dimanche 10 décembre 2017

Doit-on cuire une casserole dans une cocotte ou une timbale?

Source: Kraft
Le pâté chinois est une casserole!


J’ai entendu il y a quelque temps la réclame à la télévision d’un plat que l’on présentait sous l’appellation de casserole. Je me suis rappelé qu’une collègue terminologue de l’Office (pas encore québécois) de la langue française, à la fin des années 1970, avait fait une recherche sur la traduction du mot américain « casserole ». Vérification faite, mon souvenir ne coïncidait pas avec ce que disent les deux fiches actuelles du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) traitant de ce mot et produites toutes deux en 2004 :

– Mets généralement composé de viande ou de poisson, de légumes et d'une sauce, cuit lentement au four dans une cocotte.
– Préparation à base de riz cuit ou de pommes de terre duchesse, moulée en forme de timbale. 


C’est cuit dans une cocotte ou moulé dans une timbale et on appelle ça une casserole : cherchez l’erreur.


Voilà encore un cas qui illustre l’absence de mémoire institutionnelle de l’OQLF. Si on avait tenu compte des travaux antérieurs, on n’aurait pas rédigé ainsi ces deux fiches.


Il se trouve que je viens de remettre la main sur le document que Thérèse Villa avait rédigé sur la traduction du mot américain « casserole ». Je le reproduis ci-dessous.


Aide-mémoire sur la traduction du mot américain « casserole »
par Thérèse Villa

Ce mot constituant l’un des plus grands pièges de traduction qui soient, l’Office de la langue française estime opportun de mettre immédiatement en garde les traducteurs, publicitaires et fonctionnaires concernés par l’utilisation de ce mot dans des textes anglais et de son équivalent français dans un texte correspondant.
Au cours des dernières semaines, les consultations ont régulièrement augmenté au sujet de ce mot à cause de l’apparition sur le marché de nouveaux plats express à préparer très rapidement ou de plats préparés à chauffer ou à finir de cuire.
On sait que chaque langue emprunte des mots à d’autres langues. Un Français, par exemple, empruntera de trois façons :
a) Un mot étranger qu’il inclura tel quel dans sa langue, qu’il prononcera cependant à la française et auquel il donnera le même sens que dans la langue d’origine.
b) Un mot qu’il traitera d’abord comme précédemment, mais dont il changera le sens.
c) Un mot qu’il francisera en modifiant généralement l’orthographe de celui-ci.
Dans le cas présent, nous nous trouvons devant un emprunt de l’anglais au français répondant à la description faite à (b). Autrement dit, le mot américain « casserole » ne doit pas être traduit par le mot français casserole. Le sens américain qui a été donné à ce mot n’a plus qu’un rapport lointain avec son sens original français ; partis d’un contenant, on aboutit à un contenu.
Nous n’exposerons pas ici le contenu des fiches terminologiques portant sur ce sujet. Non seulement l’O.L.F. a-t-il fait des recherches intensives dans une douzaine d’ouvrages de toutes sortes et de plusieurs langues, mais encore a-t-on poussé la précision jusqu’à comparer des recettes. Pour la gouverne des lecteurs concernés, nous tenterons donc ici de faire une synthèse du problème.

1. En français le mot casserole désigne toujours presque exclusivement un ustensile de cuisine qui fut en fer, en cuivre, en terre, etc., mais qui de nos jours est surtout en aluminium ou en fonte. C’est celui qu’on trouve en plusieurs exemplaires de différentes grandeurs dans toute batterie de cuisine. Il a un fond plat, des bords hauts, généralement un couvercle et, ce qu’il importe surtout de noter, un manche.
Cependant, dans le langage spécialisé et technique de la haute cuisine, il arrive que des chefs appellent casseroles certaines préparations, uniquement à base de riz ou de pommes de terre duchesse qui ont été façonnées, après cuisson, dans une casserole.
Nous remarquons donc là deux conditions d’une part et d’autre part, le fait qu’il ne s’agisse pas de langue courante.
Comme par ailleurs les auteurs gastronomiques, qui sont le plus souvent ces mêmes grands chefs, mentionnent que ces deux types de « casseroles » sont comparables aux timbales, nous comprenons pourquoi il s’agit là d’une exception et que dans les ouvrages ménagers de vulgarisation il n’est effectivement pas question de préparations [qui seraient] appelées « casseroles » en français.

2. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de donner au Québec au mot casserole le sens de préparation culinaire qu’il a en américain. Et ceci pour deux raisons faciles à comprendre :

a) Le contexte canadien est fort différent du contexte français. Ici, le français est une langue minoritaire dans un continent anglophone alors qu’en France, il s’agit d’une langue majoritaire sur laquelle les mots étrangers modernes, introduits par snobisme, n’ont pas d’emprise comparable à celle que peuvent avoir nos anglicismes. C’est la raison pour laquelle l’O.L.F. a toujours cherché à franciser au maximum, y compris des mots anglais du français de France. Nous avons suffisamment à faire pour lutter contre nos propres anglicismes sans adopter le franglais des autres. Lorsque tel est le cas, l’expérience a d’ailleurs prouvé que le mot en question, prononcé à la française en France, est inévitablement et automatiquement prononcé à l’américaine au Canada. Dans le même ordre d’idées, il faut porter une attention soutenue aux mots « à double sens » qui paraissent français et ne le sont pas ou bien qui n’ont pas du tout le même sens dans les deux langues comme pamphlet, dépendamment, définitivement, à date et ainsi de suite. Le mot casserole tombe incontestablement dans cette catégorie.

b) Compte tenu de ce qui précède, accepter en français le sens américain de « casserole », ne serait-ce que dans un seul cas, consisterait à entrebâiller une porte par laquelle s’engouffreraient rapidement toutes les compagnies. La majorité des compagnies alimentaires étant multinationales, leurs cadres sont des unilingues anglais et elles n’ont pas toujours l’envergure pour s’adjoindre des traducteurs vraiment spécialisés. En conséquence, les auteurs des textes d’emballages ne se donneraient pas la peine de chercher la vérité et, constatant que la société X a employé en français le mot « casserole » pour un de ses produits, ils décideraient d’en faire autant pour leurs propres produits sans constater qu’il ne s’agit pas du même mets. C’est pourquoi il faut mettre totalement de côté l’éventualité de baptiser « casserole » un mets quelconque, en français, au Québec, que ce soit dans un titre d’étiquette, dans un mode d’emploi, dans une recette, dans un menu ou dans la publicité.

3. En américain, le mot « casserole » est un générique qui désigne une grande variété de mets ayant trois bases principales : (a) pâtes alimentaires, (b) riz, (c) légumes ou une combinaison de ces bases dans un jus ou une sauce, avec ou sans poisson ou viande. La propriété de ces « casseroles » est de constituer un mets unique préparé dans un récipient unique.
Or ce récipient, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est généralement pas une casserole mais une cocotte (car beaucoup de ces mets s'apparentent aux ragoûts) ou, le plus souvent, un plat creux.
Pour plus de précision, disons qu’à notre époque moderne les plats à gratin sont ovales (et peuvent être utilisés aussi pour rôtir) ou, plus souvent encore, carrés ou rectangulaires. Parmi les matériaux employés, on trouve la faïence et la porcelaine à feu ainsi que le pyrex, même pour des cocottes. Ces dernières peuvent également revêtir la forme aérodynamique d’une coquelle en fonte émaillée. Il faut remarquer que tous ces éléments de batterie de cuisine comportent des anses ou poignées, à peine saillantes, creuses ou pleines (« oreilles »). On peut même classer dans cette catégorie la sauteuse moderne en verre à feu, sans queue. Comme elle n’a pas d’anse, on la manipule à l’aide d’une poignée spéciale en forme de pince, vendue séparément.

4. Dans la grande majorité des cas, le mot américain « casserole » doit être traduit par gratin. Il suffit que, sur le mets préparé, se forme une légère croûte à la surface, sous l’action de la chaleur, pour que ce mets soit qualifié de gratin. Il n’est pas nécessaire que le mets soit additionné de fromage. Ladite croûte légère pourra aussi bien se former de par la nature des ingrédients (œuf dans la sauce, etc.) que par l’addition de mie de pain, de chapelure, etc.
À partir du fait que cette légère croûte se nomme gratin, on a, par extension, appliqué l’appellation à certains modes de préparation : sole au gratin, gratin languedocien.  Une grande multinationale alimentaire, fort connue au Canada, a récemment mis sur le marché un produit qu’elle a eu l’intelligence d’appeler gratin en français.
On retiendra donc du gratin qu’il s’agit d’une préparation culinaire dont la cuisson se termine au four où se forme une partie rissolée.
Il va sans dire que tout plat de ce type, additionné de fromage fondu ou saupoudré de fromage râpé, est un gratin.

5. Une autre traduction courante pour le mot américain « casserole » est timbale. En principe, la timbale consiste en une préparation composée des ingrédients les plus variés : volaille ou gibier, poisson et crustacés, bœuf en menus morceaux, etc., recouverts d’une croûte en pâte. Sous cette forme, le plat est connu dans les pays anglophones sous le nom de « piedish » ou de « timbale raised pie ».
On trouve même des timbales individuelles, généralement à base de pâte feuilletée, ainsi que quelques desserts appelés timbales. Cependant, dans la réalité, il n’y a pas toujours de la croûte en pâte. Si certaines timbales s’apparentent à la tourte, sauf en ce qui concerne la forme, parce que le contenu est entièrement enrobé de pâte, et que d’autres s’apparentent aux pâtés (le « beef and kidney pie » étant l’illustration des deux types précédents), il existe, dans les faits, une grande quantité de timbales sans pâte du tout ou avec une pâte très légère.
Il suffit que le mets préparé revête la forme de l’ustensile dont il tire son nom, autrement dit, soit moulé comme une timbale pour qu’il en porte le nom. Et c’est ici que nous trouvons le rapprochement le plus grand avec la « casserole » américaine lorsqu’on nous explique que celle-ci est façonnée en forme de casserole ou, pour mieux dire, de timbale. Outre celles mentionnées plus haut, les autres timbales les plus connues sont faites avec du riz et des champignons, des abats et abattis de volaille, des champignons et des pâtes alimentaires. La liaison est généralement constituée par une sauce béchamel. Et toutes ces dernières, avec ou sans fromage : dans le présent cas il devient alors difficile de différencier ces timbales des gratins.

6. Compte tenu du principe de traduction voulant qu’il ne soit pas obligatoire de traduire systématiquement chaque mot de la langue d’origine pour être compris dans une autre langue, il existe des cas où il n’est absolument pas nécessaire de traduire le mot « casserole ». Alors que la langue anglaise insiste souvent sur un mot et le met en évidence (il devient alors un mot-clé pour la compréhension de l’anglophone ; un mot qui fait image), le fait d’en retrancher l’éventuelle traduction française ne changera absolument rien à la compréhension du francophone et à l’image qu’il voit en lisant un titre pourtant apparemment différent du titre anglais ; et ce peut être le cas pour quelques-unes des préparations américaines.

Source: Kraft

Prenons un exemple. Le titre américain « macaroni, ham and cheese casserole » est traduit en français par « macaronis gratinés au jambon ». On remarquera que dans la version française il n’est fait mention ni du mot casserole lui-même (qui est, répétons-le, à proscrire) ni même d’une équivalence, à savoir : gratin, timbale ou plat de. Néanmoins, le francophone qui lit ce titre se représente immédiatement le mets qui apparaîtra sur sa table sans qu’il soit besoin d’ajouter un mot.
Dans l’étiquetage, lorsqu’il s’agit d’appliquer le règlement qui exige que le français soit équivalent à toute autre langue, il faut bien se garder de prendre le texte légal au pied de la lettre en cherchant désespérément à traduire mot pour mot et à mettre, du côté français, autant de mots qu’il y en a du côté anglais. Il serait tout aussi déplacé dans ce cas précis de s’obstiner à mettre l’éventuel équivalent de « casserole » (inutile, répétons-le) dans des caractères aussi gros, aussi importants et aussi voyants que ceux dans lesquels est écrit le mot américain « casserole ». En effet, si ce dernier mot est indispensable du côté anglais et constitue, pour le consommateur nord-américain anglophone, le pivot du titre, l’éventuel équivalent français, qui serait « plat de », peut être placé en tout petits caractères au-dessus du titre sans s’écarter de l’esprit de la loi.
En conséquence, et pour nous résumer, si l’on tient à tout prix à « rendre » la notion contenue dans le mot américain « casserole » et qu’on juge que la préparation concernée n’est ni un gratin, ni une timbale, on pourra écrire « plat de macaronis gratinés au jambon » en donnant toute l’importance aux quatre derniers mots, sachant que les deux premiers pourraient disparaître sans dommages. Et il est encore plus important de les faire disparaître d’une étiquette ou d’un emballage lorsque le titre est déjà très long. Prenons le cas de « chou-fleur à la hongroise avec sauce à la crème sure ». Ce titre est déjà très long sans qu’il soit besoin de l’alourdir avec des mots inutiles. Le titre américain comprend le mot « casserole » mais en français, le titre cité plus haut est amplement suffisant d’autant plus qu’il s’agit d’un plat préparé, surgelé, destiné à être simplement chauffé au four. La préparation étant déjà placée dans un plat à four, la ménagère francophone sait très bien qu’il s’agit d’une préparation dans un plat unique du même type que les brocolis en sauce blanche qu’elle pourrait se préparer. Et si ce n’est ni un gratin, ni une timbale, qu’elle a devant les yeux les ingrédients et le mode d’emploi, il est clair qu’il est inutile d’ajouter dans le titre qu’il s’agit d’un « plat de » chou-fleur. Lorsqu’on parle d’asperges sauce hollandaise, d’endives à la flamande ou de poireaux à la béchamel, tous mets qui se préparent dans des plats à four, et qui pourraient, eux aussi, être vendus prêts à chauffer, il n’est nullement besoin de mentionner dans le titre « plat de », encore moins de donner à ces deux mots l’importance graphique qu’on accorde du côté américain au mot « casserole ».


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