mardi 30 décembre 2014

Droits de l’homme : au Québec, on séquestre les jurés…




… à défaut d’avoir réussi l’an passé à séquestrer le Sacré Collège dans la Chapelle Sixteen :

Les cardinaux qui ont le droit de voter, soit ceux âgés de moins de 80 ans, sont séquestrés au Vatican et font un serment de confidentialité.
Le Devoir, 11 février 2013


Guy Bertrand fournit l’explication suivante :

Pour l’élection d’un pape, on isole les cardinaux, on ne les séquestre pas. Dans ce contexte, séquestrer est un anglicisme. En français, séquestrer est synonyme d’interner (autrefois, on séquestrait les malades mentaux). Le sens le plus courant de séquestrer est retenir quelqu’un contre son gré dans un lieu dont il ne peut s'échapper (séquestrer des otages).
– Guy Bertrand, Le français au micro


Toutefois, les cardinaux qui n'arrivaient pas à s'entendre pour élire un nouveau pape ont déjà été bel et bien séquestrés au moins à trois reprises. Citons un extrait de l’article « Conclave » de Wikipédia :

[…] l'élection mouvementée de Grégoire X, en 1271, […] avait duré près de 3 ans, et s'était tenue à Viterbe. Au bout de 2 ans et 9 mois, les autorités romaines avaient emmuré les cardinaux, ôté le toit de la salle où ils se réunissaient et menacé de les affamer pour les pousser à la résolution. Les cardinaux déléguèrent alors cette décision à une commission de six membres, aboutissant à une élection par « compromis ». En réalité, cette mesure avait déjà été prise auparavant, comme en 1241 par le sénateur Matteo Orsini et en 1254 par le podestà Bertolino Tavernieri, l'élection ayant lieu à cette époque dans la ville où était mort le pape. Pour éviter de nouvelles élections à rallonge, Grégoire X décide ainsi de garder le principe de l'enfermement. Il y ajoute de nouvelles restrictions : au bout de 5 jours de conclave, les cardinaux sont réduits au pain, au vin et à l'eau, ils doivent vivre en commun sans séparation dans la pièce — ce qui provoque un tollé parmi les cardinaux, mesures qui seront modifiées par la suite.



lundi 15 décembre 2014

À l’école de Bouvard et Pécuchet


Je viens de recevoir la dernière Infolettre Usito. Chaque livraison comporte son lot d’inepties. La dernière ne fait pas exception.


Je n’ai pas fait une lecture approfondie de ce placard informatisé. Voici deux éléments qui m’ont sauté aux yeux.


D’abord la phrase d’introduction : « Comme cadeau d’hôte ou dans le bas de Noël cette année, offrez Usito en cadeau! » Comme cadeau, offrez Usito en cadeau ! Pas fort. Quant à cadeau d’hôte, faut-il se surprendre que ce soit un calque de l’anglais host(ess) gift ?

A hostess gift is a gift which is given to the host or hostess of an event by guests. (Source : WiseGEEK)


Enfin, tout en bas de l’une des pages de l’Infolettre, on lit : « pas de mise à jour à déployer ». Déployer une mise à jour ! Et dire que ça veut nous apprendre à écrire.



mercredi 3 décembre 2014

Usito et sa fausse représentation du « français standard en usage au Québec »



Il y a déjà plusieurs semaines il y a eu, sur une page Facebook à laquelle je suis inscrit, une petite discussion suscitée par le commentaire suivant :

Lors de la période des questions de la séance extraordinaire de l’Assemblée nationale (2 juillet, à 13 h 30), le premier ministre a révélé qu’il comptait « faire des représentations » auprès du gouvernement fédéral. L’Opposition le questionnait sur la tragédie de Lac-Mégantic. Il faudrait que les conseillers du chef de gouvernement lui rappellent que « faire des représentations » est un calque de l’anglais. Tel est l’avis consigné dans la Banque de dépannage linguistique (OQLF), dans le Français au micro (Radio-Canada) et dans 1 500 pièges du français… On y conseille de remplacer l’expression par « intervenir », « faire des interventions », « faire des démarches », « exercer des pressions ». Pour sa part, Usito, le dictionnaire établi à l’Université de Sherbrooke, juge l’expression vieillie, sans plus. En somme, le premier ministre a tout avantage à l’abandonner immédiatement, en début de mandat car, tôt ou tard, il aura l'occasion de se reprendre.


J’ai immédiatement réagi par ce commentaire :

Sur quelle base Usito se permet-il d'affirmer que l'expression est vieillie ? Elle me semble au contraire bien vivante au Québec. Il faut se demander si Usito est capable d'assumer les usages québécois qu'il prétend décrire – non pas seulement décrire, mais en plus hiérarchiser !!!


Puis Lionel Meney (Dictionnaire québécois-français : pour mieux se comprendre entre francophones) a publié cette observation :

Usito se trompe totalement quand il dit que « faire des représentations » est vieilli. Dans la base de textes Eureka, on relève 5 500 cas d'emploi de l'expression dans la presse québécoise au cours des dernières années... Faire et adresser des représentations, dans ce sens, sont absents de la presse francophone européenne (site Eureka).


En consultant le Trésor de la langue française informatisé, on voit que « faire des représentations » est tout à fait standard, particulièrement dans le domaine diplomatique :

Adresser, faire des représentations à qqn. Aux représentations amicales qu'il me fit sur la gravité du risque et le peu de nécessité de m'y lancer, n'étant pas du métier, je répondis par un aveu succinct, mais expressif, de ma situation, de mon ennui, de mon impatience d'agir (SAINTE-BEUVE, Volupté, t. 1, 1834, p. 219). V. infra ex. de Chateaubriand.

[Dans la lang. diplom.] Observation comminatoire faite par un état ou un gouvernement à un autre. Le cabinet de Russie, à propos de l'arrestation du duc d'Enghien, adressa des représentations vigoureuses contre la violation du territoire de l'Empire (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 176).


D’où peut donc bien venir l’affirmation d’Usito que l’expression « faire des représentations » est vieillie ? Comme disait la marquise, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent, je vous le donne en mille : des dictionnaires de Paris !


On m'a en effet signalé que cette acception est bien marquée vx dans le Petit Robert et le Petit Larousse.


Encore un cas où Usito nous impose, sans le savoir, la norme européenne contre laquelle il n'arrête pas de se prononcer :

Dans les dictionnaires provenant de France, la mise en contexte est européenne. La littérature québécoise est absente, tout comme les mots spécifiquement utilisés chez nous […]. C'est acculturant » (La Croix, 5 juillet 2008).


Nos anticolonialistes sont donc des vecteurs inconscients du colonialisme linguistique de Paris... Misère !