samedi 31 mars 2012

Le poisson d’avril du GDT


Footballeur-mareyeur à l’œuvre



Voici sans doute les fiches les plus curieuses que j’ai trouvées jusqu’à présent dans le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française :

Ceci n'est malheureusement pas un poisson d'avril...

  

Même si j’ai parlé de ces fiches dans un billet le 15 juin 2011, elles sont toujours présentes dans le GDT. Définitions : footballeur-mareyeur, « celui qui est en même temps footballeur et mareyeur » (depuis quand les footballeurs, qui sont payés des millions, soit en dollars, soit en livres, soit en euros, arrondissent-ils leurs fins de mois en étant mareyeurs ?) ; footballeur-ouvrier, « celui qui est footballeur par profession » (et non footballeur professionnel, comme ce à quoi tout un chacun se serait attendu).

Les responsables du GDT ont, semble-t-il, décidé de faire la sourde oreille à ce  qu'is  appellent  euphémistiquement  la  « critique externe » (s'il existe encore une critique interne, peut-elle s'exprimer? et, si oui, l'écoute-t-on ?). À la longue, ils finiront par n'en avoir que l'air plus ridicules. Avec ou sans poisson d'avril dans le dos. (De toute façon, ils sont prêts à toutes les contorsions pour se planter eux-mêmes des poissons d'avril dans le dos : il n'y a qu'à voir l'utilisation de la marque [langue courante], par exemple accolée à des dlalectalismes comme mocauques ou pomme-de-pré dans la fiche canneberge ; ces dialectalismes sont loin d'être d'usage courant au Québec, si ce n'est peut-être, et encore, aux Îles-de-la-Madeleine pour le premier, l'usage du second étant limité à l'Acadie selon mes sources.)

Emblème des footballeurs-ouvriers stakhanovistes

mardi 27 mars 2012

Tête-de-violon / 2



Bien avant la loi 22, il y a eu le règlement 683 de 1967 du ministère de l'Agriculture du Québec qui imposait le bilinguisme dans l'étiquetage des produits alimentaires et dont l'application relevait du directeur de la répression des fraudes et de la loyauté des ventes au ministère de l'Agriculture*. Le ministère travaillait alors étroitement avec l'Office. Le directeur de la répression des fraudes était Me Émile Ducharme et son adjoint, chargé spécialement de la correction des étiquettes des produits alimentaires, M. Joseph Lapointe. M. Lapointe travaillait en étroite collaboration avec Mme Thérèse Villa, responsable de la terminologie de l’alimentation à l’Office de la langue française ; le ministère de l’Agriculture lui avait même donné une carte d’inspectrice.


À l’époque, le ministère obligeait les entreprises à utiliser la terminologie de l'Office parce qu'il estimait qu'une terminologie incorrecte était susceptible de constituer un cas de fraude. Et l’Office véhiculait un message clair en matière de terminologie française.


Rappelons qu’avant la loi 22 (1974), les individus pouvaient, en vertu de la loi sur les poursuites sommaires, poursuivre les entreprises qui ne respectaient pas le règlement sur l’étiquetage. Et, en cas de condamnation des entreprises (1 000 $ pour une première condamnation, 5 000 $ pour une récidive dans les deux ans !!! et il s’agit de dollars de la fin des années 1960…**), les plaignants empochaient la moitié des amendes perçues… Tout cela a été changé en 1974.


Quand on connaît l’histoire de la francisation de l’étiquetage des produits alimentaires, il est pour le moins curieux – et carrément désolant – de lire sur la fiche crosse de fougère (quasi-synonyme : tête-de-violon [langue courante]) la note suivante : « Dans l'étiquetage des produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon. » Si l’Office avait continué d’envoyer un message clair et avait fait appliquer la loi avec plus d’efficacité, l’usage aurait continué d’être fixé.


Pour des raisons constitutionnelles que Gaston Cholette explique dans son livre (L’Office de la langue française de 1961 à 1974), l’Office travaillait, dans les années 1960 et 1970, en concertation non seulement avec le ministère de l’Agriculture du Québec mais avec l’Administration fédérale. La banque de données Termium du Bureau de la traduction à Ottawa continue d’ailleurs d’indiquer que tête-de-violon est un terme « à éviter ». Du côté fédéral, le message est demeuré clair.
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* Pour la petite histoire, l’article sur l’obligation que le français soit au moins aussi présent que toute autre langue dans l’étiquetage des produits alimentaires est dû à un fonctionnaire du ministère de l’Agriculture qui en avait trouvé l’équivalent dans la loi française du 1er août 1905 qui précise que les mentions figurant sur les étiquettes doivent être « rédigées en langue française (…) inscrites en caractères apparents et regroupées sur une partie de l’emballage de manière à être facilement visibles et lisibles dans les conditions habituelles de présentation ».
** Pour donner une idée de la valeur du dollar à l’époque, rappelons que, lors du front commun syndical de 1972, la principale exigence des grévistes était un salaire hebdomadaire de 100 $.

lundi 26 mars 2012

Tête-de-violon / 1



On l’a vu dans le billet « Faire et défaire, c’est toujours travailler », le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française continue d’accepter le calque tête-de-violon, même s’il l’a rétrogradé en « quasi-synonyme » et lui a accolé la marque « [langue courante] ». Dans une longue analyse (cliquer ici pour avoir accès au texte), j’ai critiqué les arguments invoqués par l’Office pour justifier son choix.


L’Office a refait en 2011 sa fiche de 2008. La nouvelle fiche contient toujours la sottise suivante pour justifier tête-de-violon : « le mot tête sert à désigner la partie terminale arrondie de certains végétaux (tête d'artichaut, tête d'asperge, tête de champignon). »


Dans les exemples cités, nous avons des expressions faites sur le modèle tête + nom d’un végétal.


Dans tête-de-violon, nous avons le modèle tête + nom d’un instrument de musique.


Personne à l’Office n’a vraiment été capable de voir que l’argument était illogique ?

vendredi 23 mars 2012

Faire et défaire, c’est toujours travailler



En 1974 l’Office (pas encore québécois) de la langue française publiait la première édition du Lexique des fruits et légumes de Louise Appel. Pendant plus d’un quart de siècle, l’Office a préconisé le terme crosse de fougère, l’expression tête-de-violon étant considérée comme un calque de l’anglais. Puis, en 2008, revirement : l’appellation tête-de-violon est maintenant donnée comme synonyme de plein droit, sans aucune marque particulière, « bien que », précise une note, « la désignation tête-de-violon puisse être un calque de l'anglais ».


La même année, le juge Robert Auclair, président-fondateur de l’ASULF (Association pour le soutien et l’usage de la langue française) écrivait à l’Office québécois de la langue française pour demander des explications sur la fiche. Le 24 novembre 2008, la directrice générale des services linguistiques de l’Office québécois de la langue française lui répondait. À la demande du juge, j’ai analysé la réponse de l’Office. Cette analyse a été mise en ligne (cliquer ici). Je concluais en élevant des doutes sur les méthodes de travail de l’Office.


En 2011, la fiche a été légèrement modifiée. On en a profité pour introduire, une nouvelle fois, la sotte marque « [langue courante] » dont je m’évertue à dire qu’elle n’a rien à faire dans un dictionnaire terminologique. Et tête-de-violon est passé du statut de synonyme à celui de quasi-synonyme. La belle affaire ! Comme je l’écrivais dans le titre : faire et défaire, c’est toujours travailler. Et cela permet d’ajouter la production d’une fiche dans les statistiques (car, pour ce faire, il peut suffire d’une simple modification, la correction d’une faute de français ou d’une erreur typographique).


Fiche de 2008
(les différences entre les fiches sont surlignées en vert)
Fiche de 2011
(les différences entre les fiches sont surlignées en vert)
Définition :
Jeune fronde de fougère qui se consomme comme légume vert.
.

http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/Images/00_cale.gif

Sous-entrée(s) :
.
http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/Images/00_cale.gif
synonyme(s)
   crosse de fougère-à-l'autruche n. f.
   tête de violon n.f.
   crosse de violon n.f. [rare]
   queue-de-violon n.f. [rare]


.

Note(s) :

La plupart des fougères produisent de jeunes frondes à leur premier stade de développement, mais elles ne sont pas toutes comestibles. Au Canada, la fougère dont on consomme les crosses est appelée communément fougère-à-l'autruche (matteuccie ou Matteuccia struthiopteris chez les spécialistes). 



Bien que la désignation tête-de-violon puisse être un calque de l'anglais fiddlehead, elle est tout à fait justifiée par son pouvoir évocateur. En effet, on nomme cette pousse de plante par analogie de forme avec la tête d'un violon « extrémité arrondie du manche d'un instrument de musique à cordes ». De plus, le mot tête sert à désigner la partie terminale arrondie de certains végétaux (tête d'artichaut, tête d'asperge, tête de champignon, tête d'arbre). Au pluriel, on écrira : têtes-de-violon (sans s à violon), sur le modèle de pommes de terre.
Dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon.
Définition :
Jeune fronde de fougère qui se consomme comme légume vert.
.

http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/Images/00_cale.gif

Sous-entrée(s) :
.
http://www.granddictionnaire.com/BTML/FRA/Images/00_cale.gif
synonyme(s)
   crosse de fougère-à-l'autruche n. f.

quasi-synonyme(s)
   tête-de-violon n. f. [langue courante]

.

Note(s) :

La plupart des fougères produisent de jeunes frondes à leur premier stade de développement, mais elles ne sont pas toutes comestibles. Au Canada, la fougère dont on consomme les crosses est appelée communément fougère-à-l'autruche (matteuccie ou Matteuccia struthiopteris chez les spécialistes). 



Bien que la désignation tête-de-violon puisse être un calque de l'anglais fiddlehead, elle est tout à fait justifiée par son pouvoir évocateur. En effet, on nomme cette pousse de plante par analogie de forme avec la tête d'un violon « extrémité arrondie du manche d'un instrument de musique à cordes ». De plus, le mot tête sert à désigner la partie terminale arrondie de certains végétaux (tête d'artichaut, tête d'asperge, tête de champignon). Au pluriel, on écrira : têtes-de-violon (sans s à violon), sur le modèle de pommes de terre.
Dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon.


Bref, on n’a tenu aucun compte de ma longue analyse.


J’aurais mieux fait d’intituler mon billet : tout ça pour ça.


jeudi 22 mars 2012

Dégel : le printemps arrive enfin


  
Le hasard de mes recherches m’a amené sur la page de Wikipédia consacrée au Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. J’y ai lu la remarque suivante :


Lorsque les traductions d'un mot diffèrent en français québécois et en français de France, les deux sont présentées. Par exemple, l'expression « cerebrovascular accident » (CVA) est traduite par « accident cérébrovasculaire » (ACV) au Québec et par « accident vasculaire cérébral » (AVC) en France.


Comme il me semblait bien que l’usage avait évolué au Québec sur ce point, j’ai voulu vérifier si le GDT en avait tenu compte et là, heureuse surprise, je me suis rendu compte que ce ne sont pas tous les terminologues de l’Office qui sont en mode rétropédalage. En effet, une nouvelle fiche, datée de 2011, met en entrée principale la forme accident vasculaire cérébral.


Une note tente de justifier l’ancienne forme, gardée comme synonyme[1]. Sans vouloir trop chicoter, je constate tout de même que la justification du terme accident cérébrovasculaire par la comparaison avec le mode de composition du mot physiopathologie ne tient pas la route : dans le premier cas, nous avons la forme nom + adjectif, dans le second il n’y a qu’un nom.


On a corrigé récemment la fiche vélo stationnaire à la suite d’une demande du juge Robert Auclair. On vient de voir que la fiche accident cérébrovasculaire a été modifiée pour mieux tenir compte de l’évolution de l’usage. Et on vient d’enlever l’une des deux illustrations de la fiche vélo d’intérieur, celle qui portait la mention « courtoisie de Planète fitness gym » et dont Lionel Meney, dans son blog, avait noté qu’elle comportait un anglicisme par ailleurs refusé par le même GDT. Doit-on comprendre que le message lancé par dix-neuf anciens terminologues de l'OQLF commence enfin à passer ?



[1] « […] le terme accident cérébrovasculaire n'est pas pour autant à rejeter. Il est en effet conforme au système linguistique de la langue française; il est construit sur le modèle des composés dont les parties entretiennent entre elles un rapport de subordination (hypertension rénovasculaire, physiopathologie et gradient alvéolocapillaire, par exemple). »

mardi 20 mars 2012

Momennetoumme



Momentum est un mot latin qui veut dire le mouvement, il est généralement employé en physique. Dans le domaine de la politique, le momentum est l’élan qui pousse un candidat vers la victoire, parfois il se brise, parfois il est irrésistible. En tout cas, actuellement du côté démocrate c’est Barack Obama qui en bénéficie.
– Anna Toulouse, Site RFI, 23 février 2008


Le mot latin momentum dans le sens que lui a donné l’anglais contemporain est présent dans le français du Québec depuis déjà plusieurs années et il pointe maintenant son nez dans le français de France. Chez Ruquier (On n’est pas couché, émission du samedi 10 mars 2012), on a pu entendre Jean-François Copé dire : « nous avions un momentum [mɔmɛntum] pour le faire ».


Il y a un article bien fait sur le mot momentum dans la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française. Le mot apparaît aussi dans le Grand Dictionnaire terminologique mais seulement dans le sens qu’il a dans le domaine financier. Le GDT ne parle pas de son sens le plus fréquent au Québec. L’usager pressé (celui qui ne prend pas la peine de vérifier le domaine d’emploi des termes) pourra en conclure que le mot est accepté sans réserve par l’Office.


Banque de dépannage linguistique et GDT sont de toute évidence des vases non communicants, du moins du point de vue de l’usager.

« Quelques instants avant d'emprunter l'Eurostar qui rallie Londres à Bruxelles en à peine deux heures, Jean Charest a fait remarquer que le projet d'un train à grande vitesse entre Québec et New York ‘a un peu plus de momentum’ depuis quelque temps » (Le Journal de Québec, 20 mars 2012).

jeudi 15 mars 2012

Un mot qui a la désuétude vigoureuse



En juin 2011, j’ai mis en ligne un billet sur la fiche « comptoir de salle de bain » du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. Depuis, aucune modification n’a été apportée à la fiche. Je reviens donc à la charge aujourd’hui.


La fiche (de 2011) a comme entrée principale « comptoir de salle de bain », avec comme synonymes, dans l’ordre, « comptoir » et « plan de toilette » et comme terme à éviter « vanité ». En anglais, la fiche « bathroom countertop » (de 2008 !?) a comme synonymes « bathroom vanity unit » et « vanity unit ». Notons qu’il y a aussi en anglais une fiche « vanity » avec comme équivalent français « meuble-lavabo ». Tout cela appelle plusieurs remarques.


Quand on tape les mots bathroom countertop dans l’outil de traduction automatique de Google, on obtient comme résultat : comptoir salle de bain (sic). Pas besoin du GDT pour se faire conseiller un calque. Je ne peux quand même pas imaginer qu’il n’y a personne à l’Office capable de voir un calque gros comme une maison.


La fiche « comptoir de salle de bain », qui précise que vanité est un terme à éviter, ne fait aucune mention du terme meuble-lavabo recommandé officiellement par l’Office (fiche de 2001) pour le remplacer.


Les fiches « comptoir de salle de bain » et « bathroom countertop » confondent comptoir et meuble. Voici ce que dit Wikipédia au sujet du mot countertop:


Countertop (also counter top, counter, benchtop, (British English) worktop, or (Australian English) kitchen bench) usually refers to a horizontal worksurface in kitchens or other food preparation areas, bathrooms or lavatories, and workrooms in general. It is frequently installed upon and supported by cabinets.


Il ne faut donc pas confondre le comptoir de salle de bain et la vanité, ce sont deux concepts différents. Et dans l’usage québécois, vanité est en concurrence avec meuble-lavabo, terme préconisé par l’Office.

Les termes meuble-lavabo et vanité
dans les pages Web francophones du Canada, le 15 mars 2012


La fiche donne comme synonyme de « comptoir de salle de bain » le mot « comptoir ». C’est là une sottise. « En contexte », comme se plaît à l’écrire savamment le GDT, on peut toujours utiliser seul le nom qui sert d’élément de base à un mot composé. Cela ne relève pas de la synonymie.


En juin, j’avais déjà commenté la note « le terme plan de toilette […] est totalement inusité au Québec » en montrant la difficulté logique de démontrer la non-existence d’un usage. Qu’il suffise de dire que le 14 mars 2012, on trouvait le terme plan de toilette dans 4 150 pages canadiennes d’internet écrites en français. « Totalement inusité », vraiment ?


Autre affirmation douteuse mise en note : « Le québécisme vanité […] est un emprunt à l'anglais tombé en désuétude ». Comme le montre le graphique suivant, le nombre d’attestations du mot vanité (pour désigner un meuble) a augmenté de 9 000 de juin 2011 à mars 2012. « Tombé en désuétude ? » Il ne tombe pas, il monte.

Les termes comptoir de salle de bain et vanité
dans les pages Web canadiennes en juin 2011 et mars 2012


« Le québécisme vanité […] est à éviter au profit de termes bien implantés dans l'usage comme comptoir de salle de bain et comptoir. » Comptoir de salle de bain est moins implanté dans l’usage que vanité.


« Le québécisme vanité, qui est un emprunt à l'anglais tombé en désuétude, est à éviter au profit de termes bien implantés dans l'usage comme comptoir de salle de bain et comptoir » : deux affirmations fausses dans la même phrase.


Je n’en jette plus, la cour est pleine.

lundi 12 mars 2012

Les stakhanovistes de la langue




J’ai constaté, et l’ai déjà fait remarquer dans des billets, le nombre croissant de synonymes qui sont apparus ces dernières années dans les fiches du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française. À titre d’exemple :

Fiche de 2011


La recrudescence des synonymes a une explication simple : la production terminologique n’est plus évaluée selon le nombre de fiches produites mais selon le nombre de termes traités… Le changement est apparu dans le rapport annuel 2009-2010.


La production du GDT selon les rapports annuels


Le graphique précédent montre l’évolution de la production terminologique à l’OQLF depuis l’année financière 2003-2004. On note une hausse des objectifs à atteindre, de 4 000 fiches la première année à 5 000 fiches les années subséquentes. On constate aussi que, dès que l’objectif est haussé, la production se met à dépasser l’objectif fixé, atteignant même en 2008-2009 les 377 % !


Lors de l’année financière 2009-2010, on constate deux nouveautés. D’abord un changement dans le critère d’évaluation. Celle-ci ne se fait plus selon le nombre de fiches produites mais selon le nombre de termes traités. En principe, le changement était de nature à induire une hausse dans la production des termes, les terminologues pouvant ajouter de nombreux synonymes et ils ne se sont pas privés de le faire en ajoutant nombre de mots de la « [langue courante] ». Second changement, l’objectif a été abaissé, de 5 000 fiches à 3 500 termes. En 2009-2010, la manœuvre a permis de faire valoir un dépassement de l’objectif, 3 765 nouveaux termes plutôt que 3 500. Le rapport explique : « sur les 3 765 nouveaux termes répertoriés et ajoutés au GDT, 3 401 figurent sur des fiches rédigées ou mises à jour par les terminologues de l’Office, le reste se trouvant sur des fiches produites par des partenaires » (p. 71). « Fiches produites par des partenaires » : là réside peut-être l’explication de la forte productivité de l’année précédente (377 % !), dans l'apport de la production externe plutôt que dans une hausse de la production interne. En tout état de cause, je me permets de formuler l’hypothèse.


En 2010-2011, le nombre de termes traités a été inférieur à l’objectif fixé – « légèrement en deçà de l’objectif fixé » nous dit le rapport annuel (p. 72) : à 81 % de l’objectif, peut-on dire que la production a été « légèrement en deçà » ? Les stakhanovistes de la langue peinent dorénavant à atteindre les objectifs, même revus à la baisse, du plan. Pas facile d’être un Stakhanov au pays de Maria Chapdelaine !


Un mot maintenant sur l’évaluation selon le nombre de termes traités plutôt que selon le nombre de fiches produites. Ce faisant, on perd de vue l’un des objectifs de la terminologie : réduire la synonymie dans les domaines techniques (objectif qui devrait être celui du GDT dans la mesure où il est encore un dictionnaire terminologique…). La réduction de la synonymie n’est évidemment pas un dogme en soi. Et je sais qu’on peut faire valoir des arguments pour maintenir un certain niveau de synonymie dans les travaux terminologiques. Mais dans bien des domaines techniques (commerce international, terminologie médicale, etc.), ce que l’on appelle la biunivocité (un terme pour un concept) s’impose souvent comme une nécessité : la prolifération de la synonymie n’est guère souhaitable dans la rédaction des dossiers médicaux, pour ne prendre que ce seul exemple. Et cela ne serait pas un problème si le GDT n’était pas en train de se transformer en dictionnaire de la langue courante, avec toutes ses imprécisions, ses ambigüités et ses calques (même si on prend bien soin d’éliminer le plus possible les anglicismes lexicaux, les Québécois étant très chatouilleux sur la question).


vendredi 9 mars 2012

Premier anniversaire du blog


Source : Syndicat Force Ouvrière Mutuelle des Motards


Le 9 mars 2011, je publiais mon premier billet, « Mise en bouche ». Cela suivait de quelques semaines la publication du manifeste Au-delà des mots, les termes de dix-neuf anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française. Certains auraient voulu voir dans les signataires de cette lettre ouverte un groupe de puristes qui avaient monté en épingle une demi-douzaine d’exemples critiquables.


Pour une part, c’est pour prouver que les fiches critiquables dépassaient – et de loin ! – la demi-douzaine que j’ai rédigé plusieurs dizaines de billets sur le Grand Dictionnaire terminologique.


Je me fixais aussi l’objectif de répondre à l’accusation de purisme. Car il était si facile de faire passer les auteurs de la lettre ouverte pour des puristes. Je notais qu’il y a de la malhonnêteté intellectuelle à traiter de puristes, c’est-à-dire de personnes prônant le maintien d’un état de langue vieilli, les gens qui souhaitent insérer davantage les Québécois dans l’évolution moderne du français. L’accusation de purisme est l’arme habituelle dont se servent les adeptes de l’anti-modernité pour réduire leurs adversaires au silence. Tous les partisans de la modernité ont été traités de puristes. Mais les vrais puristes, les puristes pure-laine, sont ceux qui veulent nous faire revenir en arrière d’un siècle ou deux. Comme on le voit, et c’est regrettable, dans un certain nombre de fiches du GDT. Je rappellerai un seul exemple (pour d’autres exemples, voir le billet « Le purisme pure-laine ou le Grand Bond en arrière ») :


La locution être à l'emploi de est d'un usage ancien et généralisé au Québec, tant dans le registre spécialisé que dans le registre courant. [fiche de 2003; signalons que le Bureau des traductions à Ottawa considère qu’il s’agit d’un anglicisme !]


Mais, plus fondamentalement, mon objectif a toujours été de lutter contre certaines idées reçues au sujet de la langue, en particulier au sujet du français au Québec, tant du point de vue de la norme que de celui du statut. Et je me donnais deux modèles : le livre de Geoffrey K. Pullum, The Great Eskimo Vocabulary Hoax, and Other Irreverent Essays on the Study of Language et celui de Jean Sévilla, Historiquement correct, Pour en finir avec le passé unique. C’est dans cette perspective que j’ai publié un certain nombre de billets, « Le marteau de Fishman », « Un pavé dans la mare », « Deux principes de sociolinguistique », etc. Et j’entends à l’avenir privilégier cette voie sans pour autant exclure la possibilité de publier, à l’occasion, des billets sur des questions de terminologie.


jeudi 8 mars 2012

La consolation de la comparaison



La variété de langue parlée dans certains films québécois suscite des questionnements, quand ce n’est pas des controverses. J’ai déjà fait écho aux propos de Paul Warren dans un billet en octobre dernier (« La parlure du cinéma québécois »). Plusieurs s’indignent en effet que l’on double ou sous-titre les films et les séries de télévision produits au Québec lorsqu’ils sont présentés dans d’autres pays francophones. C’est un sujet sur lequel je reviendrai plus en détail un de ces jours.


Aujourd’hui, je me contente de vous retranscrire un passage d’un livre que je suis en train de lire et où l’auteur aborde, en un paragraphe, la question des films qui sont tournés dans une variété d’anglais qui n’est pas le General American ou celui dit « de la BBC » (les linguistes parlent plutôt de Received Pronunciation) :


Standards for […] mutual knowledge (or interest) are never going to be equal in both directions. It should not be surprising that the Australian films Mad Max (1979) and The Road Warrior (1981) and likewise the Scottish Gregory’s Girl (1981) and Trainspotting (1996) were dubbed for the U.S. market, whereas the converse, dubbing or subtitling U.S. films for Australia or Scotland, is a laughable idea. Every native speaker of whatever mother tongue version of English gets to understand General American, even if any reverse competence may be much more rarely achieved by Americans.




Nicholas Ostler propose, entre parenthèses, l’explication suivante:


This lack of symmetry could be called the metropolitan effect, since in states too where a plurality of languages is spoken, the universal tendency is for native speakers of the language of the metropolis (be it Mandarin Chinese, Latin, Greek, Arabic, Persian, French, Swahili – not just English) not to learn any of their state’s peripheral languages; all the linguistic accommodation is made in one direction.
– Nicholas Ostler, The Last Lingua Franca, English until the Return of Babel, New York, Walker Publishing Company, 2010, p. 61.


La dernière phrase me semble particulièrement importante : all the linguistic accommodation is made in one direction.



mardi 6 mars 2012

Un anglicisme à encadrer



Aujourd’hui, une simple curiosité trouvée dans le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française.


Le GDT livre des résultats légèrement différents si l’on fait la recherche en partant du mot caméraman plutôt que du mot cadreur.


Si l’on tape le mot caméraman, le GDT n’offre qu’une fiche de 1994 avec en entrée principale le terme caméraman, comme synonyme cadreur et comme quasi-synonyme opérateur. Sans mentionner que cadreur a été officialisé par la France en 1983. On indique que le pluriel est caméramans – intégration au système morphologique du français oblige. Le GDT est ici fidèle à sa logique d’intégrer les emprunts dans le système morphologique français (comme pour les emprunts qui sont déjà au pluriel en italien ou en inuktitut : des spaghettis et non des spaghetti, un Inuit et non un Inouk).


Plus curieusement, le GDT signale que le mot caméraman est masculin ou féminin.


Pourtant, toujours selon le même GDT, le féminin de recordman est recordwoman


Et l’intégration morphologique alors ?


Maintenant, si l’on tape le mot cadreur, le GDT offre deux fiches, l’une sur cadreur (sans date; mais surtout sans mention du synonyme caméraman), l’autre étant celle de 1994 dont nous venons de traiter et qui donne caméraman en entrée principale. On a omis d’harmoniser les deux fiches.



Le plus curieux dans tout cela, c’est quand même qu’il n’y ait aucune mention du fait que le terme cadreur a été normalisé en France. Pourtant, le GDT intègre depuis quelques années des fiches produites par des organismes français (comme l’Institut national du sport et de l'éducation physique).



Dernière curiosité, le politiquement correct est présent dans la fiche française qui donne comme terme anglais camera person. Et pourtant, la fiche a été rédigée en 1983, soit il y a près de trente ans. Il est piquant de rappeler qu’une bonne décennie plus tard, lors de la discussion, à l’Assemblée nationale de France, du projet de loi réformant la Cour d’assises, des critiques s’étaient élevées contre la formulation du serment des jurés, selon laquelle même une femme aurait dû s’engager à faire preuve de « l’impartialité et de la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre ». À ceux qui demandaient de remplacer le mot « homme » par « personne », Jacques Toubon, alors garde des Sceaux, avait répondu, cinglant : « C’est du canadien, du québécois, du langage des Nations Unies, du politiquement correct, mais ce n’est pas du français... »


(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)