mardi 28 mars 2017

De la liberté


S’il s’avère que M. Potter démissionne de son propre gré, c’est une chose. À l’opposé, si McGill l’a poussé à le faire, de sérieuses questions se poseraient à l’université sur sa conception de la liberté académique.
– Josée Legault, « Les leçons oubliées de l’ ‘affaire’ Michaud », Le Journal de Montréal, 24 mars 2017


L’affaire Potter – du nom du professeur de l’Université McGill qui a déclaré dans un article du MacLean’s que le Québec est « pathologiquement aliéné » – a suscité un certain nombre de réactions de personnes défendant la liberté « académique ». En français, on parle plutôt de la liberté universitaire :

La liberté universitaire est ce[1] principe fondamental qui assure que les universités sont en mesure de jouer effectivement leur rôle dans une société démocratique. Il postule que les universitaires ont la liberté de rechercher et de publier à la seule condition que leurs propos ne contreviennent pas aux lois. (Pierre Trudel, « Le vrai danger de l’affaire Andrew Potter », Le Devoir, 28 mars 2017)


On ne peut pas se revendiquer de la liberté universitaire quand on raconte des faussetés et que l’on tient des propos xénophobes.


En 1978, dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, j’ai eu l’occasion de participer à une manifestation qui défendait la véritable liberté universitaire, celle d’affirmer ses opinions face à un gouvernement raciste. Le chancelier de l’Université du Cap et les professeurs en toge suivis des étudiants ont défilé derrière la torche éteinte de la liberté universitaire, suivant une tradition remontant à 1959.
 
Le théâtre de l’Université du Cap, l’un des rares endroits publics de l’époque à ne pas pratiquer la ségrégation

[1] Dans une définition, l’article démonstratif est un calque de l’anglais : la liberté universitaire est le principe… 

lundi 27 mars 2017

Une fiche terminologique peut-elle être imbuvable?


Dans une fiche de 2014, le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) donne comme équivalent français de soda water et club soda le mot soda, tout court. Avec cette explication : « Le terme soda est un emprunt à l'anglais complètement intégré au français. » Complétée par la remarque : « Le terme soda désigne également une boisson non alcoolisée sucrée.» Ces deux affirmations appellent des commentaires.


Première affirmation : « Le terme soda est un emprunt à l'anglais complètement intégré au français. »


Commençons par citer la définition que le GDT donne de soda : « Eau traitée dans laquelle on a dissous du gaz carbonique sous pression. »


Et comparons-la à celle du Trésor de la langue français informatisé (TLFi) :

Vieilli. Soda-water ou soda. Eau gazéifiée par une solution de bicarbonate de soude. […]


Passons sur l’évolution technique dans la préparation du produit : anciennement à l’aide de bicarbonate de soude, aujourd’hui par du gaz carbonique. Il se dégage de la consultation du TLFi que ce sens du mot soda est vieilli.


Dans le même ordre d’idées, il convient de commenter une autre affirmation du rédacteur[1] de la fiche : « Les termes club soda et soda club sont surtout employés en Amérique du Nord dans l'industrie des boissons gazeuses. Ces emprunts à l’anglais sont déconseillés puisqu'ils entrent en concurrence avec soda, emprunt ancien désormais intégré au système linguistique du français. »


Il ne faut donc pas employer club soda ou soda club parce qu’ils concurrencent soda, « emprunt ancien ». Or, selon le TLFi, la plus vieille attestation de soda en français est dans l’expression soda water et elle date de 1814. Et la même expression est attestée au Québec (« fontaines à soda-water ») en 1844 (selon le Trésor de la langue française au Québec). Ce qui est ancien, ce n’est pas soda mais soda water. Puisque l’ancienneté est pour les terminologues endogénistes le critère de l’admissibilité d’un terme, c’est donc soda water que l’on doit retenir.


Dans le même ordre d’idée, signalons la remarque suivante qui apparaît dans la fiche « boisson gazeuse » : « Soda est un emprunt à l'anglais intégré et légitimé en français». Je n’aurais pas tiqué si l’auteur avait écrit : soda est un emprunt légitime. Mais légitimé ? On aimerait bien savoir par qui. Sûrement pas par l’OQLF qui a désofficialisé tous les termes relatifs aux sodas[2].


Seconde affirmation : « Le terme soda désigne également une boisson non alcoolisée sucrée. »


Il aurait d’abord fallu ajouter un mot dans la phrase précédente : Le terme soda désigne également une boisson gazeuse non alcoolisée sucrée. Et préciser que ce sens est le seul courant en français standard de nos jours.


Je l’ai déjà écrit, je le répète : les terminologues endogénistes ont une vision passéiste de la langue qu’ils cherchent à nous imposer. C’est ce que j’ai appelé le Grand Bond en arrière.





[1] On aura compris que, comme dans certains documents administratifs, le masculin est ici utilisé « pour alléger le texte ».
[2] Je constate au passage que la liste des retraits d’avis d’officialisation est inaccessible sur le site de l’OQLF. Le rapport annuel 2015-2016 mentionne « le retrait de la Politique de l’emprunt linguistique, publiée en 2007, ainsi que le retrait d’avis de recommandation et de normalisation de certains termes » (p. 15) sans fournir plus de détails.

vendredi 24 mars 2017

Piquer une jasette


Ce débat est au demeurant venu reconfirmer, du moins en partie, l’influence malsaine qu’exerce l’extrême droite sur la conversation nationale, de la même manière qu’aux Pays-Bas, où se sont tenues des législatives la semaine dernière en présence du candidat de la droite radicale Geert Wilders.
– Guy Taillefer, « Une classe politique décomposée », Le Devoir, 22 mars 2017


Cette idée de « conversation nationale » nous vient tout droit des États-Unis. Parmi les exemples donnés par le Longman Dictionary of Contemporary English sous le thème « National in Government topic », on peut lire l’exemple suivant : Clinton has called for a national conversation on race. Rappelons que William (Bill) Clinton fut président de 1993 à 2001.


Un blogueur américain note : « References to a "national conversation" (or some version thereof) are common in the news media and public discourse, especially among journalists and politicians. »


Comme nous l’apprend Wikipédia,


The National Conversation was the name given to the Scottish Government's public consultation exercise regarding possible future changes in the power of the devolved Scottish Parliament and the possibility of Scottish independence, a policy objective of the Scottish National Party, who at the time were the minority government with power over devolved affairs in Scotland, as the Scottish Government. It culminated in a multi-option white paper for a proposed Referendum (Scotland) Bill, 2010.



Pauline Marois, l’ancienne chef(fe) du Parti québécois et ancienne première ministre, malgré ses connaissances limitées de l’anglais, a contribué à introduire ce calque au Québec :

La chef du Parti québécois (PQ), Pauline Marois, propose en effet aux militants péquistes d'oublier l'idée de tenir un référendum au cours d'un premier mandat pour la remplacer, notamment, par celle d'une vaste consultation appelée «conversation nationale».


Cette citation d’un texte publié aujourd’hui dans Le Devoir nous rappelle qu’en français on parle plutôt de débat public dans pareil contexte : « Plus les citoyens peuvent s’identifier à des partis qui représentent leurs idées, plus ils seront motivés à participer au débat public » (Denis Monière, « S’allier au diable pour battre les libéraux ? », Le Devoir, 24 mars 2017).


jeudi 23 mars 2017

Tomber dans la limonade



La citation qui précède est extraite d’un article de Robert Dubuc publié dans Méta, la revue des traducteurs, en 1979 (vo. 24, no 3). Trente-cinq ans plus tard, l’Office québécois de la langue française a décidé de rompre avec cette décision en spécialisant le terme boisson gazeuse pour désigner ce qu’ailleurs dans la francophonie on appelle des sodas.

Boisson gazeuse (OQLF) : Boisson non alcoolisée qui contient de l’eau, des édulcorants naturels ou artificiels et des substances aromatisantes à base de fruits ou de plantes, et dans laquelle est dissous du gaz carbonique (fiche de 2014).

Soda (Trésor de la langue française informatisé) : Eau gazeuse généralement aromatisée aux fruits et pouvant s'ajouter à une boisson fortement alcoolisée. Bouteille, verre de soda; soda (au) citron, (à l')orange. Causer en buvant de l'eau-de-vie coupée de soda (BOURGET, Ét. angl., 1888, p. 324). Les sodas sont préparés en ajoutant à l'eau gazeuse (...) [du] sirop de sucre aromatisé par addition d'acide citrique et d'acide tartrique et d'essences variées destinées à rappeler le goût de certains fruits (BRUNERIE, Industr. alim., 1949, p. 71).


Personne à l’Office ne semble avoir vu que boisson gazeuse est un terme générique : l’eau minérale, naturellement gazeuse (Perrier, Vichy) ou gazéifiée (Montellier), n’est pas un soda !

Sur le même sujet, voir mes billets « Pénélope terminologue » et « À rebours de l’usage ».


mardi 14 mars 2017

L’influence d’un blog / 7


Source : pondhockeylacbeauport.ca





La 14e édition du championnat québécois de « pond hockey » a eu lieu fin février. Dans mon billet du 1er février 2015, j’avais reproché au Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) de n’avoir pas proposé un équivalent français de ce terme pourtant présent dans les médias depuis des années. La situation a depuis été corrigée. L’Office propose comme équivalent : hockey sur glace naturelle.


jeudi 9 mars 2017

Sixième anniversaire


C’est aujourd’hui le sixième anniversaire du blog Linguistiquement correct et mon 551e billet. Le premier billet a paru le 9 mars 2011 dans la foulée du manifeste des anciens terminologues de l’Office québécois de la langue française, « Au-delà des mots, les termes ».


Bilan de six ans de blog : 550 billets, 140 000 visites.



mercredi 8 mars 2017

Fuite massive ou coulage de masse ?


La fuite massive révèle que le consulat américain à Francfort est utilisé comme quartier général de l’espionnage pour mettre sous écoute l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. […]
Le coulage de masse de WikiLeaks réalisé sous le nom de code « Vault 7 » diffuse 8761 documents produits entre 2013 et 2016 par le Center of Cyber Intelligence (CCI). Il s’agit d’un bras de la CIA, organisme américain de collecte des renseignements et de contrôle des opérations clandestines opérant normalement hors des États-Unis.
[…]
La page d’introduction à Vault 7 explique aussi que les archives coulées « semblent avoir circulé parmi les anciens pirates et sous-traitants du gouvernement américain d’une manière non autorisée » avant que « l’un d’entre eux » se transforme en lanceur d’alerte. La manne a été reçue par le site des lanceurs d’alerte pendant l’année 2016.
– Stéphane Baillargeon, « Qui dit connecté dit facilement espionné », Le Devoir, 8 mars 2017


J’ai déjà publié deux billets sur coulage et couler au sens de « fuite (d’informations) » et de « fuiter » : « Couler des infos » et « Le vaisseau de l’État fuit-il ou coule-t-il ? »


Le verbe fuiter est déjà enregistré dans des dictionnaires, par exemple le Larousse, même si l’Académie française a émis des réserves :

Fuiter
Le 02 février 2012
Ce néologisme se répand au fur et à mesure que sont divulguées des informations confidentielles. Faire fuiter un sujet d’examen, Son nom a fuité, Laisser fuiter un document diplomatique.
Le terme de Fuite, bien installé dans l’usage en ce sens figuré, est le seul qui doit être employé. On dira Il y a eu une fuite, des fuites provenant de…, Une fuite a permis la publication, la diffusion de…, Son nom a été divulgué en raison d’une fuite, etc.
On pourra également utiliser le verbe Filtrer, pris au sens figuré de Se répandre, parvenir à être connu en dépit d’obstacles divers. La nouvelle a filtré malgré les précautions prises.


Le terme fuiter n’est toujours pas enregistré dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) ni traité dans sa Banque de dépannage linguistique (BDL). L’Office n’offre toujours pas de traduction du verbe anglais to leak (sauf dans les domaines de la marine et de la peinture).


mardi 7 mars 2017

Prendre la rue


L’expression prendre la rue existe bel et bien en français : continuez puis prenez la rue à gauche, walk on and take the street on your left. Mais elle ne signifie pas « descendre dans la rue pour manifester » (en anglais : take to the street) comme l’écrit le journaliste Guillaume Piedboeuf dans Le Soleil du 6 mars :

La section de Québec de la Ligue des droits et libertés se donne le défi de redorer l'image des manifestants. Dans sa nouvelle campagne Manifester m'a permis..., l'organisme met l'accent sur les bienfaits individuels et collectifs de prendre la rue.


Je n’ai trouvé mention de cet anglicisme ni dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) ni dans la Banque de dépannage linguistique (BDL) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

J’ai récemment signalé cet anglicisme dans mon billet « Recul ou progrès de l’anglicisation ? »