mardi 28 février 2012

Deux principes de sociolinguistique


Au cours de ma carrière, j’ai assisté à de nombreux colloques. Depuis une dizaine d’années en particulier, j’ai assisté à des colloques où il était question de la valorisation de la variation linguistique, où on évoquait la légitimation des variétés non standard ou la reconnaissance des variétés de français et leur « instrumentalisation » (sans doute voulait-on dire instrumentation ; mais pourquoi ne pas plutôt y voir un lapsus freudien ?).


Le raisonnement politico-correct est toujours le même : toutes les langues se valent, toutes les variétés linguistiques sont égales entre elles. Du point de vue théorique, toutes les langues sont égales, bien sûr. Mais cela ne signifie pas qu’elles jouissent d’une égalité de statut ou qu’elles ont la même valeur sur le marché linguistique :


l’analyse des situations linguistiques du monde nous montre que les langues sont profondément inégales. Elles sont d’abord inégales du point de vue statistique : certaines sont très parlées, d’autres le sont peu […]. Elles sont inégales du point de vue social : certaines sont dominées […] tandis que d’autres dominent et assurent des fonctions de type officiel, littéraire, culturel, international, ou véhiculaire.
– Louis-Jean Calvet, Le marché aux langues : les effets linguistiques de la mondialisation, Paris, Plon, 2002, pp. 102-103.


Cette inégalité ne se manifeste pas qu’entre les langues, elle existe aussi entre les variétés d’une même langue.


Je propose d’expliquer le paradoxe de l’égalité et de l’inégalité des langues et des variétés de langue grâce à deux principes inspirés d’auteurs anglais de science-fiction.


Premier principe


Toutes les langues sont égales. Ce qu’une langue permet d’exprimer, une autre permet de l’exprimer tout aussi bien.


Le fait est bien connu et n’a guère besoin de démonstration. La façon d’exprimer le complément du nom en français, le livre de Pierre, n’est pas supérieure à celle du latin, liber Petri, ni à celle du hongrois, Péternek a könyve [= Pierre à + lelivre + suffixe possessif]. Et il en va de même à l’intérieur d’une même langue : la chienne de Jacques dit la même chose (sur le plan de la dénotation) que la chienne à Jacques (je laisse de côté la question de la connotation).


Je propose d’appeler ce premier principe le principe de Huxley, car il n’est pas sans rappeler l’égalité entre les êtres humains telle qu’elle est présentée dans Le meilleur des mondes :


"All men are physico-chemically equal," said Henry sententiously. "Besides, even Epsilons perform indispensable services."
– Aldous Huxley, Brave New World, chap. 5




Au niveau des phonèmes et des morphèmes, toutes les langues et toutes les variétés de langue se valent : All languages are phonetico-morphogically equal. Besides, even substandard varieties perform indispensable services.


Second principe


Mais comme tout un chacun le sait bien, certaines langues sont plus égales que d’autres. Combien y a-t-il de parents à Sept-Îles qui voudraient que l’on enseignât à leurs enfants la langue de leurs voisins montagnais (innus) ? S’il fallait une autre preuve, il n’y aurait qu’à regarder le marché de l’enseignement des langues secondes et étrangères où la valeur de l’anglais surpasse largement celle des autres langues. Cette inégalité se base sur ce que je propose d’appeler le principe d’Orwell :


All animals are equal but some animals are more equal than others.
– George Orwell, Animal Farm



Illustrations du principe d’Orwell


Voyons ce que donne l’application de ce principe en fonction du marché linguistique. Dans le monde des arts, les interprètes savent très bien de quel côté leur pain est beurré et s’ajustent en fonction du public qu’ils ciblent. Prenons l’exemple de deux acteurs de cinéma québécois très populaires ces dernières années : François Arnaud et Marc-André Grondin.


Sur le marché linguistique québécois, François Arnaud utilise le « français standard en usage au Québec » :



Sur le marché linguistique international, François Arnaud fait une brillante carrière en anglais :


Sur le marché linguistique québécois, Marc-André Grondin a tourné en « français standard en usage au Québec » dans C.R.A.Z.Y.



Pour percer le marché linguistique français, Marc-André Grondin a eu recours aux services d’un coach linguistique (et non d’un professeur de diction : dans ce dernier cas, il aurait parlé comme Jean-Louis Roux ou Gérard Poirier). Sur le marché linguistique français, Marc-André Grondin parle comme un Français de sa génération :


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