vendredi 1 mars 2019

L’Académie française se résout à la féminisation des noms de métiers


Unanimité ce matin chez les titreurs du Soleil, du Devoir, du Journal de Montréal, de TVA Nouvelles, du Monde : « L’Académie française se résout à la féminisation des noms de métiers ». L’emploi du verbe se résoudre rend bien compte de l’impression qui se dégage à la lecture de la déclaration de l’Académie (qu’on peut lire en cliquant ici).
Pour les métiers, pour les petits boulots, l’Académie ne voit pas d’obstacle à la féminisation. Mais plus on s’élève dans la hiérarchie, plus l’Académie semble prête à accepter les réticences face à la féminisation. Cela est surtout le cas lorsqu’il s’agit des noms de fonctions, titres et grades :

On n’est pas sa fonction : on l’occupe. L’identification entre ce qu’est le titulaire d’une fonction et ce qu’il fait n’est jamais entière, dans la mesure où la personne en charge d’un mandat représente autre chose qu’elle-même. Un grade correspond de la même manière à un degré d’une hiérarchie : distinct de son détenteur (qui peut, sous certaines conditions, être dégradé), il est défini dans un statut et existe indépendamment de celui qui l’acquiert. Il est par ailleurs aisé, dans la plupart des cas, de distinguer la fonction du métier ou du grade : « professeur (de français, de mathématiques, de langues…) » est un métier, « agrégé de l’Université » est un grade, conféré par la réussite à un concours, et que l’on conserve même si l’on quitte la fonction publique ; « préfet » est un grade, « préfet de la région Normandie » est une fonction temporaire (la perdre n’implique pas l’exclusion du cadre préfectoral) ; « auditeur (au Conseil d’État) » est un grade, « rapporteur » est une fonction. Il faut enfin rapprocher les grades des titres, en particulier des désignations honorifiques exprimant une distinction de rang (il en va ainsi pour les degrés de la hiérarchie des ordres nationaux, qui confèrent à leurs titulaires un grade ou une dignité marqués par le port d’un insigne).


Mais l’Académie fait quand même montre d’ouverture :

Cette distance entre la fonction, le grade ou le titre et son détenteur a été soulignée au moment où les femmes eurent accès à des fonctions jusque-là occupées par les hommes. Elle ne constitue pas pour autant un obstacle dirimant à la féminisation des substantifs servant à les désigner. Mais elle peut expliquer en partie les réserves ou les réticences observées dans l’usage. Certes, il est loisible de constater que, dans le langage général, les noms de fonctions se féminisent aussi aisément et aussi librement que les noms de métiers. Ce constat vaut également pour toutes les désignations des fonctions ou mandats publics, pour lesquels l’Académie peut inviter largement à recourir à des formes féminines bien implantées dans l’usage, sans dommage pour la langue.


L’Académie dit « constater la réticence de l’usage dans certains corps de l’État : il ne saurait être question d’imposer des formes féminines contre le vœu des personnes intéressées. » Les Québécois seront étonnés d’apprendre qu’en France « les femmes membres du barreau répugnent encore très largement à être appelées ‘ avocates ’». « Dans le domaine de la justice, poursuit tout de même l’Académie, la féminisation semble pourtant passée aujourd’hui dans l’usage, bien qu’aucune féminisation systématique ne se constate encore chez les notaires, les huissiers de justice, les experts près les tribunaux ou les commissaires-priseurs – les formes féminines rencontrant les mêmes résistances que le terme ‘ avocate ’».


Le document de l’Académie constitue une ouverture indéniable. Lorsqu’il y a plusieurs formes féminines en concurrence, il en discute la conformité aux règles morphologiques du français.


Mais on sent quand même, ici ou là, des traces des résistances passées. Le meilleur exemple en est la dernière phrase, où l’Académie se présente à la fois comme « greffier de l’usage » et « gardienne du bon usage de la langue ». Il est difficile de ne pas en tirer la conclusion que Mme Carrère d’Encausse continuera à se faire appeler le Secrétaire perpétuel.

*   *   *

Le 28 février a été une journée faste en France en ce qui concerne les décisions sur la langue. Le Conseil d'État a rejeté des recours demandant l'annulation d'une circulaire du premier ministre Édouard Philippe proscrivant le langage inclusif dans les communications ministérielles. Le premier ministre avait invité ses ministres « en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l'écriture dite inclusive ». Rejet donc des graphies comme « les député.e.s » ou « les électeur.rice.s » et de l’accord dit de proximité.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire