mercredi 27 mars 2019

La distribution des prix


L’organisme Impératif français a procédé, ces jours derniers, à sa distribution annuelle de prix. Un des prix d’excellence a été remis à l’Asulf (Association pour le soutien et l’usage de la langue française). Je profite de l’occasion pour souligner le travail de son président-fondateur, le juge Robert Auclair. Ce dernier intervient quasi quotidiennement auprès des médias pour les inciter à corriger certaines fautes de langage. L’actualité nous permet de nous rendre compte du succès de ces interventions : au moment où le gouvernement québécois s’apprête à déposer son projet de loi sur la laïcité et à recourir vraisemblablement à la « clause nonobstant » de la constitution de 1982 qui nous fut imposée bien malgré nous, je constate que les journalistes utilisent de plus en plus souvent l’expression correcte « disposition de dérogation ». Or, il se trouve que M. Auclair a envoyé récemment plusieurs lettres sur ce thème à des journalistes.


Impératif français distribue aussi des prix Citron. Cette année, l’Office québécois de la langue française en reçoit deux : cliquer ici pour les détails. Félicitations à l’Office !


La mairesse de Montréal reçoit, elle aussi, un prix Citron. Dans son cas, c’est pour un discours prononcé uniquement en anglais. Il serait sans doute plus juste de parler du prix de la Carpette anglaise.


Distribution des prix à la manière de Trump



vendredi 22 mars 2019

Une profession d’avenir : scribe


Dans Le Devoir de ce matin on trouve une sorte de manifeste : « Québec solidaire et la laïcité : choisir la cohérence ». Le texte présente un certain intérêt du point de vue linguistique puisqu’il adopte une des formes de l’écriture dite inclusive, celle qui recourt à l’utilisation des points médians. En voici quelques exemples :


Il faut pour cela défendre l’interdiction du port de signes religieux aux policier.ère.s, juges, procureur.e.s de la Couronne et gardien.ne.s de prison […] la stigmatisation de certain.e.s de nos concitoyen.ne.s, notamment de confession musulmane […] des employé.e.s de l’État […] fort.e.s d’une position cohérente et rassembleuse quant aux signes religieux, nos député.e.s auront beau jeu […]


En 1990, un des objectifs de la réforme de l’orthographe était de « faciliter l’enseignement de l’orthographe ». L’écriture inclusive telle que la pratique Québec solidaire, si elle devait s’imposer dans les écoles, ne facilitera par l’enseignement de l’orthographe. C’est même une menace à sa démocratisation puisqu’on rend plus difficile la maîtrise de la langue écrite. On recréera une ancienne classe, celle des scribes, experts dans la manipulation des nouvelles règles complexes.

J’ai lu quelque part que les fondateurs de Québec solidaire étaient d’anciens marxistes-léninistes. Il ne serait donc pas étonnant qu’on en vienne un jour si ce parti prend le pouvoir, ce qu’à Dieu ne plaise, à voir une lutte des classes dans les classes entre les élèves qui maîtriseront les règles de la nouvelle orthodoxie politico-linguistique et les laissés pour compte – les Alphas et les Epsilons du Meilleur des mondes


mercredi 13 mars 2019

L’anglicisation et la confusion des idées



M. Parizeau, un peu comme Jean-François Lisée aujourd’hui, a cru suffisant de tomber sur son épée, sans pour autant admettre ses erreurs de parcours. Sans mea culpa. Le rideau est tombé, n’en parlons plus. L’honneur de l’homme est sauf, mais le dommage au parti, lui, est d’autant plus persistant qu’il n’a jamais été clairement identifié.
À force de détourner le regard, le ver s’est non seulement infiltré dans la pomme, il a fini par en manger les trois quarts.
‑ Francine Pelletier, « PQ, la lente agonie », Le Devoir, 13 mars 2019


Ce matin, la chroniqueuse Francine Pelletier se surpasse.


Je me suis demandé ce que pouvait bien signifier l’expression « tomber sur son épée ». Puis je me suis dit qu’il fallait peut-être la traduire littéralement en anglais, to fall on one’s sword, pour en trouver la signification. Voici ce qu’en dit le Webster : « to sacrifice one's pride or position ». Et l’Oxford, plus détaillé : « assume responsibility or blame on behalf of other people, especially by resigning from a position ».


« Le dommage au parti, lui, est d’autant plus persistant qu’il n’a jamais été clairement identifié » : comment expliquer la persistance de quelque chose qui n'a pas été défini ? J’imagine que la chroniqueuse voulait dire : le dommage est d’autant plus persistant que la cause n’en a jamais été trouvée.


Quant à la dernière phrase, elle défie l’entendement : le ver, à force de détourner le regard, s’est infiltré dans la pomme. Encore un exemple de brachylogie : pendant que les membres du PQ détournaient le regard, le ver s’est infiltré dans le fruit.


mardi 12 mars 2019

Pardon my French


On entend souvent à la télévision, et cela depuis des années, des réclames où il est question d’« accidents pardonnés ». En anglais, on dit « accident forgiveness ». Ne cherchez pas ces mots dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), ils n’y sont pas. Je l’ai déjà dit, l’OQLF, qui prétend orienter l’usage, peine à le suivre à la trace.


On trouve dans Internet : l’amnistie pour un accident, l’amnistie en cas d’accident, l’amnistie pour un premier accident, le pardon du premier accident.


Sur la néologie à l’OQLF, voir aussi mes billets :



jeudi 7 mars 2019

Filer la métaphore


La saga SNC-Lavallin continue. Dans Le Devoir d’hier, la chroniqueuse Francine Pelletier prenait la défense inconditionnelle de Jody Wilson-Raybould. Texte prématuré car on savait que d’autres personnes, dont l’ancien conseiller principal du premier ministre Justin Trudeau, allaient témoigner le lendemain et vraisemblablement présenter une version des faits différente. La prudence aurait dû lui dicter de respecter le principe d’équité résumé dans la sentence latine audi et alteram partem, écouter aussi l’autre partie, avant de se prononcer de façon aussi catégorique. Le Devoir de ce matin titre d'ailleurs : « Butts oppose sa vérité à celle de Wilson-Raybould ».


Je n’entends pas discuter le fond de la chronique de Francine Pelletier. D’ailleurs j’avais pris l’habitude de ne la lire qu’en diagonale tant ses partis pris m’horripilent jusqu’à ce qu’une lectrice de mon blog attire mon attention sur les qualités (?) stylistiques de la prose de la chroniqueuse. Buffon disait que le style, c’est l’homme. Eh bien, c’est aussi la femme.


Dans son texte du 6 mars, Francine Pelletier écrit: « ses appuis fonderont au Canada anglais ». Ses appuis fonderont quoi? On voit ici toute la limite des logiciels de correction, incapables qu’ils sont de faire la différence entre les verbes fonder et fondre. Ce matin, la faute, que j’ai signalée dans un commentaire, n’a toujours pas été corrigée dans l’édition électronique du quotidien.


La chroniqueuse parle aussi du « supplice médiéval qui consistait à écarteler un prisonnier, parfois jusqu’à la mort ». Écarteler, c'est « déchirer, arracher les membres d'un supplicié en les soumettant généralement aux tractions contraires de quatre chevaux » (Trésor de la langue française). Parfois jusqu'à la mort? On devait être bien costaud au Moyen Âge pour sortir vivant de ce supplice. On lit aussi que Justin Trudeau est assis sur deux failles : c'est ce que j'appellerais filer la métaphore de l'écartèlement (à moins qu'il ne s'agisse de l'empalement?).


J’en conclus pour ma part que la chroniqueuse a précipité la rédaction de son texte car si elle avait attendu et pris connaissance des points de vue des autres témoins, elle aurait été écartelée entre ces opinions et celle de Jody Wilson-Raybould, risque qu’elle n’a pas osé prendre même si elle croit qu’on peut parfois sortir vivant du supplice de l’écartèlement.


lundi 4 mars 2019

Adieu à une linguiste militante



Je viens d’apprendre le décès, le mois dernier, d’Aina Moll i Marquès, figure marquante du combat linguistique catalan.



Preuve de l’importance historique d’Aina Moll, l’actuel président de la Generalitat de Catalogne, Quim Torra, a assisté à ses obsèques :



La philologue Aina Moll était la fille aînée de Francesc de Borja Moll qui collabora avec le chanoine Antoni M. Alcover (prêtre, linguiste, folkloriste, architecte de plusieurs églises, journaliste : excusez du peu !) au Diccionari català-valencià-balear, aussi connu sous le nom de Dictionnaire Alcover-Moll. Elle aida son père à terminer l’œuvre d’Alcover.



J’ai rencontré Aina Moll pour la première fois à Mexico en août 1982 à l’occasion du Xe Congrès mondial de sociologie. C’est alors que j’appris que, pour les Catalans, le mot normalisation ne signifiait pas l’officialisation d’un terme par sa publication à la Gazette officielle, comme au Québec, mais la récupération de l’usage normal d’une langue victime d’un processus séculaire de minoration. À l’époque, on ignorait au Québec que la Catalogne avait entrepris la rédaction d’une loi linguistique qui aurait autant d’importance historique que notre Charte de la langue française.

J’ai eu l’occasion par la suite de revoir Aina Moll lors des quelques séjours qu’elle a faits au Québec.

Aina Moll à l'époque où je l'ai connue


Aina Moll a été la première directrice générale de la politique linguistique de la Generalitat de Catalogne.


Elle est à l’origine de la première campagne de sensibilisation pour lancer le projet de normalisation de l’utilisation du catalan. Rappelons le contexte, semblable à celui qui est vécu à Montréal : la population catalanophone avait pris l’habitude de passer au castillan (c’est-à-dire à l’espagnol) dans ses relations avec les personnes parlant cette dernière langue et ce, tant dans services publics que dans les relations privées avec les voisins, les commerçants, etc. Dès qu’un catalanophone était en présence d’un inconnu, l’usage de l’espagnol s’imposait. Et la raison invoquée le plus souvent pour justifier ce comportement était le besoin de se montrer poli et respectueux de la langue de l’autre. Quant aux hispanophones, ils s’adressaient en espagnol à tout le monde, même aux personnes de langue maternelle catalane. Quand on leur demandait de justifier leur comportement, ils répondaient que, s’ils ne voulaient pas parler catalan, c’était par peur de commettre des fautes. Pour contrecarrer ces habitudes, les autorités catalanes ont lancé une campagne de sensibilisation basée sur le personnage d’une petite fille impertinente appelée Norma, prénom qui évoquait évidemment la normalisation linguistique souhaitée (en fait, la petite fille s’appelait « la Norma », car, en catalan, on utilise l’article avec les prénoms). La publicité utilisait un slogan mobilisateur : « le catalan, c’est l’affaire de tout le monde » (« El català, cosa de tots »).



La petite Norma, fillette d’une douzaine d’années, est apparue dans des publicités filmées, des bandes dessinées, des émissions de radio et un court-métrage où elle véhiculait un message critique et souvent impertinent. Comme me l’a expliqué Aina Moll, ce type de message critiquant le comportement des adultes aurait été inacceptable dans une publicité traditionnelle émanant des pouvoirs publics mais il perdait son caractère offensant dans la bouche d’une petite fille présentée comme impertinente. C’est ainsi qu’elle se permettait de demander à son père pourquoi il parlait espagnol plutôt que catalan avec des inconnus.



vendredi 1 mars 2019

L’Académie française se résout à la féminisation des noms de métiers


Unanimité ce matin chez les titreurs du Soleil, du Devoir, du Journal de Montréal, de TVA Nouvelles, du Monde : « L’Académie française se résout à la féminisation des noms de métiers ». L’emploi du verbe se résoudre rend bien compte de l’impression qui se dégage à la lecture de la déclaration de l’Académie (qu’on peut lire en cliquant ici).
Pour les métiers, pour les petits boulots, l’Académie ne voit pas d’obstacle à la féminisation. Mais plus on s’élève dans la hiérarchie, plus l’Académie semble prête à accepter les réticences face à la féminisation. Cela est surtout le cas lorsqu’il s’agit des noms de fonctions, titres et grades :

On n’est pas sa fonction : on l’occupe. L’identification entre ce qu’est le titulaire d’une fonction et ce qu’il fait n’est jamais entière, dans la mesure où la personne en charge d’un mandat représente autre chose qu’elle-même. Un grade correspond de la même manière à un degré d’une hiérarchie : distinct de son détenteur (qui peut, sous certaines conditions, être dégradé), il est défini dans un statut et existe indépendamment de celui qui l’acquiert. Il est par ailleurs aisé, dans la plupart des cas, de distinguer la fonction du métier ou du grade : « professeur (de français, de mathématiques, de langues…) » est un métier, « agrégé de l’Université » est un grade, conféré par la réussite à un concours, et que l’on conserve même si l’on quitte la fonction publique ; « préfet » est un grade, « préfet de la région Normandie » est une fonction temporaire (la perdre n’implique pas l’exclusion du cadre préfectoral) ; « auditeur (au Conseil d’État) » est un grade, « rapporteur » est une fonction. Il faut enfin rapprocher les grades des titres, en particulier des désignations honorifiques exprimant une distinction de rang (il en va ainsi pour les degrés de la hiérarchie des ordres nationaux, qui confèrent à leurs titulaires un grade ou une dignité marqués par le port d’un insigne).


Mais l’Académie fait quand même montre d’ouverture :

Cette distance entre la fonction, le grade ou le titre et son détenteur a été soulignée au moment où les femmes eurent accès à des fonctions jusque-là occupées par les hommes. Elle ne constitue pas pour autant un obstacle dirimant à la féminisation des substantifs servant à les désigner. Mais elle peut expliquer en partie les réserves ou les réticences observées dans l’usage. Certes, il est loisible de constater que, dans le langage général, les noms de fonctions se féminisent aussi aisément et aussi librement que les noms de métiers. Ce constat vaut également pour toutes les désignations des fonctions ou mandats publics, pour lesquels l’Académie peut inviter largement à recourir à des formes féminines bien implantées dans l’usage, sans dommage pour la langue.


L’Académie dit « constater la réticence de l’usage dans certains corps de l’État : il ne saurait être question d’imposer des formes féminines contre le vœu des personnes intéressées. » Les Québécois seront étonnés d’apprendre qu’en France « les femmes membres du barreau répugnent encore très largement à être appelées ‘ avocates ’». « Dans le domaine de la justice, poursuit tout de même l’Académie, la féminisation semble pourtant passée aujourd’hui dans l’usage, bien qu’aucune féminisation systématique ne se constate encore chez les notaires, les huissiers de justice, les experts près les tribunaux ou les commissaires-priseurs – les formes féminines rencontrant les mêmes résistances que le terme ‘ avocate ’».


Le document de l’Académie constitue une ouverture indéniable. Lorsqu’il y a plusieurs formes féminines en concurrence, il en discute la conformité aux règles morphologiques du français.


Mais on sent quand même, ici ou là, des traces des résistances passées. Le meilleur exemple en est la dernière phrase, où l’Académie se présente à la fois comme « greffier de l’usage » et « gardienne du bon usage de la langue ». Il est difficile de ne pas en tirer la conclusion que Mme Carrère d’Encausse continuera à se faire appeler le Secrétaire perpétuel.

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Le 28 février a été une journée faste en France en ce qui concerne les décisions sur la langue. Le Conseil d'État a rejeté des recours demandant l'annulation d'une circulaire du premier ministre Édouard Philippe proscrivant le langage inclusif dans les communications ministérielles. Le premier ministre avait invité ses ministres « en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive ». Rejet donc des graphies comme « les député.e.s » ou « les électeur.rice.s » et de l’accord dit de proximité.