mercredi 27 février 2013

Les lacunes du Franqus dans la description du « français standard en usage au Québec »



Fidèle à une habitude prise depuis un certain temps, je vérifie si certains mots ou certains usages que j’entends ou lis dans les médias ont bien été enregistrés par le Franqus. Voici mes plus récentes glanures.


Pétromonarchie

C’est bien simple, les satrapes politiques des pétromonarchies, de l’Arabie saoudite en particulier, financent tout ce qui est inhérent au prosélytisme religieux en général et à sa version wahhabite en particulier.
Serge Truffaut, « L’islamo-fascisme », Le Devoir, 8 février 2013


Le Franqus indique que pétro- est un élément entrant dans la composition des mots. Il n’a toutefois pas le mot pétromonarchie.



Personnificateur féminin et conventum

Dans le Québec des années 1950, si un homme était surpris déguisé en femme, il prenait le chemin de la prison. Aujourd’hui, les personnificateurs féminins, ou drag queens, sont invités dans les talk-shows, inspirent les scénaristes télé (Cover Girl) et s’offrent le Métropolis pour célébrer 25 ans de carrière, comme le fera Mado Lamotte le 14 février prochain.
[…]
À partir de ses outrances au milieu des années 1980 dans des bars alternatifs comme le Poodle et le Lézard, Mado s’est vite imposée par ses costumes extravagants, son tempérament rassembleur (chaque été, elle organise le spectacle Mascara, véritable conventum de drag queens), un sens inné de la répartie doublé d’un sens certain des affaires, digne propriétaire du Cabaret à Mado.
André Lavoie, « 25 ans de personnification féminine Folles du roi et reines de la nuit », Le Devoir, 9 et 10 février 2013


Si le Franqus a bien une entrée drag-queen, en revanche il n’a ni personnification féminine ni personnificateur féminin. Ce calque de l’anglais (female impersonator) est pourtant attesté en français québécois depuis plusieurs années. Une recherche rapide sur Google m’a donné cette attestation de 2003 :

« L'Entre-Peau organisait son concours Miss Cabaret L’Entre-Peau. Comme je passais souvent pour une fille, mes amis m'ont inscrit. Et j'ai gagné le concours. J'ai toujours eu le goût de faire de la scène, du théâtre et de la danse, mais de là à m’imaginer être, un jour, animateur à l'Entre-Peau ! Ma carrière de personnificateur a commencé comme ça. Richard Leblanc, l'ancien patron, est comme un second père pour moi. »
Michel Joanny Furtin, « Drag sans lipstick », Fugues, 18 décembre 2003.


Il est encore plus surprenant de découvrir que le Franqus n’a pas enregistré le mot conventum, dont je trouve cette attestation datant de 1930 dans le Trésor de la langue française au Québec :

En vue du prochain conventum des anciennes élèves de l'École Normale de Saint-Pascal, en juin prochain, les anciennes appartenant à chaque région mentionnée ci-dessous, sont cordialement priées de donner leurs noms et adresses [...] aux directrices de recrutement [...].
Le Devoir, 15 janvier 1930

Le Wiktionnaire, plus complet sur ce point, donne une attestation de 1891 :
Ces messieurs adressèrent une lettre à M. l’abbé Colin, l’éminent supérieur du séminaire de Montréal, dans laquelle ils lui suggéraient de convoquer un conventum de tous les anciens élèves de cette grande maison.
Joseph Tassé, Le 38e fauteuil, ou Souvenirs parlementaires, 1891


Le Wiktionnaire indique que le mot est propre au français du Canada. Encore un aspect de la culture et de l’histoire du Québec qui a échappé au Franqus. Pourtant, le mot figurait dans l’édition de 1992 du Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (Robert).



Gratteux (de guitare)

Les policiers veulent aussi mettre la main sur le fichier numérique de 33 minutes sur lequel Stéfanie Trudeau exprime son mépris des gratteux de guitare. […]Enfin, les enquêteurs demandent tout enregistrement vidéo en possession de Radio-Canada qui provient de la Casa, le quartier général des « gratteux de guitare » sur la rue Papineau
Brian Myles, « Enquête élargie sur la policière Trudeau », Le Devoir, 16 février 2013

Le Franqus n’enregistre le substantif gratteux que dans le sens de « billet de loterie » (billet à gratter).



Belle-mère

D’où ces pantomimes de réformes – partielles et graduelles, timides et réversibles, déclarations solennelles suivies de presque rien – d’un Raúl Castro qui ne veut ni ne peut trancher dans le vif. Avec un Fidel en « belle-mère », toujours vivant, qui surveille derrière… et dont la simple existence biologique constitue sans doute le verrou décisif.
François Brousseau, « Immobilisme cubain », Le Devoir, 18 février 2013


Pour le mot belle-mère, le Franqus ne donne que deux sens : « mère du conjoint ou de la conjointe » et « seconde conjointe du père, par rapport aux enfants d’une première union ».


Encore une fois, Wikipédia nous renseigne plus sur l’usage québécois que le Franqus : « En politique québécoise, une belle-mère est un terme péjoratif utilisé pour décrire un ancien premier ministre retiré de la vie politique qui embarrasse son ancien parti par des critiques ou des déclarations incendiaires. »


Le mot a même été repris par Mgr Maurice Couture (archevêque émérite de Québec) dans ses commentaires sur la renonciation de Benoît XVI :

Bien sûr, l'Église catholique se retrouve maintenant dans une drôle de situation où un pape est nommé alors que son prédécesseur est toujours vivant. « C'est sûr que ça peut être assez embarrassant, commente Mgr Couture. Ça va lui demander un devoir de réserve extraordinaire et il ne faudra pas qu'il joue à la belle-mère ! »
Isabelle Mathieu, « Démission de Benoît XVI : Mgr Couture applaudit un geste ‘libérateur’, Le Soleil, 15 février 2013




Coadjuteur, coadjutrice

Le mot est défini ainsi dans le Franqus : 1) (n.m.) « évêque choisi pour aider un autre évêque ou un archevêque dans ses fonctions » ; 2) (n.f.) « religieuse nommée pour seconder une autre religieuse de rang supérieur (une abbesse, une prieure, la supérieure d’un couvent ».


Le Franqus n’a pas enregistré l’emploi du mot coadjuteur au masculin dans le cas d’un ecclésiastique qui ne serait pas évêque, au contraire du Trésor de la langue français informatisé : « Religieux adjoint au Supérieur d'un couvent, d'une abbaye et destiné à lui succéder. Coadjuteur d'un abbé; le père coadjuteur, le frère coadjuteur ».


De plus, le Franqus oublie qu’historiquement le coadjuteur avait souvent le droit de succéder à l’évêque résidentiel : « Évêque adjoint par le Pape à un évêque résidentiel pour l'assister dans l'exercice de ses charges avec le plus souvent droit de succession » (TLFi). Information confirmée dans Wikipédia : « Un évêque ou archevêque coadjuteur est un évêque nommé, comme un évêque auxiliaire, aux cotés d'un évêque diocésain, mais avec droit de succession immédiate sur le siège de l'évêque à qui il est adjoint après la démission ou le décès de ce dernier. »

Le Franqus omet enfin de dire que, par extension, le mot coadjuteur désigne une « personne qui assure des fonctions d'aide ou de remplacement » (TLFi).



Partitionniste (partisan, généralement anglophone, de la partition du Québec)

Au lendemain de cette manifestation, la ministre De Courcy s’est émue d’avoir entendu l’orateur Beryl Wajsman, rédacteur en chef du journal partitionniste The Suburban, qualifier à tue-tête l’actuel gouvernement péquiste de « ségrégationniste ».
Christian Gagnon, « Le PQ n’est pas au pouvoir » (libre opinion), Le Devoir, 21 février 2013


Le mot partitionniste (adjectif et nom) est absent de la nomenclature du Franqus, tout comme le mot partitionnisme.


Les mots partitionniste et partitionnisme sont attestés depuis au moins 1996 (Georges Ansellem, « Partitionnisme contre souverainisme », Le Devoir, 4 mars 1996). En 1997, Alain Roy a fait paraître une analyse intitulée « Le discours partitionniste » dans la revue Liberté.


Il faut admettre que, tout comme ces ouvrages « conçus et élaborés en France », le Franqus rend souvent « compte de réalités sociales, historiques, géographiques, administratives et culturelles avant tout françaises et européennes » et qu’il néglige certaines de nos réalités politiques.



Brun (billet de 100 $), enveloppe brune

L’ancien maire de Montréal, Jean Doré, […] ne se souvient plus du nom de celui qui lui offrait le pot-de-vin. L’événement s’est passé deux semaines avant l’élection, en marge d’une assemblée publique. « Quelqu’un m’attendait avec une enveloppe ouverte, avec beaucoup de bruns. […] »
« Jean Doré a refusé une enveloppe brune », Le Devoir, 21 février 2013, encadré de la page A3.


Ce sens familier du mot brun en français québécois n’a pas été enregistré dans le Franqus.


Le dictionnaire a toutefois enregistré le sens « somme d’argent donnée ou reçue de manière illicite » du mot enveloppe mais il a omis le syntagme très fréquent dans la presse québécoise et sur nos ondes enveloppe brune.



Température (temps qu’il fait)

L’enjeu occupera encore ce mercredi la ministre Finley. Elle doit rencontrer la Coalition sur l’assurance-emploi du Québec, de même que la ministre québécoise du Travail Agnès Maltais – si la température le permet. Il y a deux semaines, Mme Maltais avait été forcée de rebrousser chemin lorsque son avion n’a pas pu se poser dans la région d’Ottawa en raison d’une tempête de neige. La météo ne s’annonce pas plus clémente mercredi.
Guillaume Bourgault-Côté et Marie Vastel, « Assurance-emploi – La performance des enquêteurs est scrutée chaque semaine », Le Devoir, 27 février 2013


Le sens « temps qu’il fait » donné communément au Québec au mot température a échappé aux auteurs du Franqus. Pourtant, ce sens est déjà consigné dans plusieurs ouvrages (Dictionnaire québécois d’ajourd’hui, Multidictionnaire, etc.). Le Grand Dictionnaire terminologique précise même : « Le mot température a rapport seulement à la chaleur ou au froid et à l'humidité qui fait que la chaleur ou le froid, à un même degré, est plus ou moins ressenti par les êtres humains. Il ne s'applique nullement à l'état du ciel. »


Quand on voit qu’un usage si typique du français québécois, et si courant, n’a pas été répertorié par l’équipe du Franqus, on peut avoir des doutes sur l’ensemble de cette entreprise lexicographique.



Travaux communautaires

Entendu récemment sur TV5 cette expression : travail d’intérêt général (« peine de substitution à l'emprisonnement dans certaines conditions » selon le TLFi). Ce qui m’a incité à vérifier si le québécisme travaux communautaires (en anglais community service) figurait bien dans la nomenclature du Franqus. On emploie aussi au Québec le terme travaux compensatoires.


Encore un usage québécois qui a échappé aux auteurs du Franqus.


Et aussi aux terminologues de l’Office puisque je n’ai rien trouvé dans le GDT. La fiche community service (traduction : service communautaire) qu’on y trouve concerne un tout autre domaine (« organisme, public ou privé, qui assure à la population d'une aire géographique vivant en logement autonome des services sociaux courants »).


Curiosité : Le Franqus a pourtant le sigle TIG « travail d’intérêt général » mais le terme n’est pas défini dans le dictionnaire. Encore une incohérence.


On notera que Wikipédia mentionne que travaux communautaires est l’équivalent québécois de travail d’intérêt général.

lundi 25 février 2013

Salade d’avocats au caviar : la commission Bastarache



[…] pour que justice soit rendue, il faut que la langue des tribunaux soit claire et comprise par ceux à qui ils s’adressent. »
André Braën, « Un français identitaire, égalitaire et utilitaire », Argument 13/2 (2011), p. 158 


Un ancien collègue m’écrit pour me faire part de ses remarques sur la langue utilisée dans les travaux de la Commission Charbonneau. Je n’ai pas suivi assidûment les séances de cette Commission mais ce que j’en ai entendu, et je ne parle que de l’aspect linguistique, m’a semblé supérieur aux propos souvent, disons malhabiles pour être gentil, entendus à la Commission Bastarache. Rappelons que la Commission Bastarache « sur le processus de nomination des juges de la Cour du Québec, des cours municipales et des membres du Tribunal administratif du Québec » a tenu ses audiences en août et septembre 2010. Son mandat a été résumé ainsi dans le blog de Jean-François Lisée : « Oui ou non, le premier ministre Jean Charest a-t-il directement ordonné à son ministre de la Justice de procéder aux nominations de juges réclamées par les collecteurs de fonds du Parti libéral du Québec ? » (« La faute ‘colossale’ de Bastarache », Le blogue de Jean-François Lisée, 19 janvier 2011).


L’intervention de mon ancien collègue m’a amené à revoir les notes que j’avais prises en 2010 et à publier enfin mon billet sur la langue de la Commission Bastarache.

*   *   *


L’un des mots les plus utilisés par la Commission a été l’adjectif (et participe passé) caviardé « supprimé par la censure » (cliquer ici pour lire l’explication fournie par Antoine Robitaille de l’origine de ce mot). Ce qui explique le titre de mon billet.


Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Commission a fait couler beaucoup d’encre… D’ailleurs, doit-on dire un encre ou une encre ? Le procureur de la Commission avait manifestement des problèmes avec le sexe des encres. Surtout quand il s’agissait d’« un » encre ou d’une encre qui « luminesce » :

Pour arriver à distinguer les encres, on procède par spectrométrie, en éclairant à diverses fréquences le texte qu'on veut étudier. La seconde encre utilisée est luminescente : elle brille sous la lampe du scientifique. La première ne l'est pas. Dans son style étonnant, l'expert, qui a publié sur le web deux études touffues sur l'encre de stylo-bille, a expliqué à un commissaire perplexe : « On peut exciter l'encre qui est en dessous pour qu'elle fluoresce[1] ou qu'elle luminesce » (Cyberpresse.ca, 16 septembre 2010).


On s’est interrogé aussi sur les trois stylos – ou étaient-ce les trois crayons ? – utilisés par Me Bellemare. Ce qui a donné lieu à cet échange sur la distinction à faire entre un stylo et un crayon :

– Des stylos ? Des stylos ?
– Pour moi, un crayon, c’est un crayon de plomb, moi, je suis de la vieille...
– Oui.
– ... école, un crayon de plomb, c’est... c’est ce qu’on aiguise, là, dans le trou, là...
–. Oui.
– ... et un stylo, c’est ce qui n’est pas un crayon de plomb.
(Audience du 16 septembre 2010)


Il y a eu quelques bourdes linguistiques notables – comme celle de cet ancien ministre qui a avoué tout bonnement s’être « enquéri » de la procédure. Ou encore celle de l’avocat qui a déclaré : « je ferme mon aparté là-dessus » (je ferme la parenthèse).


On a pu constater, tout au long des audiences, que la sémantique n’était pas le point fort de bien des avocats. C’est ainsi que MSuzanne Côté, avocate du gouvernement, a présenté MBellemare, qui avait fait des démarches pour faire venir le pape à Québec, comme… « libre penseur ». Rappelons la définition de ce mot dans le Trésor de la langue française informatisé :

LIBRE(-)PENSEUR, -EUSE, (LIBRE PENSEUR, LIBRE-PENSEUR)adj.
Qui s'oppose aux croyances installées et en particulier aux dogmatismes religieux, pour ne se fier qu'à ce qui est librement établi et prouvé par la raison. Synon. libertin (vieilli), rationaliste.


Mais la palme de l’incohérence sémantique va probablement à cette déclaration :

Alors que les audiences ont été ponctuées par la fuite de quelques documents, ce qui a valu aux parties d’être rappelées à l’ordre, M. Versailles s’est montré confiant que le contenu du rapport ne sera pas connu avant son dépôt officiel. « Le rapport va circuler à l’intérieur de mains sûres, a-t-il dit. Le rapport est rédigé entièrement par des gens de la commission et il n’est pas prévu qu’il circule à l’extérieur. »
« Bastarache à l’heure du bilan », Le Soleil, 23 octobre 2010, p. 28


La Commission s’est aussi signalée par ses anglicismes (lexicaux comme rubber stamp) mais surtout par ses calques : « prendre une pause » plutôt que « faire une pause », « prendre le serment » au lieu de « prêter serment »; « je soumets que», « je vous soumettrais deux hypothèses » (je vous fais observer que, je vous fais valoir, je prétends); « poste à être comblé » (poste à combler), etc.


Le traducteur Jude Des Chênes (dans un texte dont j’ai malheureusement perdu la référence) a relevé l’emploi de « réconcilier » au lieu de « concilier » dans la phrase d’un avocat. À son avis, il s’agit d’une mauvaise traduction de l’anglais « to reconcile ».


Et Chantal Landry, du bureau du premier ministre, faisait du « screening ». C’est-à-dire qu’elle faisait un « tri » ou une « sélection » à partir d’une liste de candidats proposés par Charles Rondeau, selon le témoignage de ce dernier, afin de combler des postes disponibles dans la fonction publique.


Comment ne pas conclure en citant le texte très connu de Tocqueville ? Dans les années 1830, revenant d’une visite dans un tribunal de Québec, Alexis de Tocqueville écrivait :

Les avocats que je vis là, et qu’on dit les meilleurs de Québec, firent preuve de talent ni dans le fond des choses ni dans la manière de les dire. Ils manquent particulièrement de distinction, parlent français avec l’accent normand des classes moyennes. Leur style est vulgaire et mêlé d’étrangetés et de locutions anglaises. Ils disent qu’un homme est « chargé » de dix louis pour dire qu’on lui demande dix louis. [...] L’ensemble du tableau a quelque chose de bizarre, d’incohérent, de burlesque même. Le fond de l’impression qu’il faisait naître était cependant triste. Je n’ai jamais été plus convaincu qu’en sortant de là que le plus grand et le plus irrémédiable malheur pour un peuple, c’est d’être conquis.
Tocqueville au Bas-Canada, Montréal, Éditions du Jour, 1973, p. 92



[1] Le verbe fluorescer figure dans Le Trésor de la langue français informatisé.

dimanche 17 février 2013

Ah ! Comme la neige a neigé ! Mon toit est un jardin de neige



Les immeubles dotés d’un arrêt-glace sont aussi susceptibles de laisser tomber de la neige ou de la glace. Lorsqu’une accumulation se détache en bloc, elle prend de la vitesse et la portée de sa chute est augmentée. Dans ces cas, même un arrêt-glace ne peut retenir ces amoncellements. La vigilance est de mise.
Ma ville, bulletin municipal de Québec, édition La Cité-Limoilou, vol. 7, no 1, février 2013, p. 8


En ce début de l'automne, les propriétaires de toits métalliques pourront songer à faire installer des garde-neige pour empêcher les avalanches durant l'hiver. « Des compagnies d'assurances exigent maintenant l'installation d'arrêts de neige », dit M. Raymond. Un coroner en avait fait la recommandation après la mort d'enfants, enterrés sous de lourdes chutes de neige provenant de toits métalliques plus glissants.
« Attention au toit et aux gouttières », Le Droit, 25 septembre 2010.


Les dispositifs, variés, pour empêcher les chutes de neige ou de glace sur les piétons s’appellent en anglais (roof) snow (and ice) guard et snow hooks; en français, on trouve garde-neige, arrêt (de) neige, arrêt (de) glace, bec à neige, crochet à neige, stop neige®, crochets garde-neige, grilles para-neige, crochets para-neige, tuyaux d’arrêt-neige, barre à neige et la liste n’est peut-être pas exhaustive.


Aucun de ces termes ne figure dans le Franqus, Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec. Rappelons une partie de l’argumentaire de ce dictionnaire :


 
« […] les dictionnaires usuels disponibles actuellement au Québec sont conçus et élaborés en France. Ces ouvrages rendent compte de réalités sociales, historiques, géographiques, administratives et culturelles avant tout françaises et européennes et accueillent avec parcimonie les spécificités linguistiques et culturelles d'ici » (Franqus)




Visiblement, il reste encore beaucoup à faire pour rendre compte des réalités climatiques du Québec.

mardi 12 février 2013

Mélanges


Pour commémorer le deuxième anniversaire
du manifeste Au-delà des mots, les termes


En parcourant les circulaires (sens non enregistré par le dictionnaire Franqus) de la semaine, je lis « mélange à sauce pour viande » là où le français standard aurait dit « préparation pour sauce ». Je vérifie dans le Franqus : il a bien enregistré ce sens québécois du mot mélange (venant de l’anglais mix), il le classe dans la catégorie des anglicismes critiqués mais il le limite malencontreusement à l’expression mélange à gâteau (cake mix) alors que son emploi est plus général.


Que dit le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française ? Il n’y a pas moins de 25 fiches ayant pour entrée le mot mélange, dont 16 rédigées par les terminologues de l’Office. On ne s’étonnera plus de trouver le calque mélange pour crème glacée (ice cream mix) dans une fiche de 2010 avec une remarque puriste qui ne manque pas de sel dans le contexte : « Le terme mix, utilisé surtout en français d'Europe, est un emprunt intégral à l'anglais (de ice-cream mix). Cet emprunt est à déconseiller pour favoriser l'implantation des termes français qui sont déjà généralisés dans l'usage. » On déconseille un terme anglais et on propose à sa place un calque. C’est exactement la situation qu’ont dénoncée il y a deux ans 19 anciens terminologues de l’Office dans leur manifeste Au-delà des mots, les termes.


Si on interroge le GDT à partir du terme anglais cake mix, on a comme réponse deux fiches donnant préparation pour gâteau, avec comme « terme déconseillé » mélange à gâteau (proposition contredite par la fiche de 2010 qui entérine le terme mélange comme équivalent de mix dans un contexte semblable !). Les deux fiches préconisant le terme préparation ont été rédigées en 1983 et 1984 – donc bien avant la réorientation du GDT. D’autres fiches, non produites par l’Office mais rédigées en 1980 et intégrées au GDT, utilisent aussi préparation au lieu de mélange (par exemple, chocolate cake mix : préparation à gâteau au chocolat) (encore d'autres contradictions illustrant la dérive apparue il y a une dizaine d'années !).


On ne peut mieux illustrer la dérive dénoncée par les anciens terminologues de l’Office.



mercredi 6 février 2013

Du salon à la chambre à air et à la rustine



Le point de départ de ce billet a été la phrase suivante que j’ai lue dans une lettre publiée dans Le Devoir le 31 janvier 2013 : « Tout le monde s'accordait sur les mérites du ministre Jean-François Lisée quand il se contentait de briller en salonnard de la télévision » (Hubert Larocque, « Les écarts du ministre Lisée »).


J’ai voulu vérifier, car on ne sait jamais…, si le mot salonnard figurait bien dans le Franqus, « Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec ». Puis mon attention a été attirée par le mot salon. Le Franqus nous dit que, dans l’usage québécois (« UQ »), le mot signifie « pièce d’une habitation destinée à la détente, aux loisirs, où l’on se réunit en famille et entre amis » ; il est alors synonyme de séjour. Mais comme le séjour est une « pièce servant à la fois de salon et de salle à manger », doit-on en conclure qu’au Québec on mange dans le salon ?


En passant, dans la plupart des familles, une « pièce destinée aux loisirs » s’appelle une salle de jeux.


Toujours pour le mot salon, le Franqus donne, sans marque, l’expression acheter un salon (où salon a le sens de « mobilier de salon »). Expression que je n’ai jamais entendue au Québec, même dans la publicité, où on utilise plutôt, au complet, mobilier de salon : « L'achat d'un mobilier de salon représente souvent un investissement important » (Marie-Christine Tremblay, « Choisir son mobilier de salon », Décormag, janvier-février 2013). Pour suivre la logique du Franqus, l’expression aurait dû être précédée de la marque UF (usage de France). Admettons donc que cet exemple montre bien à quel point il est difficile de faire le départ entre usage standard et usage de France dès lors qu’on laisse de côté tout ce qui relève des statalismes propres à la France (carte grise, conseillers généraux, route départementale, lycées, etc.)[1].


Passons du salon à la chambre. Au mot chambre, nous trouvons le terme chambre à air, défini ainsi : « Boyau circulaire en caoutchouc gonflé à l'air ». C’est la même définition que celle du Trésor de la langue française informatisé, à un détail près, un détail sans importance : le TLFi ajoute tout simplement que l’air est… comprimé. Reconnaissons-le, notre Franqus est gonflé quand il comprime à ce point les définitions.


On remarquera que, sous chambre à air, le Franqus ne donne pas le synonyme québécois tripe.


Mais il donne l’exemple réparer une chambre à air avec une rustine. Au mot rustine, il n’y a pas de mention de l’UQ patch, qui figure pourtant ailleurs comme anglicisme critiqué : encore une description incomplète de l’usage québécois.


Comme l’Office québécois de la langue française, le Franqus donne aussi à rustine le sens de « séquence de code informatique ajoutée à un programme pour corriger un bogue, etc. », ce qu’en anglais on appelle patch ou patch program(me). Mais, sous patch, « anglicisme critiqué », le Franqus nous dit qu’en informatique il s’agit d’un correctif et il ajoute la note suivante : « l’emploi de retouche et celui de correctif ont fait l’objet d’une recommandation officielle en France. » Pas de mention de la rustine du Grand Dictionnaire terminologique ! J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, je n’hésite pas à me répéter : encore une fois, c’est bien le français (de France) vu du Québec, comme le dit le sous-titre du Franqus, ce n’est pas le français vu et entendu au Québec.


Pour terminer, une coquille du Grand Dictionnaire terminologique, s.v. programme de correction :

« Les programmes de correction complétaient souvent les outils de diagnostic et d'inventaire an 2000 pour rendre compatibles avec l'an 2000 les horloges des PC et les logiciels qui ne l'étaient pas. »




[1]  Même l’argot français finit par s’introduire au Québec : flic, gratos, etc. Ce qui ne peut guère être le cas des statalismes.