jeudi 28 mai 2020

Capote russe


Il y a plusieurs semaines, en regardant une vidéo de Max, mon professeur de russe virtuel, j’ai vu cette façade du quartier de l’Arbat à Moscou :




Il y avait une condomerie à Amsterdam déjà en 1995:


Ce néologisme français n’a pas été répertorié dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Il ne faudrait pas le lui reprocher : il a déjà tant de mal rien qu’à suivre l’usage au Québec (qu’il prétend pourtant orienter), on ne peut s’attendre à ce qu’il s’intéresse à la néologie française dans des pays même pas francophones.


Cela m’a fourni l’occasion d’aller jeter un coup d’œil à la fiche « condom » :




On aura noté que le GDT ne mentionne même pas le terme préservatif, pourtant le plus courant en français standard et encore moins le terme durex (« UK trademark » selon le site dictionary.cambridge ; « générique pour préservatif » en France et en Belgique selon le Wiktionnaire). Pourtant, il a bel et bien une fiche « préservatif », qu’il n’a pas produite mais qu’il a empruntée à un ouvrage non précisé de la Librairie Flammarion en 1982:


Mais aucun renvoi entre les deux fiches. Et de là doublons, triplons, quadruplons, etc., qui accroissent le nombre de fiches du GDT.




mercredi 27 mai 2020

Quand un dictionnaire se braque


Double arrestation pour un braquage de domicile à Lévis
LÉVIS ‑ Deux malfaiteurs que la police soupçonne d’avoir perpétré à Lévis un braquage de domicile au cours duquel une altercation a éclaté ont été arrêtés mercredi.
Le Soleil, 7 mai 2020


C’est avec un certain retard que je mets en ligne ce billet que j’ai commencé à rédiger au début du mois.


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), dans une fiche datée de 2011 mais de 2007 pour sa partie anglaise (!), nous informe que « le terme violation de domicile avec agression a été proposé par l'Office québécois de la langue française en novembre 2006 ». Quatorze ans plus tard, il faut bien admettre que le terme n’a pas réussi à s’implanter :


Nombre de pages Internet
violation de domicile avec agression
453
agression au domicile
24 100
invasion de domicile 
51 000
braquage de domicile
8 300
braquage au foyer 
1 170


Le GDT a le culot d’affirmer dans une note qu’« employé sous l'influence de l'anglais home invasion, le terme invasion de domicile est à éviter, car il entre inutilement en concurrence avec le terme violation de domicile avec agression ». À la lecture du tableau précédent, je ne vois guère de concurrence. La vraie concurrence se fait entre invasion de domicile et agression au domicile (de l'ordre de deux contre un) et invasion de domicile et deux termes dont le noyau est le mot braquage (cinq contre un). Dans ces conditions, je crois que le GDT aurait dû privilégier braquage.


Le GDT n’aime guère braquage (au sens d’« attaque à main armée »), car ce serait un terme « familier ». Pour le Trésor de la langue française informatisé, dont la publication a commencé en 1971, le mot est argotique. Pour le Larousse en ligne, il est populaire. Mais on l’entend souvent dans les journaux télévisés français et je ne décèle aucune connotation particulière dans l’emploi qu’on en fait: pour les mots comme pour les hommes, il doit exister des «savonnettes à vilain».



vendredi 22 mai 2020

La néologie en temps de pandémie/ 7


Le GDT de l’OQLF et
la banque de données linguistiques Termium (Ottawa)


Le Bureau de la traduction du gouvernement du Canada a mis en ligne un « Lexique sur la pandémie de COVID-19 ». Il est intéressant de comparer ce lexique à la liste des « Fiches et articles en lien avec la COVID-19 » de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Dans le premier cas, j’utilise la version du 7 mai 2020, dans le second celle du 6 mai.


Le journaliste Stéphane Baillargeon du Devoir nous apprend que la liste de l’OQLF comprend 68 termes et sept articles de la Banque de dépannage linguistique. Je n’ai pas refait le compte.


La liste fédérale compte 200 entrées, toute une différence. Une lecture rapide fait voir que ce sont des termes extrêmement utiles aux traducteurs et aux interprètes dans leur travail quotidien : c’est ainsi qu’on y trouve dans les deux langues officielles même des titres de lois mentionnées régulièrement dans les conférences de presse du premier ministre du Canada et de ses conseillers scientifiques. Malheureusement, contrairement aux fiches habituelles de la banque Termium, les fiches de ce lexique ne donnent pas leurs références. J’ai toujours trouvé qu’il était utile qu’une fiche de Termium indique que sa seule source d’information pouvait être un fonctionnaire d’Ottawa ou de Moncton : c’est une invitation à la méfiance et à pousser la recherche, à condition, bien entendu, de ne pas travailler dans l’urgence.


Même si elle est plus longue que celle de l'OQLF, la liste fédérale est malgré tout loin d'être complète: c'est ainsi qu'on n'y trouve pas des termes aussi fréquents actuellement que «distanciation sociale», «gestes barrière» ou «préposé aux bénéficiaires».


J’ai déjà dit, dans des billets précédents, ce que je pensais de la liste des « Fiches et articles en lien avec la COVID-19 » de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Elle ne fait guère le poids face à la liste fédérale. Et elle ne doit pas être très utile au premier ministre du Québec dont, de toute façon, les problèmes linguistiques sont loin de n’être que terminologiques. D’ailleurs, la plupart des intervenants aux conférences de presse de moins en moins quotidiennes devraient suivre en priorité un cours d’orthophonie, l’émission Infoman nous en montre la nécessité toutes les semaines. Mais reconnaissons que c’est dicile de dégager du temps pour ce genre d’activité quand il y a tant de problèmes beaucoup plus urgents à régler. Rappelons toutefois que le général De Gaulle, pourtant connu pour ses talents d’orateur, recevait une heure par semaine, entre les attentats de l’OAS, celui du Petit-Clamart et les commémorations de l’appel du 18 juin, un acteur de la Comédie française pour recevoir des cours de diction.


En terminant, pourquoi pas une balade en ce début de déconfinement?





jeudi 21 mai 2020

Virer des camions, virer des dicos

 


Saint-Onésime-d’Ixworth et Saint-Gabriel-Lalemant sont sur le point de finaliser l’acquisition conjointe d’une virée intermunicipale à la limite des deux municipalités.
Une virée permet à de gros véhicules qui arrivent au bout de leurs parcours sur un chemin qui se poursuit de se virer pour revenir sur leurs pas.
Située sur le territoire de Saint-Onésime-d’Ixworth, cette virée était déjà utilisée depuis plusieurs années par les véhicules de déneigement, d’incendie, de voirie, d’ordures, de particuliers ou même par des autobus scolaires. 

Maxime Paradis, « Acquisition conjointe d’une virée municipale par Saint-Onésime et Saint-Gabriel », Le Placoteux, 19 mai 2020


Le mot virée, qui pourrait bien être un régionalisme intra-québécois, n’a pas retenu l’attention du dictionnaire Usito qui se targue pourtant d’être le « premier dictionnaire électronique à décrire le français standard en usage au Québec ». Cette autoprésentation laisse croire que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’occuperait que la seconde (ou deuxième) place, ce qui est faux au moins chronologiquement. Usito et GDT se rejoignent sur un point : leur incapacité à décrire les usages régionaux du français au Québec. J’en ai déjà présenté quelques exemples, lame de neige et cran pour Usito et le GDT, cabourons et monadnocks pour Usito, d’autres qui ne me reviennent pas spontanément à l’esprit.


Le GDT a bien une fiche «virée», ancienne, produite par l'Agence de coopération culturelle et technique en 1977, mais dans le domaine de la foresterie et dont la définition n'a pas de rapport avec ce dont il est ici question (« bande parcourue dans la longueur d'une coupe ou d'une parcelle par une équipe de forestiers développée en tirailleurs au cours d'une opération. Au bout de la virée, l'équipe vire, pivote, pour parcourir une nouvelle bande contiguë à la précédente. »)


Le GDT, qui est censé être un dictionnaire technique, ne relève pas des termes relevant clairement de son mandat, comme c’est le cas ici de virée, terme utilisé au moins dans l’administration de certaines municipalités. C’est aussi le cas de lame de neige en météorologie, de cran en géologie, etc.


dimanche 17 mai 2020

La néologie en temps de pandémie/ 7




Les académies et la pandémie (fin ?)


Aujourd’hui, je fais un tableau comparant les termes et expressions traités par Fundéu, organisme relevant de l’Académie royale de la langue espagnole (REA, Real Academia Española) et les termes et expressions apparaissant dans la liste des « Fiches et articles en lien avec la COVID-19 » de l’Office québécois de la langue française (OQLF) à la date du 6 mai 2020 :

Fundéu
Commentaires et explications
« Fiches et articles en lien avec la COVID-19 »
Commentaires et explications
COVID-19

COVID-19

Gestos barrera

(Absent)

Distanciamiento social
Réserve: distanciamiento social alude al grado de aislamiento de una persona o un colectivo en el seno de su sociedad.
Distanciation sociale
L’OQLF privilégie la traduction littérale même s’il met comme synonyme distanciation physique

Conviviente
«Permitido salir a pasear con un conviviente, según la franja horaria, y a un kilómetro de distancia»
(Absent de la liste)
Mais le GDT a des fiches « conjoint », « colocataire », « concubin »

Volver a una normalidad nueva
Esa secuencia de palabras, en efecto, puede resultar paradójica. Probablemente, el mensaje que se pretende expresar es que se va a recuperar la normalidad, si bien esta normalidad no va a ser la que conocíamos, sino una diferente. 
(Absent)
Le GDT a une fiche « retour à la normale » (qu’il n’a pas produite) mais il n’a pas « retour à une nouvelle normalité »

Poscoronavirus
poscoronavirus como pos-COVID-19 (o pos-COVID) son grafías adecuadas. 
(Absent)


Viricida 
El término viricida es el adecuado para referirse a todo aquello que es capaz de acabar con un virus, por lo que se desaconseja la voz virucida.
(Absent)
Mais le GDT a la fiche « viricide »/ « virucide » (2009). Sa fiche espagnole privilégie virucida et indique viricida comme mexicanisme (ce que contredit Fundéu puisque c’est le terme qu’il privilégie)

Plasma de convaleciente
En la expresión plasma de convaleciente, que refiere a ciertas sustancias extraídas de la sangre que pueden emplearse en algunos tratamientos médicos, no es adecuado omitir la preposición de.
(Absent de la liste et du GDT)


PCR
La sigla inglesa PCR se desarrolla como polymerase chain reaction, que equivale en español a reacción en cadena de la polimerasa. El núcleo de esta expresión, como se ve, es el sustantivo femenino reacción y, por tanto, lo normal es hablar de la PCR.
(Absent)
Le GDT a « amplification en chaîne par polymérase » (1998) et accepte l’abréviation anglaise PCR.

Gran confinamiento
La expresión gran confinamiento se escribe con minúsculas cuando tiene valor meramente descriptivo, mientras que comienza con iniciales mayúsculas (Gran Confinamiento) si se emplea de manera antonomástica para referirse el periodo de crisis provocado por la pandemia de COVID-19.
Confinement est présent dans la liste, mais pas Grand Confinement
La BDL n’indique pas comment écrire Grand Confinement (j’opte pour deux majuscules)

Yatrofobia
Es un sustantivo correctamente formado a partir del griego iatrós (‘médico’) y fobia (‘aversión o ‘rechazo’). Admite tanto la escritura con i como con y.
(Absent)


Seroprevalencia, serotipo
Los términos formados con el elemento sero-, que alude a los sueros, como seroprevalencia o serotipo, se escriben con ese inicial y sin espacio ni guion.
Absent
Le GDT a une fiche multilingue « séroprévalence» (2008) et une fiche bilingue «sérotype» (1998)

Confinamiento
L’anglicismo lockdown, que alude a la reclusión forzosa de los habitantes en sus casas o en una zona determinada, tiene alternativa en español: confinamiento.
Confinement


Desconfinar 

(Le verbe est absent de la liste et du GDT)


Desconfinamiento

Déconfinement


Pico de la curva

Pic épidémique


Aplausazo
homenaje diario que recibe el personal sanitario que trabaja para controlar la pandemia de coronavirus

Le GDT a une fiche «applaudissement» (1962) reprise d’une source externe

Paciente cero
La expresión coloquial paciente cero, traducción del inglés patient zero, goza de uso y no es censurable en el español general.
(Absent)
Mais le GDT a une fiche « patient zéro » (2009) qui, au contraire de Fundéu, n’indique pas qu’il s’agit d’un calque


Caso índice/primario o caso inicial
Sin embargo, en contextos médicos, siguiendo las pautas del Diccionario de términos médicos de la Real Academia de Medicina, es preferible emplear las voces caso índice/primario o caso inicial para referirse al ‘primer caso descrito de una enfermedad, por lo general infecciosa, dentro de una población, que impulsa su investigación y, con cierta frecuencia, representa la fuente o la vía de transmisión de la misma’.
Cas primaire


Infodemia
El término infodemia, que se emplea para referirse a la sobreabundancia de información (alguna rigurosa y otra falsa) sobre un tema, está bien formado y, por tanto, se considera válido.
Infodémie


EPI
la sigla EPI […] significa ‘equipo de protección individual’
(Absent)
Le GDT a une fiche « équipement de protection individuel(le) » et le sigle EPI

Dar positivo
La expresión dar positivo en algo es la preferible para indicar que se ha detectado una sustancia o un organismo en un control, aunque también es adecuado dar positivo por algo.
« Tester positif »
Fiche de la BDL qui critique l’expression

Extubar
Sí, ambos son correctos, aunque extubar es el término más utilizado en el ámbito médico. Según el Diccionario de términos médicos de la Real Academia Nacional de Medicina es ‘retirar un tubo o una cánula previamente insertados en un conducto, en un órgano hueco o en una cavidad orgánica’.
(Absent)
Curieusement, le GDT a une fiche « extubateur » (1978), copiée d’une source externe

Super spreader
Supercontagiador, supervector o superpropagadorson alternativas preferibles en español al anglicismo super spreader, con el que se hace referencia a aquella persona cuya capacidad para transmitir una enfermedad es superior a la de los demás.
(Absent)
Pourtant, le GDT a une fiche « supercontaminateur » datée de 2020!

Inmunidad del rebaño 
Inmunidad del rebaño es la traducción literal de la expresión inglesa herd immunity, que, en español, se denomina también inmunidad de grupo o grupal, inmunidad colectiva, masiva o de multitud.
(Absent)
GDT : Immunité de groupe, syn. Immunité collective. Il mentionne même immunité communautaire

Teletrabajo
El término 
teletrabajo se escribe en minúscula, todo junto y sin guion.
(Absent)
La fiche «télétravail» du GDT date de 2020 (ou plutôt a été revampée en 2020 car il y a une fiche «télétravailleur» de 2007) mais elle n’apparaît curieusement pas dans la liste


Je me contenterai de proposer quelques conclusions sommaires qui se dégagent de cette comparaison.

En premier lieu, les termes dont traite Fundéu proviennent essentiellement des questions qui lui ont été soumises. Dans le cas de l’OQLF, la liste est constituée pour partie d’anciennes fiches dont on a revampé les parties française et anglaise en les datant de 2020 contrairement aux sections donnant des équivalent en d’autres langues qui ont une date antérieure d’une bonne dizaine d’années. Il est difficile de savoir si les définitions françaises ont été refaites et si on a changé des termes.


Peu de fiches de la liste de l’OQLF paraissent avoir été rédigées depuis le début de la pandémie. Comme nouvelles fiches, il y a, bien sûr, COVID-19, mais, pour l’essentiel, l’OQLF, à la suite de Radio-Canada, reprend la position de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en particulier la recommandation d’utiliser le terme au féminin. Des termes apparus récemment dans l’actualité, pensons à proche aidant significatif, sont absents de la liste. La fiche de la BDL sur significatif, mise à jour en mars dernier, ne signale pas cet emploi qui a tout l'air d'un néologisme. D’autres termes fréquents dans les médias, je me contenterai de citer préposé aux bénéficiaires, n’apparaissent pas non plus dans la liste, sans doute parce que, dans ce dernier cas, il a fait l’objet d’une condamnation par l’Office. Dans la fiche « transmission communautaire », on omet le terme contamination locale, qui aurait été plus français. On y lit même que l’agent pathogène se transmet « au sein d’une communauté » plutôt qu’au sein d’une population. Décidément, l’Office ne parvient pas à faire la distinction entre les mots communauté, collectivité et population. Conformément à son habitude depuis une vingtaine d’années maintenant, l’OQLF n’hésite pas à privilégier les traductions littérales de l’anglais et met en vedette distanciation sociale plutôt que distanciation physique.


Devant l’anglicisation de plus en plus marquée du GDT, les responsables de l’OQLF préfèrent se masquer le visage.