lundi 26 janvier 2015

Le vaudeville du boulevard, cinquième acte


On m’a signalé il y a déjà plusieurs semaines que le vaudeville du véloboulevard était terminé. Cet axe de circulation est un parcours cyclable composé de plusieurs rues cyclables qui relie l’Université Laval et la Colline parlementaire. Rappelons que l’Office québécois de la langue française rejetait le terme et avait proposé de le remplacer par « itinéraire cyclable partagé » puis par « vélorue ». Voir mes critiques de ces propositions dans les billets :

Le vaudeville du boulevard (3 décembre 2012)


Fin août 2014, faisant fi des propositions de l’Office, la Ville de Québec se prononçait en faveur de l’appellation « corridor Père-Marquette » (voir l’article de Valérie Gaudreau dans Le Soleil du 5 septembre 2014).




mardi 20 janvier 2015

Une définition engagée


Aujourd’hui, j’entends sur France Musique le journaliste Pierre Assouline exprimer une réflexion que je m’étais aussi faite ces jours derniers : le mot islamophobie ne devrait pas désigner la haine de l’islam mais la peur de l’islam. Ce qui serait conforme à son étymologie.


Citons Assouline : « … le terme islamophobe est employé, galvaudé, à mauvais escient, très souvent. Islamophobie, c’est la peur, c’est pas la haine, c’est la peur de l’islam ou d’un certain islam ou de sa déviation. » Il ajoute que le personnage principal du dernier roman de Houellebecq (Soumission) est quelqu’un qui a peur de l’islam. (Pour écouter l’émission, cliquer ici pour être redirigé vers la page « Une rentrée littéraire bousculée par une actualité tragique »).


Le Larousse en ligne définit le mot islamophobie ainsi : « hostilité envers l’islam, les musulmans ». Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française a deux fiches « islamophobie » (datées de 2005) : dans l’une, le mot est défini comme une « phobie qui se manifeste par une crainte irraisonnée et persistante à l'endroit de l'islam »; dans l’autre, comme du « racisme qui se manifeste par une haine, des préjugés et une discrimination délibérés à l'endroit de l'islam, des membres de la communauté musulmane, pratiquants ou non, ou des objets et lieux du culte islamique. » L’utilisation du mot racisme dans cette définition, qui va beaucoup plus loin que celle du Larousse, me semble discutable.


Discutable d’autant plus que j’ai découvert, en faisant quelques recherches sur Internet, qu’il y avait une polémique sur la décision du dictionnaire américain Webster de ne pas inclure islamophobia ou islamophobic dans sa nomenclature (islamophobia figure toutefois dans la liste des mots suggérés par des usagers). Je suis en effet tombé sur le site Jihad Watch où j’ai lu : « Claire Berlinski writes about how the concept of “Islamophobia” was cooked up by a Muslim Brotherhood front group, the International Institute of Islamic Thought, in order to intimidate the ignorant and politically correct kuffar and make them too frightened to explore the ways in which Islamic jihadists and supremacists use the texts and teachings of Islam to justify violence and subjugation of unbelievers ». Sur le site de cette Claire Berlinski, on lit : « In an effort to silence critics of political Islam, advocates needed to come up with terminology that would enable them to portray themselves as victims. »


En 2013, l’International Civil Liberties Alliance a publié un article intitulé « The Problematic Definition of ‘Islamophobia’ ». L’Alliance fait les recommandations suivantes à l’ODIRH (Office for Democratic Institutions and Human Rights), qui dépend de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) :

1. To ODIHR: Based on the above, ODIHR must abandon any discussion of the term immediately. The term must be removed from any existing official publications, and may not be included in any future publications.
2. To the Participating States: Refrain in all circumstances from using the term “Islamophobia” in any public discussions, papers, publications, brochures, and other printed material.


Je me contenterai de conclure platement qu’il est difficile dans ces circonstances de définir le mot islamophobie puisque sa seule inclusion dans la nomenclature d’un dictionnaire suscite déjà la controverse.


lundi 12 janvier 2015

La lourdeur du vélo, la légèreté de la fiche


Dans mon billet du 6 janvier, je traitais du terme fatbike. J’y reviens à la suite de commentaires que j’ai reçus et d’une petite discussion qui a eu lieu sur une page Facebook à laquelle je suis inscrit. Tous ces échanges portaient sur les équivalents français que l’on pourrait trouver. Il y a eu plusieurs suggestions : le mot-valise vélon (vélo + [pneu] ballon), vélo-neige, vélo à neige, vélo d’hiver, vélo de neige, vélo-ballon. Sur le coup, j’ai moi aussi proposé vélo-neige (sur le modèle de motoneige) et j’ai ajouté vélo des neiges (sur le modèle de scooter des neiges et de surf des neiges).


Mais le fatbike est un vélo qui permet de rouler autant sur le sable que sur la neige : ce qui pose un problème si on utilise les termes vélo des neiges ou vélo-neige.


Un participant à la discussion sur la page Facebook, après avoir vu une photo de l’engin, a fait une remarque de gros bon sens : le fatbike, c’est tout simplement un vélo.


En fait, le fatbike est un vélo tout-terrain, un VTT. La fiche du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française nous induit en erreur en proposant comme équivalent « vélo à pneus surdimensionnés » (une définition plutôt qu’un terme) au lieu de VTT, tout simplement. Par ailleurs, fatbike est une marque déposée (et il faudrait l’écrire Fatbike). Or, on n’a pas à traduire les marques déposées (et c’est tout le problème de l’affichage anglicisant de Montréal à base de marques de commerce utilisées comme noms d’entreprises…). Il est étonnant que l’Office, qui a fait une campagne publicitaire pour inciter les commerçants affichant comme nom une marque de commerce en langue anglaise à y ajouter un terme générique français ou une description en français, n’ait pas proposé cette solution dans sa fiche, ce qui aurait pu donner les propositions suivantes : le vélo tout-terrain Fatbike, le VTT Fatbike, le vélo à pneus surdimensionnés Fatbike.


jeudi 8 janvier 2015

Lexicalement correct


Au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, voici un extrait de la réaction de mon ami Robert Chaudenson sur Mediapart :

Déformation professionnelle sans doute, ma première réaction fut en quelque sorte professionnelle et donc d'ordre lexical ; il me paraissait impropre voire scandaleux, à tort pour partie sans doute, d'entendre parler de « terrorisme » et plus encore de « violence aveugle » (formule reprise par N. Sarkozy), alors qu'il s'agissait purement et simplement d'un « assassinat politique », longuement médité et dont l'horreur le dispute à la stupidité. Je crois que seul Mélenchon a usé d’un tel terme qui me semble le seul possible !
– Robert Chaudenson, « Terrorisme ou assassinat politique ? »


mardi 6 janvier 2015

Gros bicycle


Cet hiver, à deux ou trois reprises, je croise un drôle de vélo, aux pneus surdimensionnés. Puis, il y a deux jours, je découvre que ce vélo est en fait un fatbike :



Le journaliste Jean-Michel Genois Gagnon donne les explications suivantes dans Le Soleil du 4 janvier :


Une nouvelle activité hivernale envahit les montagnes et les routes du Québec : le fatbike. Le vélo à pneus surdimensionnés a plus que jamais quitté les plages ensoleillées des côtes des États-Unis pour venir dompter les routes enneigées de l'Amérique du Nord.

Le fatbike est un vélo qui offre de nouveaux horizons aux amateurs de freeride. Ses roues larges – offrant une plus grande stabilité – permettent à son utilisateur d'explorer différents types de terrain.

Utilisé au départ pour mieux se déplacer sur le sable, le fatbike est aujourd'hui bien adapté pour les hivers québécois.

Des origines en Alaska
Le premier modèle de fatbike remonte dans les années 80, en Alaska, lors de la course Idita-bike. Certains concurrents avaient alors eu l'idée de souder deux jantes côte à côte et de coudre deux pneus ensemble, de façon à augmenter leur stabilité dans les sentiers de motoneige. Ce n'est que 25 ans plus tard, en 2005, qu'un manufacturier (Surly) décide de produire en série un modèle de fatbike.



Je m’empresse de vérifier si le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française a une fiche fatbike. Bonne nouvelle, oui. Mauvaise nouvelle : au lieu de donner un équivalent français susceptible de remplacer le mot anglais, on offre plutôt une définition : « vélo à pneus surdimensionnés ». Dans ces conditions, l’emprunt fatbike a un bel avenir devant lui.

jeudi 1 janvier 2015

Dire la norme


Dans le billet précédent il était question de la séquestration du jury dans certains procès au Canada. Une simple vérification sur Google montre à quel point l’expression est courante dans les médias du Québec. Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue français considère que cette expression est un anglicisme (fiche de 2007). On trouve dans les archives de l’Office cette capsule linguistique :


« ... les jurés ne sont pas séquestrés. »
Dans certains procès, le jury est isolé du monde extérieur le temps de délibérer pour en arriver à un verdict. Cet isolement est souvent très strict, les jurés devant être tenus éloignés de toute influence extérieure et surtout médiatique. C'est d'ailleurs pourquoi ils sont en général surveillés de très près et confinés dans des lieux (généralement un hôtel) où ils n'ont aucun contact avec l’extérieur (ni radio, ni journaux, ni télé), ne peuvent parler à d'autres personnes que les membres du jury, et ce, pendant toute la durée de leurs délibérations qui peut aller de quelques heures à plusieurs jours.
L'anglais to sequester et son dérivé sequestration ne doivent pas être rendus en français par séquestrer et séquestration. Ces termes n'ont pas ce sens en français, on emploiera plutôt isoler ou isolement, et pour insister sur le caractère très strict de cet isolement, on pourra préciser que le jury est coupé du monde extérieur, gardé sous surveillance policière, tenu dans un lieu sans contact avec l’extérieur, etc., ou parler d’isolement total, complet ou absolu.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter les fiches isoler et isolement de notre Grand dictionnaire terminologique ainsi que la capsule Des jurés qui composent un jury dans les archives des chroniques.
Source : http://www.oqlf.gouv.qc.ca/actualites/capsules_hebdo/actualites_terminolinguistique/luetentendu_sequestre_20070712.html


Selon le Trésor de la langue française informatisé, la séquestration est l’« action de priver une personne de sa liberté en la maintenant enfermée, isolée du monde extérieur ». En droit pénal, c’est l’« action de priver illégalement et arbitrairement quelqu'un de sa liberté, ce qui constitue un délit ou un crime. Synon. détention* arbitraire, internement arbitraire. » Même si la séquestration peut aussi être, par analogie et au figuré, le « fait d'être isolé ou de s'isoler, de se maintenir à l'écart de quelque chose », il me semble qu’il serait abusif de se servir de séquestration en parlant d’un jury maintenu incommunicado puisque, dans le domaine du droit, le mot a déjà un tout autre sens.


La fiche du GDT entre en contradiction avec le Dictionnaire de droit québécois et canadien de Hubert Reid :









Le juge dit le droit. L’Office est censé dire la norme. Dans le cas de l’expression séquestrer un jury, à qui se fier ?

On trouvera d’autres exemples de conflits de normes dans les billets suivants :

Clash de normes

Banderilles / 17