lundi 25 novembre 2013

Mots nouveaux, maux anciens


Finalement, le narcissisme s’est assez bien porté cette année. Le doute éventuel a été balayé la semaine dernière par l’Oxford Dictionary, qui a élu le mot selfie, dans la langue de Rob Ford, mot de l’année 2013. Un selfie, c’est une photo de soi, un fragment de quotidien dont on est le nombril, immortalisé à bout de bras par l’entremise d’un téléphone dit intelligent pour être partagé frénétiquement sur les réseaux sociaux afin de se montrer et surtout d’affirmer que l’on existe. L’autoportrait vole au ras des narcisses, à défaut de pâquerettes. En français, on peut donc facilement traduire selfie par « egoportrait ».
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La concurrence linguistique était serrée dans les coulisses du Oxford Dictionary, où selfie a ravi le titre de « mot de l’année » à schmeat, néologisme inventé pour qualifier la viande synthétique, ou encore twerk, cette danse vulgairement suggestive popularisée entre autres par la chanteuse décadente et provocante Miley Cyrus.

Fabien Deglise, « Les gros mots », Le Devoir, 25 novembre 2013


Trois mots anglais nouveaux – selfie, schmeat et twerk –, trois mots qui ne sont pas traités dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Il fut un temps (dans les années 1970 et 1980) où l’Office avait une équipe spécialisée en néologie : son mandat était de débusquer les néologismes dans les journaux et magazines de langue anglaise et de leur trouver le plus rapidement possible des équivalents français. C’était au siècle dernier, l’Office n’avait pas encore choisi d’« assumer sa québécitude » comme on dit maintenant. Y en a-t-il encore aujourd’hui qui croient vraiment que l’Office nous aide à dénommer rapidement en français les réalités nouvelles ?


Quant à elle, la banque de données terminologiques Termium du gouvernement du Canada a déjà traité les mots selfie (équivalents français : égoportrait, autoportrait, autophoto) et twerk (emprunt accepté tel quel). Le mot schmeat n’y est pas encore. Deux sur trois, on doit considérer que c’est un score honorable en néologie (les trois mots anglais ne se sont popularisés en effet qu’en 2013 même si les lexicographes du Oxford English Dictionary ont trouvé une première attestation de selfie en 2002 en Australie).


Ajoutons pour terminer que le schmeat, qui est de la viande produite in vitro, a été aussi appelé frankenburger (Le Soleil, 5 août 2013 ; Le Devoir, 20 août 2013) et même burger éprouvette (Le Monde, 30 juillet 2013). Il est vrai que, compte tenu de son prix élevé de production, la consommation de ce produit n’est pas près de se généraliser et que l’OQLF aura bien le temps de lui trouver un équivalent français – si les terminologues fédéraux de Termium ne lui dament pas le pion.



vendredi 22 novembre 2013

L’abondance de la rareté


Dans mon billet du 12 décembre 2011, j’avais noté la formulation curieuse de la définition du mot savane dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) : « terrain bas, parfois marécageux, caractérisé par l'abondance des mousses et de [sic] la rareté des arbres ». L’abondance… de la rareté des arbres… La fiche savane (domaine : géographie) offre une formulation correcte mais pas la fiche savane (domaine : géologie) :




Ce manque de systématicité dans le travail est tout de même inquiétant. Il aurait pourtant suffi d’un simple copier-coller. Mais il est encore plus inquiétant de constater que, deux ans plus tard, la fiche n'a toujours pas été corrigée.



jeudi 21 novembre 2013

De la vermine


Cet automne, en plus des punaises et d’interventions locales de l’exterminateur, tout le 4e étage des résidences de l’ouest, rue Saint-Urbain, a dû être traité pour infestations de coquerelles.
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Sur le site de l’Université Laval, les résidents sont informés de la procédure à suivre dès qu’ils remarquent des insectes « qui causent des problèmes », soit les « poissons d’argent, les blattes et les punaises de lit ».
Lisa-Marie Gervais, « Résidences universitaires – des invités indésirables », Le Devoir, 21 novembre 2013


Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française nous informe que coquerelle est un mot de la langue courante au Canada. Je pose la question une nouvelle fois encore : que vient faire la langue courante dans un dictionnaire terminologique ? Je reviendrai sur la question dans un prochain billet où je montrerai que la pratique du GDT contredit la théorie qu’il professe.


Dans l’extrait de l’article du Devoir, on trouve aussi le terme poisson d’argent, fort répandu au Québec. Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) nous apprend que poisson d’argent est synonyme de lépisme (tout court). Ce dernier mot n’apparaît dans le GDT que dans l’expression lépisme argenté. La fiche du GDT, datée de 1985, n’a pas été rédigée par un terminologue de l’Office mais provient de la Société de protection des plantes du Québec. On peut se demander si le bon usage en français ne consiste pas à employer lépisme (tout court) mais le GDT ne répond pas à cette question.