vendredi 31 juillet 2020

Grands et joyeux déploiements de rues piétonnes


À Québec ça commence royalement
Par le grand et joyeux déploiement
Des tambours, des trompettes, des brillants
Que l'on voit dans les vrais couronnements.
‑ Chanson du Carnaval de Québec

Dans Le Devoir de ce matin, on peut lire : « Montréal se félicite du succès de ses rues piétonnes déployées dans l'urgence de la pandémie ». Mais plus fréquemment dans l’usage québécois ce sont des personnes que l’on déploie ou qui se déploient individuellement. On en trouve plusieurs exemples sur le site de l’armée canadienne : « ce que je portais quand j'ai été déployé », « j'ai été déployé en Afghanistan en 2005 », « j'ai été déployé dans le cadre d'opérations », « j'ai été déployé en Bosnie », « j'ai été déployé deux fois en Afghanistan », « j'ai été déployé comme officier planificateur au sein de l'état-major londonien de gestion de crise (Joint Military Command-London) », etc.


Ces extensions dans l’usage du verbe déployer (déployer des rues, déployer un soldat) n’ont pas été enregistrées dans Usito, « dictionnaire conçu au Québec pour tous les francophones et francophiles intéressés par une description ouverte du français » :

Cliquer sur l'image pour l'agrandir

C’est que bien souvent Usito ignore les usages québécois. La banque de dépannage linguistique (BDL) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’a pas non plus relevé ces emplois pourtant fréquents dans la langue parlée (en particulier dans les informations à la radio et à la télévision) et écrite.

Extrait de la nomenclature de la BDL

mercredi 29 juillet 2020

Perseverare diabolicum


Il fut un temps où la locution latine errare humanum est était plus courante qu’aujourd’hui mais on en ignorait souvent la version complète : errare humanum est, perseverare diabolicum. Persister dans son erreur est diabolique.


Eu feuilletant récemment le second tome des Problèmes de linguistique générale de Benveniste, j’ai trouvé un exemple qui montre le côté diabolique, pour ainsi dire, des dictionnaires qui se transmettent de l’un à l’autre la même erreur. Quelques-uns le savaient, plusieurs s’en doutaient, les dictionnaires se copient les uns les autres depuis des siècles. Dans un texte publié pour la première fois en 1966, Benveniste étudie l’étymologie de microbe, mot créé au xixe siècle par un savant français : du Dictionnaire général (1890) au Petit Robert, on dit que le mot est un emprunt au grec μικρόϐιος et qu’il signifie « dont la vie est courte ». Double erreur !


En effet, le mot μικρόϐιος n’existe pas en grec ancien. On voit qu’il est absent du Dictionnaire grec-français de Bailly :





En second lieu, μικρός ne signifie pas « court », mais « petit ». Court se dit plutôt βραχύς.


En fait, le mot a été créé par le savant Sédillot à partir de deux mots grecs, μικρός (petit) et βίος (vie). C’est d’ailleurs l’étymologie que donne Wikipédia.


Doit-on s’étonner qu’Usito, pourtant produit un demi-siècle après l’article de Benveniste repris dans un ouvrage publié en 1980 et qui devrait être une lecture obligatoire dans les cours de linguistique, perpétue la fausse étymologie de ses prédécesseurs ?

Source: Usito, s.v. microbe


lundi 27 juillet 2020

Masque ou couvre-visage?



Le masque est maintenant obligatoire pour prendre les transports en commun
La période probatoire est terminée dans les transports en commun : les Québécois devront dorénavant porter un couvre-visage pour les utiliser.
‑ Le Devoir (édition électronique), 27 juillet 2020 (texte de la Presse canadienne)

Il y a quelques semaines est apparu le terme couvre-visage alors que, jusque-là, on se contentait de parler simplement de masque. L’Office québécois de la langue française (OQLF) vient même d’ajouter une fiche « couvre-visage » à sa liste des « Fiches et articles en lien avec la COVID-19 ». Voyons la définition qu’il en donne : « pièce de tissu couvrant le nez et la bouche, etc. ». Le visage, c’est n’est donc que le nez et la bouche. Mais cela ne correspond pas au sens de visage qu’implique la fiche « visière de protection » : «écran de plastique rigide, vertical et incurvé, que l'on porte devant le visage, etc. » Petite contradiction entre les deux fiches.


En français le mot masque est bien suffisant puisqu’il peut désigner un « objet recouvrant et représentant parfois tout ou partie du visage, qui est porté dans diverses occasions de la vie sociale selon les peuples et les époques » ou une « pièce d'étoffe recouvrant la totalité ou la partie supérieure du visage que l'on porte pour se dissimuler (portée, autrefois, par les femmes pour se protéger du soleil, du froid, etc.) » (Trésor de la langue française informatisé). De plus, le visage ne se résume pas au nez et à la bouche comme porterait à le croire la fiche de l’OQLF mais il est toute la « partie antérieure de la tête d'un être humain, limitée par les cheveux, les oreilles, le dessus du menton. »


Pourquoi l’OQLF a-t-il introduit ce nouveau terme de couvre-visage ? La seule raison que je trouve, c’est qu’on utilise en anglais l’expression face covering (moins fréquemment que mask, tout de même). Fidèle à sa propension au calque, l’OQLF s’est empressé de nous offrir une traduction littérale sans même se demander si elle était justifiée.


Le bons sens a peut-être pris le dessus car il me semble noter, ces jours derniers, un recul du terme couvre-visage dans les messages publiés par les autorités sanitaires.


vendredi 17 juillet 2020

Cocasses coquilles


Dans sa première chronique gastronomique depuis le déconfinement, Le Devoir de ce matin nous offre ces perles :

Mais arrivons-en au point qui nous intéresse le plus : les vives. Pour l’occasion, l’invité est un allié de longue date en termes de découvertes culinaires. Ce repas avec visière et Purell devait se retrouver dans nos anales communes ! 


On aura compris que vives est mis pour vivres (à moins qu’il ne s’agisse d’un goût particulier pour les bêtes vivantes ?). Quant à anales, s’agirait-il d’un lapsus freudien ? La chroniqueuse aurait-elle apprécié son repas beaucoup moins que ce qu’elle prétend, son inconscient révélant sa véritable évaluation de ce qu’elle a mangé ?

Note du 20 juillet :
Les coquilles ont été corrigées sur le site Internet.

jeudi 9 juillet 2020

L’influence d’un blog / 14


Le 17 mai, j’avais critiqué la fiche « transmission communautaire » de la liste des « Fiches et articles en lien avec la COVID-19 » du Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), où on lisait que l’agent pathogène se transmet « au sein d’une communauté » plutôt qu’au sein d’une population.


Sans tambour ni trompette, le GDT a changé la formulation de sa définition. On y parle dorénavant de la « transmission d’un agent pathogène au sein d’une population ».


mercredi 8 juillet 2020

Prendre ses distances


Dès le 30 avril, j’ai écrit un billet où il était question de la distanciation socialeLe 17 mai, j’écrivais à propos de la liste des « Fiches et articles en lien avec la COVID-19 » :

Conformément à son habitude depuis une vingtaine d’années maintenant, l’OQLF n’hésite pas à privilégier les traductions littérales de l’anglais et met en vedette distanciation sociale plutôt que distanciation physique.



Sans que le changement de préférence soit mentionné, la fiche du Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) met dorénavant en vedette distanciation physique plutôt que distanciation sociale. L’un des premiers à privilégier distanciation physique a été le premier ministre Édouard Philippe. Citons le Figaro :

Il y a un peu plus d'un mois, le ministre de la Culture Franck Riester préconisait l'emploi de «foyer», rejetant le terme «cluster». Le mot traçage tente de se frayer un chemin malgré le «tracking». Hier, lors du dévoilement du plan de déconfinement, le premier ministre Edouard Philippe a préféré à la «distanciation sociale», calque de l'anglais social distancing, la «distanciation physique».
[…]
«Distanciation sociale est une expression malvenue. En anglais, social a gardé son sens étymologique. En français à partir de 1830, il a pris une signification politique», explique le linguiste Bernard Cerquiglini. On parle de «question sociale», de «préoccupations sociales» ou encore, de «mouvement social».


Le GDT n’avouera pas qu’il a changé son fusil d’épaule, aucune indication ne permet de savoir que la fiche a été modifiée. Il y a à peine deux mois il justifiait le calque distanciation sociale, maintenant il n’a d’arguments que pour distanciation physique :

Dans la plupart des sources d'information en santé publique, on emploie désormais le terme distanciation physique, plutôt que distanciation sociale, parce qu'il a l'avantage d'atténuer la connotation négative associée à l'isolement social. En effet, grâce aux moyens technologiques actuels, les personnes éloignées physiquement ne perdent pas la possibilité d'entretenir leurs liens sociaux.


mardi 7 juillet 2020

Abus de trope*


Ce n’est pas la première fois qu’une lecture trop rapide me fait louper une énormité dans une fiche du Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Cette fois-ci, j’avais lu sans faire de vérification la note suivante de la fiche « réveil (réveille-matin) » dont j’ai parlé dans le billet précédent :


Le terme cadran, parfois employé par métonymie au Québec pour désigner le concept de « réveil », est déconseillé en ce sens. 


La métonymie n’a rien à voir dans toute cette histoire. La première définition de cadran que donne le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) est la suivante :

Surface plane carrée disposée verticalement ou horizontalement sur laquelle sont gravés ou peints les chiffres des heures sur lesquels le soleil (ou la lune) projette l'ombre d'un style


Et le TLFi cite l’exemple suivant :

Quand vers 1600 apparurent les premières « montres », il s'agissait dans la plupart des cas, de petits cadrans solaires portatifs.
E. VON BASSERMANN-JORDAN, Montres, horloges et pendules, 1964, p. 102.


Vers 1600, les montres n’étaient donc que de petits cadrans solaires. Dans la 8e édition du dictionnaire de l’Académie on lit : « [cadran] signifie absolument Cadran solaire. Allez voir au cadran l'heure qu'il est. » Et dans la 4e édition on trouve l’exemple suivant : « Regarder au cadran quelle heure il est ».


Dans le lexique québécois mis en ligne par Denis Cousineau, on lit : « Toutes les horloges sont des cadrans ». Et, en effet, le mot cadran ne désigne pas au Québec que des réveils, à preuve quelques exemples tirés du Trésor de la langue française au Québec : « lorsque minuit sonna au cadran de l’Église Molson » (1898), « soudain quatre coups vibrent au cadran de la grande salle voisine » (1912), etc.


L’emploi de cadran au Québec au sens de « réveille-matin » ou d’« horloge » ne relève pas d’une métonymie mais s’explique tout simplement par la conservation du sens premier. Pas de métonymie, un simple archaïsme.

Résumé
Du point de vue synchronique, l'explication par la métonymie que donne le GDT est tout à fait valable. Mais si on fait l’histoire du mot, on se doit de constater que le sens québécois de cadran perpétue le premier sens de ce mot dans les années 1600.

Il est curieux que nos endogénistes du GDT, qui tentent de valoriser vidanges en se basant sur l’argument que le mot apparaît dans le dictionnaire de l'Académie de 1762, n'aient pas vu qu'ils pouvaient se servir de l'argument historique pour « légitimer » cadran.



________
*Trope : Figure par laquelle un mot prend une signification autre que son sens propre (TLFi).


lundi 6 juillet 2020

Terminologues en quête de réveils





Elle a commencé par faire taire les cadrans. 
‑ Mylène Moisan, « Ce qui reste du déconfinement », Le Soleil, 1er juillet 2020


Cette petite phrase sortie de son contexte ne veut pas dire grand-chose. Mais c’est elle qui m’a donné l’idée d’aller voir la fiche « cadran » dans le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). On est redirigé vers la fiche « réveil » (réveille-matin). Une note nous apprend que cet objet est un concept (la belle affaire!) et qu’on déconseille l’emploi du mot cadran au sens de « réveille-matin ».



L’emploi d’abreuvoir au sens de « fontaine » (voir mon billet du 26 juin), tout aussi impropre que celui de cadran au sens de « réveille-matin », est pourtant accepté « dans certains contextes ».


Deux poids, deux mesures.