Le
juge à la retraite Robert Auclair, président-fondateur de l’Association pour le
soutien et l’usage de la langue française,
est intervenu récemment auprès de la ville de Boucherville pour lui suggérer d’utiliser
la formule « fait à », au lieu de « donné à », dans les
avis qu’elle publie. La ville a décidé de ne pas donné suite à la suggestion de
M. Auclair en arguant de l’approbation reçue de la part de l’Office
québécois de la langue française (OQLF) :
Après
avoir fait des vérifications auprès de l’OQLF, il a été porté à notre attention
que « Pour ce qui est de donné à
dans l’énoncé Donné à Boucherville ce
16 juillet 2014, il s’agit d’une formule qui a vieilli dans le reste
de la francophonie, mais qui a toujours cours au Québec dans un contexte plutôt
juridique ou officiel. La formule fait à
est également utilisée et elle convient dans ce type de texte. »
L’utilisation
du terme donné à dans nos avis
publics et nos appels d’offre dans un contexte juridique et officiel est donc
accepté [sic] par l’OQLF. Pour cette raison, la Ville de Boucherville n’entend
pas donner suite à votre suggestion.
(Lettre
du 29 septembre 2017)
Notons
dans l’avis de l’OQLF l’argument suivant : donné à est « une formule qui a vieilli dans le reste de la
francophonie ». Et elle a commencé à vieillir il y a longtemps ! Dans
un document que je reproduirai plus bas, le juge Auclair cite une ordonnance de
1667 de Louis d’Ailleboust, juge et gouverneur de Ville-Marie (Montréal), où on
a plutôt la formule fait à.
Plus
anciennement, on trouvait effectivement la formule donné à, par exemple dans
l’ordonnance de Villers-Cotterets de François ier : « Donné à Villers-Cotterets au
mois d'aoust, l'an 1539, et de nostre règne, le 25. ». Ou celle de Moulins
de Charles ix : « Donné
à Moulins au mois de février, l’an de grâce 1566 et de nostre règne le septième ».
L’édit de Nantes (1598) n’a aucune des formules donné à ou fait à :
L’édit de Nantes (1598) n’a aucune des formules donné à ou fait à :
Signé: HENRY. Et
au-dessous: Par le roi, étant dans son Conseil, FORGET. Et à côté: visa. Et
scellé du grand scel de cire verte, sur lacs de soie rouge et verte. Lues,
publiées et regîstrées, ouï et ce consentant le procureur général du Roi, en
parlement à Paris le 25 février 1599. Signé: VOYSIN. Lu, publié et regîstré en
la Chambre des Comptes, ouï et ce consentant le procureur général du Roi, le
dernier jour de mars 1599. Signé: DE LA FONTAINE. Lu, publié et regîstré, ouï
et ce consentant le procureur général du Roi, à Paris en la Cour des Aides, le
30 avril 1599. Signé: BERNARD.
En revanche, l’édit de Fontainebleau (1685),
qui révoque l’édit de Nantes, se termine ainsi : « Donné à Fontainebleau au mois d'octobre
1685. Et de notre règne le quarante-troisième. Signé LOUIS. et sur le repli,
visa, LE TELLIER, et à côté, par le Roy, COLBERT. et scellé du grand Sceau de
cire verte, sur lacs de soie rouge et verte. »
Je
ne saurais dater l’apparition de la formule fait
à mais elle est attestée chez nous dès l’époque de la Nouvelle-France. Dans
les recueils de lois de l’époque de la Révolution française que j’ai pu
consulter, il est remarquable de constater que les formules donné à et fait à sont fréquemment absentes, par exemple dans cette résolution
votée par le Conseil des Anciens du traité avec le roi de Sardaigne :
Mais
dans la résolution adoptée par le Directoire au sujet de ce même traité, la
formule fait à est présente dans la
première partie, mais absente dans la seconde :
Dans
le traité avec Tunis (1795), on ne trouve que fait à :
En
revanche, dans les documents relatifs au traité de paix avec l’Espagne, on
trouve les deux formulations fait à
et donné à mais au vu des autres
textes de l’époque cette dernière semble en voie de disparition :
On
sait qu’au Québec, depuis la Conquête, la langue juridique a été fortement
influencée par l’anglais, influence qui s’est exercée jusque dans la langue
courante. Pour s’en convaincre, on n’aura qu’à consulter le répertoire des
anglicismes que Wallace Schwab
donne au chapitre 2 de son ouvrage Les anglicismes dans le droit positif québécois. Un seul exemple suffira pour
notre propos : le mot affidavit (déclaration sous serment) que l’on a pu entendre dans chacun des
épisodes de la série District 31 diffusés cette semaine. La langue
juridique anglaise utilise beaucoup de mots latins, à l’occasion anglicisés (quo
warranto). Affidavit est
un exemple de la langue anglo-latine dont on trouve des traces dans le français
du Québec. Il en va probablement de même de «donné à», en latin «datum + locatif»
(datum Romae, donné à Rome) qu'on trouve en anglais sous la forme «given
at». On a vu que fait à était utilisé
au Québec au xviie siècle. Je ne
puis pas dire si donné à était encore
utilisé : si oui, son usage a pu être raffermi sous l’influence de l’anglais
(ce serait alors ce que Jean Darbelnet appelait un anglicisme de maintien).
Le latin ecclésiastique ou de chancellerie utilise la formule datum + locatif et on trouve sa
traduction littérale dans la version française des encycliques, par exemple
dans Laudato si du pape François :
Donné à Rome, près de
Saint-Pierre, le 24 mai 2015, solennité de Pentecôte, en la troisième année de
mon Pontificat. En
latin: Datum Romae, apud Sanctum
Petrum, die XXIV mensis Maii, in sollemnitate Pentecostes, anno MMXV,
Pontificatus Nostri tertio.
On la trouve aussi dans l’encyclique Une fois encore de Pie x, publiée originellement en français :
Donné à Rome, près de
Saint Pierre, le jour de l'Épiphanie, le 6 janvier de l'année 1907, de Notre
Pontificat le quatrième.
Ou encore dans l’encyclique Mit brennender Sorge de Pie xi,
rédigée en allemand par Eugenio Pacelli, futur Pie xii, deux cardinaux et trois évêques allemands : Gegeben im Vatikan,
am Passionssonntag, den 14. März 1937.
Curieusement,
une encyclique rédigée directement en italien, Non abbiamo bisogno de Pie xi,
n’a pas l’équivalent italien de donné à :
Roma, dal Vaticano, nella
Solennità dei SS. Apostoli Pietro e Paolo, 29 giugno 1931.
Comme le montre la fiche de M. Auclair, c’est
la formule fait à qui est courante en
français contemporain (depuis le xviiie siècle tout de même !) et donné à est
clairement un archaïsme aujourd’hui. On ne trouve plus guère donné à qu’au Québec, où il est
concurrencé par fait à, et dans les
textes français du Vatican. En l’avalisant, l’OQLF nous propose une fois de
plus un modèle de langue archaïque. Comme lorsqu’il entérine le mot vidanges au sens d’« ordures
ménagères », mot pourtant disparu de l’usage officiel des municipalités du
Québec.
Après cette longue introduction, voici maintenant
la fiche rédigée par M. Auclair :
DATÉ, DONNÉ, ÉDICTÉ, SIGNÉ,
etc.
Un acte est une pièce écrite qui constate légalement un fait,
une convention ou une obligation. Tels sont un traité, un contrat, un arrêté,
un décret. À la fin de l’acte, on trouve habituellement les mots « Fait à…, le … » indiquant le lieu
et la date de signature. Cet usage est généralisé en français depuis plusieurs
siècles. On trouve cependant peu de textes sur cette question, si ce n'est Correspondance et rédaction administratives
de Jacques Gandouin (Paris, Armand Collin, 7e éd., 2004), le Dictionnaire des particularités de l’usage
de Jean Dalbernet (Presses de l’Université du Québec, 1986), le MULTIdictionnaire de la langue française
(Montréal, Québec Amérique, 6e éd., 2015) de Marie-Éva de Villers et
le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui.
Il y a lieu de mentionner le Code de
rédaction institutionnel de l’Union européenne dans lequel on lit :
« À la fin de l’acte, on trouve :
d’abord les mots « Fait à …, le … » indiquant le
lieu et la date de signature,
ensuite la (ou les) signature(s).
(source : http://publications.europa.eu/code/fr/fr-120500.htm)
La formulation « Fait à » était courante chez nous dans les
débuts de la colonie. Ainsi, le 22 mai 1667, le juge d’Ailleboust rendait
une ordonnance à Ville-Marie qui se terminait par la phrase suivante :
« Fait et édicté avec l’approbation des messieurs les seigneurs de l’île
de Montréal pour être lue ce jour d’huy et affichée à la porte de l’église
paroissiale. » La Nouvelle-France est coupée de la francophonie à partir
de 1760 et oublie « Fait à ». À partir de là, on commence à trouver « Daté »,
Donné », « Édicté » « Signé », etc. Parfois,
aucune formule ne précède la mention du lieu et de la date. Bref, c’est le
régime du À la va comme je te pousse.
La langue juridique et administrative a besoin de stabilité,
il est donc normal qu’elle évolue moins vite et qu’elle conserve plus longtemps
certains usages. Dans le cas de « fait à », l’usage s’en est maintenu
dans les autres pays francophones et encore en bonne partie au Québec. Il n’y a
pas de raison de le remplacer par « Signé à » ou une autre formule.
Quelques années après la conquête, le célèbre traité de Paris
se termine par les mots suivants avant les signatures :
Fait à Paris le Dix de Février mil
sept cent soixante-trois.
Deux cents ans plus tard, le texte de l'accord international
intervenu entre douze pays approuvant l'accord de Paris qui mettait fin à la
guerre du Vietnam, se termine par les mots suivants:
Fait à Paris en douze exemplaires le deux mars mil neuf cent
soixante treize,….
(Extrait
de La Presse du 8 mars 1973)
En vertu du Traité des eaux limitrophes signé le 11 janvier 1909, dont le
Canada et les États-Unis sont signataires, une commission est créée pour
appliquer le règlement. L’échange
des ratifications se termine ainsi :
Fait à Washington, le 5e jour de mai
mille neuf cent dix
Done at Washington this 5th day of May, one
thousand nine hundred and ten.
Formule courante à la fin d’un acte : Fait à…, le… (nom du
lieu et date de signature)
(signature)
Le 24 juin 2017
M. Robert Auclair
RépondreSupprimerMerci de toujours être là et de continuer.
Je me rappelle cette lointaine époque où vous défendiez le
« Saint-« contre le « St-« dans les noms de rues, villes ou autres.
Y. Thibault