J’ai
entendu il y a quelque temps la réclame à la télévision d’un plat que l’on
présentait sous l’appellation de casserole.
Je me suis rappelé qu’une collègue terminologue de l’Office (pas encore
québécois) de la langue française, à la fin des années 1970, avait fait une
recherche sur la traduction du mot américain « casserole ». Vérification
faite, mon souvenir ne coïncidait pas avec ce que disent les deux fiches actuelles
du Grand Dictionnaire
terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) traitant
de ce mot et produites toutes deux en 2004 :
–
Mets généralement composé de viande ou de poisson, de légumes et d'une sauce,
cuit lentement au four dans une cocotte.
–
Préparation à base de riz cuit ou de pommes de terre duchesse, moulée en forme
de timbale.
C’est cuit dans une cocotte ou moulé dans une
timbale et on appelle ça une casserole : cherchez l’erreur.
Voilà encore un cas qui illustre l’absence de
mémoire institutionnelle de l’OQLF. Si on avait tenu compte des travaux
antérieurs, on n’aurait pas rédigé ainsi ces deux fiches.
Il se trouve que je viens de remettre la main
sur le document que Thérèse Villa avait rédigé sur la traduction du mot américain
« casserole ». Je le reproduis ci-dessous.
Aide-mémoire sur la traduction du
mot américain « casserole »
par
Thérèse Villa
Ce mot constituant l’un des plus grands pièges de traduction qui soient, l’Office de la langue française estime opportun de mettre immédiatement en garde les traducteurs, publicitaires et fonctionnaires concernés par l’utilisation de ce mot dans des textes anglais et de son équivalent français dans un texte correspondant.
Au
cours des dernières semaines, les consultations ont régulièrement augmenté au sujet
de ce mot à cause de l’apparition sur le marché de nouveaux plats express à
préparer très rapidement ou de plats préparés à chauffer ou à finir de cuire.
On
sait que chaque langue emprunte des mots à d’autres langues. Un Français, par
exemple, empruntera de trois façons :
a)
Un mot étranger qu’il inclura tel quel dans sa langue, qu’il prononcera
cependant à la française et auquel il donnera le même sens que dans la langue d’origine.
b)
Un mot qu’il traitera d’abord comme précédemment, mais dont il changera le
sens.
c)
Un mot qu’il francisera en modifiant généralement l’orthographe de celui-ci.
Dans
le cas présent, nous nous trouvons devant un emprunt de l’anglais au français
répondant à la description faite à (b). Autrement dit, le mot américain « casserole »
ne doit pas être traduit par le mot français casserole. Le sens américain
qui a été donné à ce mot n’a plus qu’un rapport lointain avec son sens original
français ; partis d’un contenant, on aboutit à un contenu.
Nous
n’exposerons pas ici le contenu des fiches terminologiques portant sur ce
sujet. Non seulement l’O.L.F. a-t-il fait des recherches intensives dans une
douzaine d’ouvrages de toutes sortes et de plusieurs langues, mais encore
a-t-on poussé la précision jusqu’à comparer des recettes. Pour la gouverne des
lecteurs concernés, nous tenterons donc ici de faire une synthèse du problème.
1.
En français le mot casserole désigne toujours presque exclusivement un
ustensile de cuisine qui fut en fer, en cuivre, en terre, etc., mais qui de nos
jours est surtout en aluminium ou en fonte. C’est celui qu’on trouve en
plusieurs exemplaires de différentes grandeurs dans toute batterie de cuisine. Il
a un fond plat, des bords hauts, généralement un couvercle et, ce qu’il importe
surtout de noter, un manche.
Cependant,
dans le langage spécialisé et technique de la haute cuisine, il arrive que des
chefs appellent casseroles certaines préparations, uniquement à base de riz ou
de pommes de terre duchesse qui ont été façonnées, après cuisson, dans une
casserole.
Nous
remarquons donc là deux conditions d’une part et d’autre part, le fait qu’il ne
s’agisse pas de langue courante.
Comme
par ailleurs les auteurs gastronomiques, qui sont le plus souvent ces mêmes
grands chefs, mentionnent que ces deux types de « casseroles » sont
comparables aux timbales, nous comprenons pourquoi il s’agit là d’une exception
et que dans les ouvrages ménagers de vulgarisation il n’est effectivement pas question
de préparations [qui seraient] appelées « casseroles » en français.
2.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de donner au Québec au mot casserole le
sens de préparation culinaire qu’il a en américain. Et ceci pour deux raisons faciles
à comprendre :
a)
Le contexte canadien est fort différent du contexte français. Ici, le français
est une langue minoritaire dans un continent anglophone alors qu’en France, il
s’agit d’une langue majoritaire sur laquelle les mots étrangers modernes,
introduits par snobisme, n’ont pas d’emprise comparable à celle que peuvent
avoir nos anglicismes. C’est la raison pour laquelle l’O.L.F. a toujours cherché
à franciser au maximum, y compris des mots anglais du français de France. Nous
avons suffisamment à faire pour lutter contre nos propres anglicismes sans
adopter le franglais des autres. Lorsque tel est le cas, l’expérience a d’ailleurs
prouvé que le mot en question, prononcé à la française en France, est
inévitablement et automatiquement prononcé à l’américaine au Canada. Dans le
même ordre d’idées, il faut porter une attention soutenue aux mots « à
double sens » qui paraissent français et ne le sont pas ou bien qui n’ont
pas du tout le même sens dans les deux langues comme pamphlet, dépendamment,
définitivement, à date et ainsi de suite. Le mot casserole tombe incontestablement
dans cette catégorie.
b)
Compte tenu de ce qui précède, accepter en français le sens américain de « casserole »,
ne serait-ce que dans un seul cas, consisterait à entrebâiller une porte par
laquelle s’engouffreraient rapidement toutes les compagnies. La majorité des
compagnies alimentaires étant multinationales, leurs cadres sont des unilingues
anglais et elles n’ont pas toujours l’envergure pour s’adjoindre des
traducteurs vraiment spécialisés. En conséquence, les auteurs des textes d’emballages
ne se donneraient pas la peine de chercher la vérité et, constatant que la
société X a employé en français le mot « casserole » pour un de ses
produits, ils décideraient d’en faire autant pour leurs propres produits sans
constater qu’il ne s’agit pas du même mets. C’est pourquoi il faut mettre
totalement de côté l’éventualité de baptiser « casserole » un mets
quelconque, en français, au Québec, que ce soit dans un titre d’étiquette, dans
un mode d’emploi, dans une recette, dans un menu ou dans la publicité.
3.
En américain, le mot « casserole » est un générique qui désigne une
grande variété de mets ayant trois bases principales : (a) pâtes alimentaires,
(b) riz, (c) légumes ou une combinaison de ces bases dans un jus ou
une sauce, avec ou sans poisson ou viande. La propriété de ces « casseroles »
est de constituer un mets unique préparé dans un récipient unique.
Or
ce récipient, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’est généralement
pas une casserole mais une cocotte (car beaucoup de ces mets s'apparentent aux
ragoûts) ou, le plus souvent, un plat creux.
Pour
plus de précision, disons qu’à notre époque moderne les plats à gratin sont
ovales (et peuvent être utilisés aussi pour rôtir) ou, plus souvent encore,
carrés ou rectangulaires. Parmi les matériaux employés, on trouve la faïence et
la porcelaine à feu ainsi que le pyrex, même pour des cocottes. Ces dernières
peuvent également revêtir la forme aérodynamique d’une coquelle en fonte
émaillée. Il faut remarquer que tous ces éléments de batterie de cuisine
comportent des anses ou poignées, à peine saillantes, creuses ou pleines (« oreilles »).
On peut même classer dans cette catégorie la sauteuse moderne en verre à feu,
sans queue. Comme elle n’a pas d’anse, on la manipule à l’aide d’une poignée
spéciale en forme de pince, vendue séparément.
4.
Dans la grande majorité des cas, le mot américain « casserole » doit être
traduit par gratin. Il suffit que,
sur le mets préparé, se forme une légère croûte à la surface, sous l’action de
la chaleur, pour que ce mets soit qualifié de gratin. Il n’est pas nécessaire
que le mets soit additionné de fromage. Ladite croûte légère pourra aussi bien
se former de par la nature des ingrédients (œuf dans la sauce, etc.) que par l’addition
de mie de pain, de chapelure, etc.
À
partir du fait que cette légère croûte se nomme gratin, on a, par extension,
appliqué l’appellation à certains modes de préparation : sole au gratin, gratin languedocien. Une grande multinationale alimentaire, fort
connue au Canada, a récemment mis sur le marché un produit qu’elle a eu l’intelligence
d’appeler gratin en français.
On
retiendra donc du gratin qu’il s’agit d’une préparation culinaire dont la
cuisson se termine au four où se forme une partie rissolée.
Il
va sans dire que tout plat de ce type, additionné de fromage fondu ou saupoudré
de fromage râpé, est un gratin.
5.
Une autre traduction courante pour le mot américain « casserole » est
timbale. En principe, la timbale
consiste en une préparation composée des ingrédients les plus variés :
volaille ou gibier, poisson et crustacés, bœuf en menus morceaux, etc., recouverts
d’une croûte en pâte. Sous cette forme, le plat est connu dans les pays anglophones
sous le nom de « piedish » ou de « timbale raised pie ».
On
trouve même des timbales individuelles, généralement à base de pâte feuilletée,
ainsi que quelques desserts appelés timbales. Cependant, dans la réalité, il n’y a
pas toujours de la croûte en pâte. Si certaines timbales s’apparentent à la
tourte, sauf en ce qui concerne la forme, parce que le contenu est entièrement
enrobé de pâte, et que d’autres s’apparentent aux pâtés (le « beef and
kidney pie » étant l’illustration des deux types précédents), il existe,
dans les faits, une grande quantité de timbales sans pâte du tout ou avec une
pâte très légère.
Il
suffit que le mets préparé revête la forme de l’ustensile dont il tire son nom,
autrement dit, soit moulé comme une timbale pour qu’il en porte le nom. Et c’est
ici que nous trouvons le rapprochement le plus grand avec la « casserole »
américaine lorsqu’on nous explique que celle-ci est façonnée en forme de
casserole ou, pour mieux dire, de timbale. Outre celles mentionnées plus haut, les
autres timbales les plus connues sont faites avec du riz et des champignons,
des abats et abattis de volaille, des champignons et des pâtes alimentaires. La
liaison est généralement constituée par une sauce béchamel. Et toutes ces
dernières, avec ou sans fromage : dans le présent cas il devient alors
difficile de différencier ces timbales des gratins.
6.
Compte tenu du principe de traduction voulant qu’il ne soit pas obligatoire de
traduire systématiquement chaque mot de la langue d’origine pour être compris
dans une autre langue, il existe des cas où il n’est absolument pas
nécessaire de traduire le mot « casserole ». Alors que la langue
anglaise insiste souvent sur un mot et le met en évidence (il devient alors un
mot-clé pour la compréhension de l’anglophone ; un mot qui fait image), le
fait d’en retrancher l’éventuelle traduction française ne changera
absolument rien à la compréhension du francophone et à l’image qu’il voit
en lisant un titre pourtant apparemment différent du titre anglais ; et ce
peut être le cas pour quelques-unes des préparations américaines.
Source: Kraft |
Prenons un exemple. Le titre américain « macaroni, ham and
cheese casserole » est traduit en français par « macaronis gratinés
au jambon ». On remarquera que dans la version française il n’est fait
mention ni du mot casserole lui-même (qui est, répétons-le, à proscrire) ni
même d’une équivalence, à savoir : gratin,
timbale ou plat de. Néanmoins, le
francophone qui lit ce titre se représente immédiatement le mets qui apparaîtra
sur sa table sans qu’il soit besoin d’ajouter un mot.
Dans
l’étiquetage, lorsqu’il s’agit d’appliquer le règlement qui exige que le
français soit équivalent à toute autre langue, il faut bien se garder de
prendre le texte légal au pied de la lettre en cherchant désespérément à
traduire mot pour mot et à mettre, du côté français, autant de mots qu’il y en
a du côté anglais. Il serait tout aussi déplacé dans ce cas précis de s’obstiner
à mettre l’éventuel équivalent de « casserole » (inutile,
répétons-le) dans des caractères aussi gros, aussi importants et aussi voyants
que ceux dans lesquels est écrit le mot américain « casserole ». En
effet, si ce dernier mot est indispensable du côté anglais et constitue, pour
le consommateur nord-américain anglophone, le pivot du titre, l’éventuel
équivalent français, qui serait « plat de », peut être placé en tout
petits caractères au-dessus du titre sans s’écarter de l’esprit de la loi.
En
conséquence, et pour nous résumer, si l’on tient à tout prix à « rendre » la
notion contenue dans le mot américain « casserole » et qu’on juge que
la préparation concernée n’est ni un gratin, ni une timbale, on pourra écrire « plat
de macaronis gratinés au jambon »
en donnant toute l’importance aux quatre derniers mots, sachant que les deux
premiers pourraient disparaître sans dommages. Et il est encore plus important
de les faire disparaître d’une étiquette ou d’un emballage lorsque le titre est
déjà très long. Prenons le cas de « chou-fleur à la hongroise avec sauce à
la crème sure ». Ce titre est déjà très long sans qu’il soit besoin de l’alourdir
avec des mots inutiles. Le titre américain comprend le mot « casserole »
mais en français, le titre cité plus haut est amplement suffisant d’autant plus
qu’il s’agit d’un plat préparé, surgelé, destiné à être simplement chauffé au
four. La préparation étant déjà placée dans un plat à four, la ménagère
francophone sait très bien qu’il s’agit d’une préparation dans un plat unique
du même type que les brocolis en sauce blanche qu’elle pourrait se préparer. Et
si ce n’est ni un gratin, ni une timbale, qu’elle a devant les yeux les
ingrédients et le mode d’emploi, il est clair qu’il est inutile d’ajouter dans
le titre qu’il s’agit d’un « plat de » chou-fleur. Lorsqu’on parle d’asperges
sauce hollandaise, d’endives à la flamande ou de poireaux à la béchamel, tous
mets qui se préparent dans des plats à four, et qui pourraient, eux aussi, être
vendus prêts à chauffer, il n’est nullement besoin de mentionner dans le titre « plat
de », encore moins de donner à ces deux mots l’importance graphique qu’on
accorde du côté américain au mot « casserole ».
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