lundi 30 mars 2020

Le sexe des mots


Au début de la pandémie, on parlait du coronavirus sans préciser duquel il s’agissait ou bien on disait « le nouveau coronavirus ». Maintenant il n’est plus guère question que de Covid-19, ce qui pose la question du genre. Les médias français me semblent en majorité avoir poursuivi sur la lancée et utilisent le nouveau terme au masculin tandis que, de ce côté-ci de l’Atlantique, le mot s’emploie presque uniquement au féminin même si, dans les diffusions en direct, il arrive qu’on entende des commentateurs le mettre au masculin.


En furetant sur la page Facebook de mon vieux complice Patrick Chardenet*, j’ai appris qu’il y avait une page du site de Radio-Canada qui expliquait pourquoi on proposait d’user du féminin. En effet, il s’agit d’une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé. Que l’OMS prenne le temps de se prononcer sur le sexe des mots, cela ne vous rappelle rien ? Moi, ça m’a fait penser à Byzance assiégée par les Turcs.

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* Jacques Maurais, Pierre Dumont, Jean-Marie Klinkenberg, Bruno Maurer, Patrick Chardenet, L’Avenir du français, Paris, Agence universitaire de la Francophonie et Archives contemporaines, 2008.


vendredi 27 mars 2020

« Frais cabaret »


Source: Le Journal de Québec, 26 mars 2020

Tard hier soir, les médias nous apprenaient que les maisons de retraite ne pourront plus facturer un supplément pour apporter leur plateau-repas aux personnes âgées placées d’office en quarantaine dans ce que certains gestionnaires ont le culot d’appeler des « havres de paix et de sérénité » (je n’invente rien). Admettons que l’expression « frais cabaret » pourrait donner à certains l’illusion d’être servis par une danseuse du Crazy Horse.


Je profite de l’occasion pour rappeler que, jusqu’en 2009, l’Office québécois de la langue française (OQLF) recommandait d’éviter d’employer le mot cabaret au sens de « plateau de service » :






Mais les néo-terminologues qui ont pris le contrôle du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) au début des années 2000 ont décidé de légitimer ce sens du mot cabaret « dans certains contextes ». C’est là encore un exemple de la dérive dénoncée en 2011 par un groupe d’anciens terminologues de l’OQLF dans le manifeste « Au-delà des mots, les termes ».

  
Sur ce thème, voir aussi mes billets :

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mercredi 25 mars 2020

La schizophrénie terminologique



C’est par l’entremise de la page Facebook de Gaston Bernier (de l’Asulf) que j’ai appris que l’Office québécois de la langue française (OQLF) avait réhabilité en 2016 le terme centre d’achat(s) dont il avait jusqu’alors déconseillé l’usage :

L’Office de la langue a décidé il y a quarante ans d’officialiser l’expression « centre commercial » contre le calque «centre d’achats». Depuis quatre décennies, tous ont favorisé l’équivalent français (C. Chouinard, P. Cardinal, Le Multi dictionnaire, le Colpron, le Guide de rédaction de la P.C., etc.). Mais l’Office a fait marche arrière : « Le terme centre d'achats … construit sur le modèle de l'anglais … s'intègre au système linguistique du français. Les réserves déjà émises sur l'usage de ce terme n'ont pas lieu d'être… »


J’admets que le fait avait échappé à mon attention. Cette réhabilitation n’est qu’une preuve de plus de la dérive dénoncée par les anciens terminologues de l’OQLF dans leur manifeste « Au-delà des mots, les termes ».


Comme note explicative, on a droit à la salade habituelle : « Le terme centre d'achats (ou centre d'achat), construit sur le modèle de l'anglais shopping center, s'intègre au système linguistique du français. » Ben oui, les calques, de par leur nature même, sont déjà intégrés dans le système linguistique de la langue emprunteuse. Les néo-terminologues de l’OQLF ont fait cette « découverte » en préparant leur dernière Politique de l’emprunt linguistique : ils n’ont ainsi fait que redécouvrir l’Amérique.


Si j’ai utilisé le mot de schizophrénie dans le titre de mon billet, c’est que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) contient une autre fiche sur le même terme, produite par l’Institut canadien des comptables agréés, qui ne donne comme acceptable que centre commercial et où on affirme qu’« au Canada, sous l'influence de l'anglais, on emploie fréquemment l'expression centre d'achat. »



mercredi 18 mars 2020

Les anglicismes contagieux /2


Il semble évident que beaucoup des mesures préconisées aujourd’hui — le télétravail, les cours en ligne, les visites culturelles sur le Web, les becs de coude — sont là pour de bon.
Francine Pelletier, « La vie et rien d’autre », Le Devoir, 18 mars 2020

La chroniqueuse du Devoir n’est pas immunisée contre les anglicismes. On se demande si, telle une patiente zéro, elle n’est pas à l’origine de celui de ce matin, becs de coude. Quand on lit une expression curieuse sous sa plume, il faut tout de suite la traduire littéralement en anglais pour comprendre : bec de coude = elbow kiss ou, plus exactement, elbow bump. En français, on dit tout simplement un coup de coude (comme on dit un coup de main).




mardi 17 mars 2020

Les anglicismes contagieux


En ces temps de coronavirus, on peut rappeler que les anglicismes aussi peuvent être contagieux. Je me rappelle qu’il y a quelques décennies des employés de l’Office (pas encore québécois) de la langue française avaient signalé à leur grand patron qu’en français, on ne disait pas « plan de contingence » mais « plan d’urgence ». Il y a deux ou trois jours j’ai entendu le même anglicisme aux infos de France 2. On reproche souvent aux Français leurs anglicismes lexicaux (les mots anglais empruntés tels quels ou encore des mots à l’allure anglaise qui n’existent pas dans cette langue comme footing ou pressing) mais jusqu’à ces dernières années ils semblaient résister plutôt bien aux anglicismes sémantiques et aux calques. Avec du retard, ils nous emboîtent le pas : éligible au sens d’« admissible » est de plus en plus fréquent chez eux et voici que j’ai entendu plan de contingence. Il y a peut-être une raison psychologique derrière ce dernier emprunt : il est moins anxiogène que plan d’urgence.


Pour apporter un brin d’humour en ces jours troublés, plutôt que de vous proposer l’écoute de la Missa in angustiis de Haydn, voici Sandrine Sarroche :


Désolé du détour qu'on vous oblige à faire pour voir la vidéo. Un second clic vous y conduira facilement.

lundi 9 mars 2020

Neuvième anniversaire


C’est aujourd’hui le neuvième anniversaire du blog Linguistiquement correct et mon 744e billet. Le premier billet a paru le 9 mars 2011 dans la foulée du manifeste des anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française, « Au-delà des mots,les termes ».


Bilan de neuf ans de blog : 744 billets, 256 000 visites.


jeudi 5 mars 2020

La terminologie à l’OQLF : entre lexicographie et dérivographie


Pour le GDT, les casseroles vont au four et les paniers ont des roues.

Dans la fiche « cocotte » du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), on lit : « Mets généralement composé de viande ou de poisson, de légumes et d'une sauce, cuit lentement au four dans une cocotte ou une casserole. » Vous ne le saviez pas, les casseroles vont au four. Et au cas où vous pourriez penser que la casserole en question diffère de celle que vous avez dans votre cuisine, la fiche « casserole, saucepan » en donne l’illustration suivante :




Pourtant, une ancienne terminologue de l’Office, Thérèse Villa, avait produit un texte très détaillé (cliquer ici; voir aussi « La casserole et la cocotte ») sur la façon de traduire l’américanisme casserole qui désigne diverses préparations culinaires. J’ai déjà reproduit ce texte dans mon blog, un an avant que les deux anciennes fiches « casserole » du GDT soient fondues en une seule en 2018. L’Office s’acharne à ne pas tenir compte du travail de ses premiers employés, voire à le nier quand ce n’est pas le contredire.


Dans sa réinvention du vocabulaire français, l’Office nous affirme qu’un panier peut avoir des roues, qu’un panier, c’est la même chose qu’un chariot :

Panier d'épicerie : Chariot emboîtable constitué d'un panier grillagé en métal ou en plastique monté sur des roulettes de manutention, dans lequel le client d'un commerce dépose les biens qu'il souhaite acheter.  


Une fois de plus, l’Office contredit le travail d’un de ses terminologues. Car on ne trouve que chariot d’épicerie dans le Vocabulaire illustré des chariots, des roues et des roulettes de manutention publié par le même Office « en collaboration avec les milieux de l’ingénierie, de la terminologie et de la traduction ainsi que les Presses internationales Polytechnique ». On peut même y lire la remarque suivante qui met en garde contre l’utilisation de panier d’épicerie à la place de chariot d’épicerie : « le terme panier d’épicerie, qui est parfois utilisé pour désigner le chariot d’épicerie, correspond plutôt à un type de panier qui sert à l’achat de marchandises en petite quantité ». Pour un complément d’information, cliquer ici et ici.


Peut-on encore se fier au GDT ?


mardi 3 mars 2020

Filer à l’anglaise


Depuis la publication en 2011 du manifeste « Au-delà des mots, les termes » des anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française (OQLF), je suis revenu plusieurs fois dans ce blog sur la dérive lexicographique du Grand Dictionnaire terminologique (GDT). À la suite d’un récent échange de courriels avec Marie-Éva de Villers, je viens de me rappeler quand j’ai été alerté pour la première fois sur cette dérive.


C’était à l’occasion d’un colloque de l’ACFAS tenu à l’Université Laval en mai 2002. Après la communication d’un représentant de l’OQLF, Marie-Éva de Villers avait posé des questions sur trois fiches terminologiques du GDT qui venaient d’être réécrites. Dans l’une, on acceptait le mot filière comme synonyme de classeur, dans une autre déductible était accepté comme synonyme de franchise dans le domaine des assurances, j’ai oublié sur quoi portait la dernière. Il se trouve que la présidente de l’Office assistait à cette séance du colloque et, dans les jours qui ont suivi, elle a exigé que les fiches litigieuses soient refaites. Mais l’auteur de la fiche a omis d’indiquer, ou plutôt n’a pas voulu indiquer, que filière au sens de « classeur » est un terme à proscrire. La fiche s’accompagne de la note suivante (l’aveu des deux premières phrases a dû coûter beaucoup à son auteur) :

Au Québec, le terme classeur s'est très largement imposé dans la langue standard. L'usage du terme critiqué filière, de même sens, y est de moins en moins fréquent. Ce terme trouve son origine dans le verbe filer « classer », attesté dès la fin du XVIIIe siècle au Québec (emprunt à l'anglais to file), mais aujourd'hui à peu près disparu.


L’explication étymologique donnée est sans doute vraie mais elle est tout de même curieuse. La plupart des anglicismes lexicaux en français québécois ont été empruntés de l’anglais parlé, p.ex. bécosse à partir de backhouse. Le verbe anglais file, qui se prononce [faɪl], aurait dû donner en français québécois [fajle] ou fêler (en diphtonguant la première voyelle) plutôt que filer [file]. En comparaison, l’anglicisme tire (pneu) se prononce plutôt comme le mot tailleur, jamais [tiR]. Il faudrait donc que le verbe filer « classer » (et, par ricochet, son dérivé filière) soit venu en français québécois via la langue écrite. Quant au fait que cette forme serait attestée depuis la fin du XVIIIe siècle, le GDT, conformément à son habitude, n’en donne aucune preuve. Les exemples de filer dans le Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) ne concernent que les emplois habituels du mot en français, québécois ou standard (filer doux, filer de la laine, filer bien, etc.). Sauf un seul, qui accrédite l’étymologie proposée, mais il est de 1856, pas de la fin du XVIIIe siècle : « Les créanciers sont informés que les argents de cette succession étant saisis, ils doivent filer leurs comptes au bureau des Greffiers sans délai afin d'être colloqués. » (Journal de Québec, 19 janvier 1856, p. 3) On voit tout de suite que la phrase est l’œuvre d’un traducteur incompétent. Par ailleurs, dans le TLFQ, tous les exemples de filière au sens de « classeur » sont du XXe siècle.


Mais, au fait, à quoi peut bien servir cette explication étymologique dans un dictionnaire terminologique ?


Le dictionnaire en ligne Usito est un peu plus précis quant à l’étymologie : filière viendrait non pas de file, tout court, mais de cabinet file, ce qui est plus conforme à la langue anglaise. Mais, malgré sa prétention de décrire (et de hiérarchiser) les usages du français au Québec, Usito oublie de mentionner l’expression québécoise filière 13 « poubelle ».