mardi 7 juillet 2015

Lucullus, à l’aide !


Pour les épicuriens, mais surtout les épicurieux, ce resto festif offre une foule de concepts amusants pour vous divertir un brin et participer à l’élaboration de votre assiette de rêve.
Véronique Harvey, « Un brunch en cadeau », Journal de Montréal, 18 juin 2015


J’ai entendu plusieurs fois hier à la radio (Ici Radio-Canada Première) le mot épicurieux. Dans le contexte, il était clairement l’équivalent du mot anglais foodie. Je me rappelais avoir déjà vu une fiche « foodie » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) et je suis donc retourné vérifier si la magnifique trouvaille qu’est le mot épicurieux y figurait. Eh bien, non. On propose plutôt d’employer cuisinomane, ce qui dénote une méconnaissance inadmissible de l’étymologie et montre que l’on devrait exiger des terminologues qu’ils connussent des éléments de langues anciennes puisque le latin et le grec sont à la base d’un grand nombre de termes techniques non seulement en français mais dans la plupart des langues européennes.


Comme nous l’indique le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), ‑mane est un « Élém. tiré du gr. μανης, tiré lui-même de μανία ‘ folie ’, toujours vivant, entrant dans la constr. de subst. pouvant avoir des emplois adj. et désignant des pers. atteintes d'une habitude morbide, d'une passion indiquée par le 1er élém.; la plupart de ces mots appartiennent au vocab. de la psychol., de la psychopathol. ». Le TLFi est clair : ce suffixe sert à former des mots appartenant au vocabulaire de la psychologie, en particulier de la psychopathologie* (cleptomane, mythomane, nymphomane, pyromane, toxicomane, etc.). L’utilisation de ce suffixe pour désigner des domaines d’activité ou d’intérêt est beaucoup plus rare (le seul mot courant semblant être mélomane). Il n’est pas venu à l’esprit du terminologue que le mot ‑phile aurait mieux fait l’affaire dans ce cas. D’ailleurs, le bon peuple qui lit le Journal de Montréal ne s’y est pas trompé, lui, et a vu en cuisinomane un terme négatif : il suffit de lire les commentaires qui suivent l’article de Mikael Lebleu, « Fini les foodies, il faut maintenant dire les cuisinomanes », Journal de Montréal, 8 mai 2015 (cliquer sur le titre pour accéder au texte et aux commentaires). Comme je n’ai eu accès à ce texte que via la version « en cache » de Google (n’étant pas abonné au JdeM) et que je soupçonne que plusieurs lecteurs auront à faire face à la même difficulté, je retranscris les commentaires (y compris une obscénité en italien) :

Dans la catégorie: on gaspille nos taxes. L'OQLF frappe encore. Cuisinomane et non pas foodie. Ma andate a fa 'ngulo! pic.twitter.com/XMvD20ZH2D
— Steve Galluccio (@stevegalluccio) 7 Mai 2015
«Cuisinomane», ça donne l'impression qu'une cuisine va être assassinée. (Tweet Précédent)
— ...ton assiette? (@VasTuFinir) 7 Mai 2015
@FabiennePapin @OQLF DSM? Comme dans «un dangereux cuisinomane» ? Très drôle !
— Ariane Krol (@ArianeKrol) 6 Mai 2015
@OlivRomano #cuisinomane ou l'art de foutre ta cuisine en feu!?
— Dan Roy (@djroy65) 7 Mai 2015



Je ne sais pas à qui l’on doit le mot épicurieux, mais j’avoue que la trouvaille est ingénieuse. Malheureusement, l’Office ne l’a pas introduite dans sa fiche « foodie ».


Le GDT a la note suivante : « La désignation foodie […] est un emprunt intégral à l’anglais qui ne s’intègre pas au système linguistique français ». Affirmation péremptoire et dénuée de tout fondement. Faisons un peu de linguistique, et en particulier de phonologie, puisque cela ne semble pas une activité fréquente à l’Office. Foodie et toupie constituent une paire où ne varient que deux phonèmes tout à fait français. Le mot foodie s’intègre donc très bien au système phonologique du français. Du point de vue morphologique, il se termine par –ie, comme les mots roupie, toupie, folie, chipie, etc.
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* J'avais d'abord écrit psychopédagogie. Ce lapsus digiti est très révélateur...



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