dimanche 10 mai 2020

La néologie en temps de pandémie/ 5




Les académies et la pandémie

Un militant de l’Asulf (Association pour le soutien et l'usage de la langue française), M. Gaston Bernier, m’informe que l’Académie royale de la langue espagnole (REA, Real Academia Española), via l’organisme Fundéu (« buscador urgente de dudas »), réagit rapidement aux questions linguistiques que pose la pandémie actuelle. Cela m’a donné l’idée d’aller voir ce que faisait l’Académie française et de comparer avec les réponses que nous a offertes l’Office québécois de la langue française (OQLF) dans sa liste des « Fiches et articles en lien avec la COVID-19 ».


Commençons par le nom lui-même de la maladie. On sait déjà que l’Office s’est prononcé en faveur du féminin sans préciser que l’emploi du mot au féminin était en fait une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).


Voyons ce que dit l’Académie française :

Le 7 mai 2020
Covid est l’acronyme de corona virus disease, et les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation. On dit ainsi la S.N.C.F. (Société nationale des chemins de fer) parce que le noyau de ce groupe, société, est un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est composé de mots étrangers, le même principe s’applique. On distingue ainsi le FBI, Federal Bureau of Investigation, « Bureau fédéral d’enquête », de la CIA, Central Intelligence Agency, « Agence centrale de renseignement », puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau, et dans l’autre, par un nom féminin, agence. Corona virus disease – notons que l’on aurait pu préférer au nom anglais disease le nom latin morbus, de même sens et plus universel – signifie « maladie provoquée par le corona virus (“virus en forme de couronne”) ». On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie. Pourquoi alors l’emploi si fréquent du masculin le covid 19 ? Parce que, avant que cet acronyme ne se répande, on a surtout parlé du corona virus, groupe qui doit son genre, en raison des principes exposés plus haut, au nom masculin virus. Ensuite, par métonymie, on a donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui la provoque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien.


L’Académie espagnole croit elle aussi que le féminin est préférable mais ne rejette pas systématiquement le masculin. On notera que sa préférence pour le féminin s’appuie sur un argument beaucoup plus logique que celui de l’OQLF : « con respecto al género del artículo, lo preferible es emplear el femenino, puesto que la sigla COVID está formada a partir de coronavirus disease, ‘enfermedad del coronavirus’. El género femenino se toma del sustantivo enfermedad ». La position de l’OQLF se lit ainsi : « COVID-19 est de genre féminin, car dans la forme longue du terme français, maladie à coronavirus 2019, le mot de base est maladie ». En vertu de la règle telle qu’elle est formulée, on devrait donc dire « la coronavirus ». L'explication aurait dû partir de l'anglais coronavirus disease ou COVID-19 où le terme de base se traduit par le mot féminin maladie plutôt que partir du terme français maladie à coronavirus 2019.


Les deux Académies ont pris position sur le terme « distanciation sociale », position qui tranche avec celle de l’OQLF :


Le 7 mai 2020
L’expression distanciation sociale est une transcription de l’anglais social distancing ; elle est assez peu heureuse, et ce, d’autant moins que ce syntagme existait déjà avec un tout autre sens. On le trouve en effet dans Loisir et culture, un ouvrage, paru en 1966, des sociologues Joffre Dumazedier et Aline Ripert ; on y lit : « Vivons-nous la fin de la “distanciation” sociale du siècle dernier ? Les phénomènes de totale ségrégation culturelle tels que Zola pouvait encore les observer dans les mines ou les cafés sont en voie de disparition. » Distanciation, que les auteurs prennent soin de mettre entre guillemets, désigne le refus de se mêler à d’autres classes sociales. On suppose pourtant que ce n’est pas le sens que l’on veut donner aujourd’hui à ce nom. Distanciation a aussi connu une heure de gloire grâce au théâtre brechtien, mais même s’il s’agit, comme on le lit dans notre Dictionnaire, pour le spectateur, de donner « priorité au message social ou politique que l’auteur a voulu délivrer », il est difficile de croire que ce soit le sens de la « distanciation sociale » dont on nous parle aujourd’hui. Peut-être aurait-on pu parler de « respect des distances de sécurité », de « distance physique » ou de « mise en place de distances de sécurité », comme cela se fait dans d’autres domaines ?

La expresión distanciamiento físico hace referencia a la mayor o menor lejanía entre las personas, que puede medirse en metros, mientras que distanciamiento social alude al grado de aislamiento de una persona o un colectivo en el seno de su sociedad.


On rappellera que l’OQLF, sans rejeter distanciation physique, privilégie distanciation sociale.


À SUIVRE


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