lundi 27 juillet 2015

Le québécois standard illustré par l’exemple / 13


Écrire en anglais avec des mots français


Tania Longpré, enseignante en francisation des immigrants et blogueuse au Journal de Montréal, est une des critiques les plus vocales du Forum de Liège — elle faisait partie des 150 participants logés dans des locaux insalubres et qui ont dû être relogés.
— Jean-Benoît Nadeau, « Liège bouchonne la Francophonie », Le Devoir, 27 août 2015.


Une critique vocale ? Ce n’est pas à Liège qu’elle devait aller mais au concours Reine-Élisabeth de Belgique tenu quelques semaines plus tôt à Bruxelles ! À moins que le journaliste n’ait voulu dire que Mme Longpré a été une critique qui s’est bien fait entendre, une critique particulièrement bruyante ou dérangeante. L’adjectif vocal n’a pas (encore) ce sens en français.


mercredi 15 juillet 2015

Pénélope terminologue



Le 27 avril dernier, je notais dans ce blog que l’Office québécois de la langue française avait rétrogradé le mot soda qui n’apparaît plus en vedette dans ses fiches au profit de boisson gazeuse. Je donnais deux fiches en exemple, l’une de 2001 (soda au gingembre), l’autre de 2014 (boisson gazeuse au gingembre(cliquer sur les fiches pour les agrandir) :








La situation est d’autant plus curieuse que la compagnie Canada Dry vient de lancer une campagne de publicité où elle utilise le terme soda gingembre (plutôt que boisson gazeuse au gingembre, premier terme maintenant donné dans le Grand Dictionnaire terminologique) :



Je me demande encore quelle nécessité il y avait de perdre du temps à changer des dizaines de fiches pour y mettre en premier lieu boisson gazeuse plutôt que soda. D’autant plus que l’Office admet, dans ses fiches, que c’est le terme soda qui est « surtout employé dans la langue du commerce, en particulier dans l’étiquetage ». L’Office, conformément à son mandat, devrait s’occuper en priorité de la francisation de la langue du commerce et des affaires : alors, pourquoi ne pas mettre en tête de ses fiches le mot soda ?


La volte-face de l’Office, qui donne aujourd’hui priorité au terme boisson gazeuse, peut paraître paradoxale quand on lit dans la liste des sources, à la fin de l’article soda du Trésor de la langue française de Nancy, cette référence aux travaux de l’ancienne Commission de terminologie de l’Office de la langue française :

DUBUC (R.). Décisions de la Commission de terminol. de l'OLF. Meta. 1979, t. 24, no 3, pp. 414-415; n o 4, p. 493.


Comme je l’écrivais le 27 avril : à l’heure où l’Office ne parvient pas à faire du français la langue de travail sur le chantier du mégahôpital francophone de Montréal, on peut se demander s’il ne serait pas plus judicieux de réaffecter des ressources humaines à la francisation des entreprises plutôt que d’encourager des terminologues à continuer de jouer les Pénélope qui défont aujourd’hui ce qui a été fait hier.


mardi 7 juillet 2015

Lucullus, à l’aide !


Pour les épicuriens, mais surtout les épicurieux, ce resto festif offre une foule de concepts amusants pour vous divertir un brin et participer à l’élaboration de votre assiette de rêve.
Véronique Harvey, « Un brunch en cadeau », Journal de Montréal, 18 juin 2015


J’ai entendu plusieurs fois hier à la radio (Ici Radio-Canada Première) le mot épicurieux. Dans le contexte, il était clairement l’équivalent du mot anglais foodie. Je me rappelais avoir déjà vu une fiche « foodie » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) et je suis donc retourné vérifier si la magnifique trouvaille qu’est le mot épicurieux y figurait. Eh bien, non. On propose plutôt d’employer cuisinomane, ce qui dénote une méconnaissance inadmissible de l’étymologie et montre que l’on devrait exiger des terminologues qu’ils connussent des éléments de langues anciennes puisque le latin et le grec sont à la base d’un grand nombre de termes techniques non seulement en français mais dans la plupart des langues européennes.


Comme nous l’indique le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), ‑mane est un « Élém. tiré du gr. μανης, tiré lui-même de μανία ‘ folie ’, toujours vivant, entrant dans la constr. de subst. pouvant avoir des emplois adj. et désignant des pers. atteintes d'une habitude morbide, d'une passion indiquée par le 1er élém.; la plupart de ces mots appartiennent au vocab. de la psychol., de la psychopathol. ». Le TLFi est clair : ce suffixe sert à former des mots appartenant au vocabulaire de la psychologie, en particulier de la psychopathologie* (cleptomane, mythomane, nymphomane, pyromane, toxicomane, etc.). L’utilisation de ce suffixe pour désigner des domaines d’activité ou d’intérêt est beaucoup plus rare (le seul mot courant semblant être mélomane). Il n’est pas venu à l’esprit du terminologue que le mot ‑phile aurait mieux fait l’affaire dans ce cas. D’ailleurs, le bon peuple qui lit le Journal de Montréal ne s’y est pas trompé, lui, et a vu en cuisinomane un terme négatif : il suffit de lire les commentaires qui suivent l’article de Mikael Lebleu, « Fini les foodies, il faut maintenant dire les cuisinomanes », Journal de Montréal, 8 mai 2015 (cliquer sur le titre pour accéder au texte et aux commentaires). Comme je n’ai eu accès à ce texte que via la version « en cache » de Google (n’étant pas abonné au JdeM) et que je soupçonne que plusieurs lecteurs auront à faire face à la même difficulté, je retranscris les commentaires (y compris une obscénité en italien) :

Dans la catégorie: on gaspille nos taxes. L'OQLF frappe encore. Cuisinomane et non pas foodie. Ma andate a fa 'ngulo! pic.twitter.com/XMvD20ZH2D
— Steve Galluccio (@stevegalluccio) 7 Mai 2015
«Cuisinomane», ça donne l'impression qu'une cuisine va être assassinée. (Tweet Précédent)
— ...ton assiette? (@VasTuFinir) 7 Mai 2015
@FabiennePapin @OQLF DSM? Comme dans «un dangereux cuisinomane» ? Très drôle !
— Ariane Krol (@ArianeKrol) 6 Mai 2015
@OlivRomano #cuisinomane ou l'art de foutre ta cuisine en feu!?
— Dan Roy (@djroy65) 7 Mai 2015



Je ne sais pas à qui l’on doit le mot épicurieux, mais j’avoue que la trouvaille est ingénieuse. Malheureusement, l’Office ne l’a pas introduite dans sa fiche « foodie ».


Le GDT a la note suivante : « La désignation foodie […] est un emprunt intégral à l’anglais qui ne s’intègre pas au système linguistique français ». Affirmation péremptoire et dénuée de tout fondement. Faisons un peu de linguistique, et en particulier de phonologie, puisque cela ne semble pas une activité fréquente à l’Office. Foodie et toupie constituent une paire où ne varient que deux phonèmes tout à fait français. Le mot foodie s’intègre donc très bien au système phonologique du français. Du point de vue morphologique, il se termine par –ie, comme les mots roupie, toupie, folie, chipie, etc.
________
* J'avais d'abord écrit psychopédagogie. Ce lapsus digiti est très révélateur...