Unanimité ce matin chez
les titreurs du Soleil, du Devoir, du Journal de Montréal, de TVA Nouvelles, du Monde : « L’Académie française se résout à la
féminisation des noms de métiers ». L’emploi du verbe se résoudre rend bien compte de l’impression qui se dégage à la
lecture de la déclaration de l’Académie (qu’on peut lire en cliquant ici).
Pour les métiers, pour les petits boulots, l’Académie
ne voit pas d’obstacle à la féminisation. Mais plus on s’élève dans la hiérarchie,
plus l’Académie semble prête à accepter les réticences face à la féminisation.
Cela est surtout le cas lorsqu’il s’agit des noms de fonctions, titres et
grades :
On n’est pas sa fonction : on l’occupe. L’identification entre ce qu’est
le titulaire d’une fonction et ce qu’il fait n’est jamais entière, dans la
mesure où la personne en charge d’un mandat représente autre chose qu’elle-même.
Un grade correspond de la même manière à un degré d’une hiérarchie : distinct
de son détenteur (qui peut, sous certaines conditions, être dégradé), il est
défini dans un statut et existe indépendamment de celui qui l’acquiert. Il est
par ailleurs aisé, dans la plupart des cas, de distinguer la fonction du métier
ou du grade : « professeur (de français, de mathématiques, de langues…) » est
un métier, « agrégé de l’Université » est un grade, conféré par la réussite à
un concours, et que l’on conserve même si l’on quitte la fonction publique ; «
préfet » est un grade, « préfet de la région Normandie » est une fonction
temporaire (la perdre n’implique pas l’exclusion du cadre préfectoral) ; «
auditeur (au Conseil d’État) » est un grade, « rapporteur » est une fonction.
Il faut enfin rapprocher les grades des titres, en particulier des désignations
honorifiques exprimant une distinction de rang (il en va ainsi pour les degrés
de la hiérarchie des ordres nationaux, qui confèrent à leurs titulaires un
grade ou une dignité marqués par le port d’un insigne).
Mais
l’Académie fait quand même montre d’ouverture :
Cette distance entre la fonction, le grade ou le titre et son détenteur a
été soulignée au moment où les femmes eurent accès à des fonctions jusque-là
occupées par les hommes. Elle ne constitue pas pour autant un obstacle dirimant
à la féminisation des substantifs servant à les désigner. Mais elle peut expliquer
en partie les réserves ou les réticences observées dans l’usage. Certes, il est
loisible de constater que, dans le langage général, les noms de fonctions se
féminisent aussi aisément et aussi librement que les noms de métiers. Ce
constat vaut également pour toutes les désignations des fonctions ou mandats
publics, pour lesquels l’Académie peut inviter largement à recourir à des
formes féminines bien implantées dans l’usage, sans dommage pour la langue.
L’Académie
dit « constater la réticence de l’usage dans certains corps de l’État :
il ne saurait être question d’imposer des formes féminines contre le vœu des
personnes intéressées. » Les Québécois seront étonnés d’apprendre qu’en France
« les femmes membres du barreau répugnent encore très largement à être
appelées ‘ avocates ’». « Dans le domaine de la justice, poursuit tout de même l’Académie, la féminisation semble pourtant passée aujourd’hui dans l’usage,
bien qu’aucune féminisation systématique ne se constate encore chez les
notaires, les huissiers de justice, les experts près les tribunaux ou les
commissaires-priseurs – les formes féminines rencontrant les mêmes
résistances que le terme ‘ avocate ’».
Le
document de l’Académie constitue une ouverture indéniable. Lorsqu’il y a
plusieurs formes féminines en concurrence, il en discute la conformité aux
règles morphologiques du français.
Mais
on sent quand même, ici ou là, des traces des résistances passées. Le meilleur
exemple en est la dernière phrase, où l’Académie se présente à la fois comme « greffier
de l’usage » et « gardienne du bon usage de la langue ». Il est
difficile de ne pas en tirer la conclusion que Mme Carrère d’Encausse
continuera à se faire appeler le
Secrétaire perpétuel.
* * *
Le
28 février a été une journée faste en France en ce qui concerne les décisions
sur la langue. Le Conseil d'État a rejeté des recours demandant l'annulation
d'une circulaire du premier ministre Édouard Philippe proscrivant le langage inclusif
dans les communications ministérielles. Le premier ministre avait invité ses
ministres « en particulier pour les textes destinés à être publiés au
Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive ». Rejet donc des
graphies comme « les député.e.s » ou « les électeur.rice.s »
et de l’accord dit de proximité.
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