Les
académies et la pandémie
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Un
militant de l’Asulf (Association pour le soutien et l'usage de la langue
française), M. Gaston Bernier, m’informe que l’Académie royale de
la langue espagnole (REA, Real Academia
Española), via l’organisme Fundéu (« buscador urgente de dudas »), réagit rapidement aux questions
linguistiques que pose la pandémie actuelle. Cela m’a donné l’idée d’aller voir
ce que faisait l’Académie française et de comparer avec les réponses que nous a
offertes l’Office québécois de la langue française (OQLF) dans sa liste des
« Fiches et articles en lien avec la COVID-19 ».
Commençons
par le nom lui-même de la maladie. On sait déjà que l’Office s’est prononcé en
faveur du féminin sans préciser que l’emploi du mot au féminin était en fait
une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Voyons
ce que dit l’Académie française :
Le 7 mai 2020
Covid est l’acronyme de corona
virus disease, et les sigles et
acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont
une abréviation. On dit ainsi la S.N.C.F. (Société
nationale des chemins de fer) parce
que le noyau de ce groupe, société, est
un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est
composé de mots étrangers, le même principe s’applique. On distingue ainsi le
FBI, Federal Bureau of
Investigation, « Bureau
fédéral d’enquête », de la CIA, Central
Intelligence Agency, « Agence centrale de renseignement »,
puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau, et dans l’autre, par un nom féminin, agence. Corona virus disease – notons que l’on aurait pu préférer
au nom anglais disease le nom latin morbus, de même sens et plus universel –
signifie « maladie provoquée par le corona
virus (“virus en forme de
couronne”) ». On devrait donc dire la
covid 19, puisque le noyau est un
équivalent du nom français féminin maladie. Pourquoi alors l’emploi si fréquent du
masculin le covid 19 ? Parce que, avant que cet
acronyme ne se répande, on a surtout parlé du
corona virus, groupe qui doit son
genre, en raison des principes exposés plus haut, au nom masculin virus. Ensuite, par métonymie, on a
donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui la provoque. Il n’en reste
pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être
pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien.
L’Académie
espagnole croit elle aussi que le féminin est préférable mais ne rejette pas
systématiquement le masculin. On
notera que sa préférence pour le féminin s’appuie sur un argument beaucoup plus
logique que celui de l’OQLF : « con respecto al género del artículo, lo preferible es
emplear el femenino, puesto que la sigla COVID está formada a partir de
coronavirus disease,
‘enfermedad del coronavirus’. El género femenino se toma del sustantivo
enfermedad ». La
position de l’OQLF se lit ainsi : « COVID-19 est de genre
féminin, car dans la forme longue du terme français, maladie à
coronavirus 2019, le mot de base est maladie ». En vertu de la règle telle qu’elle est formulée, on
devrait donc dire « la coronavirus ». L'explication aurait dû partir de l'anglais coronavirus disease ou COVID-19 où le terme de base se traduit par le mot féminin maladie plutôt que partir du terme français maladie à coronavirus 2019.
Les
deux Académies ont pris position sur le terme « distanciation sociale »,
position qui tranche avec celle de l’OQLF :
Le 7 mai 2020
L’expression distanciation
sociale est une transcription de
l’anglais social distancing ; elle est assez peu heureuse, et
ce, d’autant moins que ce syntagme existait déjà avec un tout autre sens. On le
trouve en effet dans Loisir et
culture, un ouvrage, paru en 1966,
des sociologues Joffre Dumazedier et Aline Ripert ; on y lit : « Vivons-nous
la fin de la “distanciation” sociale du siècle dernier ? Les phénomènes de
totale ségrégation culturelle tels que Zola pouvait encore les observer dans
les mines ou les cafés sont en voie de disparition. » Distanciation, que les auteurs prennent soin de mettre
entre guillemets, désigne le refus de se mêler à d’autres classes sociales. On
suppose pourtant que ce n’est pas le sens que l’on veut donner aujourd’hui à ce
nom. Distanciation a aussi
connu une heure de gloire grâce au théâtre brechtien, mais même s’il s’agit,
comme on le lit dans notre Dictionnaire, pour le spectateur, de donner « priorité au message social ou
politique que l’auteur a voulu délivrer », il est difficile de croire que
ce soit le sens de la « distanciation sociale » dont on nous parle aujourd’hui.
Peut-être aurait-on pu parler de « respect des distances de sécurité », de « distance physique »
ou de « mise en place de distances de sécurité », comme cela se fait
dans d’autres domaines ?
La expresión distanciamiento físico hace referencia a la mayor o
menor lejanía entre
las personas, que puede medirse en
metros, mientras que distanciamiento social alude al grado de aislamiento de una persona o un colectivo en el seno de su sociedad.
On
rappellera que l’OQLF, sans rejeter distanciation
physique, privilégie distanciation
sociale.
À
SUIVRE
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