immigrées) ont été mis en œuvre, hors de toute contrainte socio-culturelle et de toute pression normative, des processus d’appropriation linguistique non guidée qui se manifestent dans d’autres circonstances, à d’autres degrés, pour les langues en cause, en l’occurrence le français.

Je n’en dirai pas davantage sur ce débat sinon pour donner un exemple qui abonde dans le sens de Calvet lorsqu’il écrit : « Robert ne pouvait pas résister à un bon mot, même, ou plutôt surtout, s’il était méchant ou blessant ». C’est ainsi qu’à propos de la linguiste québécoise dont il vient d’être question, il ne se gênait pas pour dire et écrire que c’était la seule disciple de Chomsky dont le Maître n’avait jamais cité un seul écrit.

Dans la même veine, il a déclenché une tempête lors d’une mission d’enseignement en Martinique. Extrait qui donne une idée du style du polémiste* :

La mission d'enseignement que j'ai faite en Martinique a été pour moi très riche d'enseignement. J'ai été couvert d'injures, en particulier par R. Confiant, mais, depuis fin 2000, j'étais habitué à la psychopathie confiantesque et comme, en plus, ses écrits me concernant ne m'étaient jamais adressés, j'en ignorais le plus souvent jusqu'à l'existence. Ce silence de ma part a sans doute conforté chez R. Confiant sa foi aveugle dans un talent de polémiste qu'il se reconnaît volontiers. Pour ma part, je ne parviens pas à le percevoir dans ses écrits, qui ne sortent du registre de l'injure que pour tourner à la calomnie ou au chantage. Il est vrai que les incertitudes de Confiant dans le maniement de la langue française le conduisent sans doute à ignorer le sens du mot « polémique ».

Robert n’était pas que polémiste, il était aussi satiriste. À cet égard, son chef-d’œuvre est peut-être le portrait qu’il a fait de José Bové, « un peu à la manière de Roland Barthes (mais de loin), évoquant la ‘forêt de signes’ qu'était, à ses yeux, l'Abbé Pierre ». C’est par cette longue citation que je terminerai mon portrait de Robert Chaudenson:

C’est une belle image dans laquelle tout est soigneusement choisi pour faire sens. 

La moustache est assurément l’élément majeur de signification. On sait que l’homme d’autorité, dans la mythologie populaire, porte moustache. Pour ne pas remonter trop loin, Hitler, Staline, Pinochet et Sadam Hussein furent des moustachus. Les dictateurs glabres ne font pas d’usage, comme l’ont montré Mussolini ou Pol Pot. Signe de virilité, la moustache est tout naturellement signe de force. Les Turcs sont tous moustachus donc forts. Il y a toutefois moustache et moustache... Les arrangements pileux dont la taille se limite, approximativement, à la largeur des narines signalent le dictateur hystérique et caricatural (Hitler imitait Charlot et Himmler imitait Hitler...). La force tranquille de la bonne brute se marque par une moustache épaisse et fournie, particulièrement appréciée des tyrans moyen-orientaux. La moustache de José Bové s’inscrit nettement dans la lignée de celle de Staline, mais avec une rusticité savante qui lui donne l’apparence d’un fagot de broussailles. Un tel arrangement, doublement écologique, nécessite, à n’en pas douter, des soins aussi quotidiens qu’attentifs, de façon à assurer un équilibre harmonieux entre la force tranquille d’une virilité rurale et la fantaisie poilue d’un non-conformisme bucolique. En matière de moustache comme ailleurs, un beau désordre ne saurait être qu’un effet de l’art. Bien entendu, les nuances du poil ne sont pas dépourvues de sens; cette moustache, nourrie sous la mère dans le Larzac, a les tons mordorés et fauves de la forêt de novembre, le jus de tabac de la pipe permettant d’enrichir encore cette palette des nuances automnales d'un poil naturel et authentique.

La pipe est presque aussi riche de signes que la moustache. La cigarette n’est pas le propre d’un sexe et il y a désormais plus de fumeuses que de fumeurs. En revanche, la pipe est incontestablement mâle, tout au moins dans nos sociétés occidentales, et elle tend même presque à manifester le machisme. Elle se situe d’ailleurs depuis toujours aux antipodes de la distinction, voire de la politesse : on a la cigarette aux lèvres, voire au bec, mais la pipe est un brûle-gueule. Le fumeur de pipe n’est pas homme à se préoccuper d’autrui et il se moque bien d’empuantir l’atmosphère. Sans oser l’afficher, il pense secrètement éloigner par là non seulement les femelles, mais aussi tous les mâles douteux qui ne supporteraient pas de se voir emboucanés par des remugles de chambrée.

La coupe de cheveux est également pleine de sens. Par un miracle de la géométrie capillaire, elle réussit à se situer à égale distance de la coupe monacale, autrefois dite au bol, de la tignasse hirsute du SDF et du savant brushing kouchnérien. L’essentiel de la force sémiologique de José Bové tient d’ailleurs à ce qu’il parvient à réunir tous les signes de la ruralité abstraite et idéale, sans jamais tomber dans la caricature. Pour parvenir à être le Jacquou le croquant (sans être toutefois pour les dames Jacquou le craquant) non pas de la provinciale forêt de l’Herm (comme dans le roman), mais des plateaux de télévision, José Bové doit se tenir sans cesse, avec une adresse et une vigilance de funambule médiatique, à mi-chemin entre les stéréotypes classiques du paysan de comédie et l’image quasi abstraite de l’agriculteur moderne. Loin de lui, par exemple, l’idée triviale de porter des sabots comme celle de se faire mettre, fût-ce par un coiffeur habile, quelques brins de paille dans les cheveux. Le port des sabots serait d’ailleurs aussi excessif qu’inutile, puisque nos personnages de télévision sont tous des hommes-troncs. Peut-être, après tout, José Bové, dans ses interventions médiatiques, cache-t-il sous les tables de studios les Berlutti de Roland Dumas, comme il se donne peut-être la joie, secrète, mais d’autant plus intense, de péter dans la soie sous ses pantalons de velours côtelé !

Si les chaussures sont un élément accessoire pour ne pas dire inutile dans la panoplie sémiologique de José Bové, le pull-over, toujours au centre de l’image, est en revanche essentiel. Le cashmere n’appartient pas, on l’aura deviné, à l’appareil vestimentaire visible de José Bové. Foin (sans jeu de mots) de ces fines et douces laines, aussi urbaines que bourgeoises quand elles ne sont pas en outre horriblement synthétiques. En demi-saison, une rude chemise de bûcheron canadien ; durant l’hiver, des pull-overs rugueux dont tout porte à croire qu’ils ont été tricotés au coin de l’âtre avec la laine de ses moutons par une Pénélope larzacienne. La matière est essentielle, mais moins que les couleurs. José Bové affectionne, en effet, les teintes automnales qui s’accordent, en les mettant en valeur, avec les ocres de sa moustache. Ces bruns verdâtres ou ces verts brunâtres signalent, à ceux qui ne les auraient pas encore perçus, la ruralité et l’ancrage dans la glèbe. Ils ne craignent ni les taches de cassoulet ni les bavures de pipe, quand on s’assoupit dans son fauteuil, après une rude journée passée à démonter des MacDo pour « Zone Interdite » ou à faucher des plants d’OGM en vue du « 20 heures ». Là encore, tout l’art de José tient à son adresse diabolique à éviter tous les ostentatoires excès : pas de trous au coude ou de brûlures résultant d’une escarbille mal contrôlée, pas de manches grossièrement rapetassées. De tels effets, certes tentants mais faciles, signaleraient inévitablement l’imposture. N’attendons pas de José Bové les grossières erreurs d’un Marc Blondel, qui ne manquait pas, naguère encore, avant qu’un conseiller en communication avisé ne l’en détourne, d’arborer son écharpe rouge du défilé du Premier mai tout en fumant des Davidoff à 200 balles pièce.

Le velours, de préférence côtelé, met une touche finale et même confédérale à cette si parfaite collection de signes. José Bové évite toutefois les vestes à coudières de cuir ; cela fait un peu trop gentleman-farmer. Du fait de sa parfaite maîtrise de l’anglais, peu courante chez les éleveurs de moutons du Larzac, on pourrait le prendre, au Sheraton de Seattle ou à l’Hyatt de Porto-Alegre, pour une taupe de la CIA ou MI5 ce qui serait tout de même un comble.

Ce personnage, si parfaitement composé, a en outre le rare talent, que n'avait pas l'Abbé Pierre, de savoir s’adapter aux situations nouvelles. Celles des studios de télévision lui sont si familières qu’il n’a pas, comme les novices, à demander naïvement quelles sont les bonnes caméras. Comme tous les grands acteurs, il se passe d’accessoires. Nul besoin d'une figue fraîche comme Caton dénonçant la menace punique devant le Sénat romain ou d’un sac de riz comme Kouchner en Somalie ! Il sait improviser ; mieux encore, comme un pommier fait des pommes, il fait du sens avec tout ce qui passe à sa portée. Ce détail a bien entendu échappé aux pandores qui, chargés naguère de le conduire en prison, ont cédé à la tentation de se donner l’ultime plaisir de lui passer les menottes. Erreur fatale ; ces menottes, instrument de justice et d’opprobre par lequel les gendarmes voulaient rendre éclatante leur domination et souligner sa honte, sont devenues, comme la couronne d’épines imposée au Christ sur le chemin de croix, le signe de son immolation volontaire et joyeuse à la cause paysanne. Loin de dissimuler son visage comme le font tant de filous ordinaires ou de cacher ses menottes sous sa veste, José Bové a levé les mains bien haut au dessus de sa tête, devant la multitude des caméras et des appareils photos, fournissant ainsi à toute la presse française, encadrée par les instruments de la justice ainsi dénoncée, l’image éclatante, moderne et souriante du martyre de Saint José le Croquant.

Condamné à la prison ferme, il se terra chez lui en attendant l’arrivée de la force publique. Le bougre savait bien que tous les chemins du coin menant à son logis allaient être barrés par ses partisans juchés sur leurs tracteurs. Les policiers le savaient aussi, mais une fois encore ils sont tombés dans le piège, pourtant évident.

Un vulgaire malandrin est conduit à la geôle en panier à salade, un hélicoptère sera nécessaire pour opérer l’Ascension indispensable à l'embastillement du héros.

José Bové n’est plus. Vive Jésus Bové !
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* Robert a transformé les événements de Martinique en une saga que l’on pourra lire en cliquant ici.
** Cité d’après Marie-José Emmanuel, « Genèse des créoles selon Robert Chaudenson, linguiste ».








mardi 7 avril 2020

La mort d’un ami : Robert Chaudenson



Encore sous le choc de la nouvelle, je me contente de recopier le message que j’ai reçu de Didier de Robillard, ancien élève de Robert Chaudenson. Robert aurait eu 83 ans le 12 avril. Dans les jours qui viennent, je me propose de lui consacrer un billet plus substantiel.

Grande tristesse ce matin : on vient d'apprendre le décès de R. Chaudenson, qui a beaucoup contribué à la sociolinguistique du français, des créoles, des contacts de langues, à ce qu'on pourrait appeler la sociolinguistique historique, à l'histoire du français, à la réactivation de certains points de vue devenus marginaux comme celui de H. Frei, à la description des créoles et français non normatifs, etc.

Il a aussi joué un rôle institutionnel important en contribuant de manière très significative à créer des institutions : Institut d'études créoles et francophones à Aix-Marseille I et à l'Université de la Réunion, CIRELFA, revue Études créoles, colloques périodiques des études créoles, association de soutien aux études créoles, et il a été président de l'Université de la Réunion.


mercredi 1 avril 2020

Les postillons et le/la Covid







Pour éviter les postillons, une des causes de contagion au/à la Covid-19, l’Académie française proposerait d’éviter le tutoiement, les dentales sourdes, tout comme les labiales et les chuintantes, conduisant à expulser plus d’air. C’est ce que nous apprend le blog des correcteurs du Monde : cliquer ici. Lire aussi cet article.


Canular ? Nous sommes le 1er avril !