jeudi 13 décembre 2012

En-deçà des promesses / 3



Je continue mon exploration du Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec, le Franqus.


Quitter

Le Franqus indique qu’il s’agit d’un « v.tr.d. », c’est-à-dire un verbe transitif direct. C’est passer facilement sous silence l’usage québécois très fréquent, que l’on trouve dans ce titre d’article du Devoir : « Nouvelle démission de taille chez Union Montréal: Marvin Rotrand quitte » (version Internet du Devoir, 15 novembre 2012).


Autre exemple :

Le CRTC s’inquiète : tant de journalistes de la société d’État quittent pour la politique, n’y a-t-il pas menace pour sa crédibilité ?
Josée Boileau, « Radio-Canada – Les démons du CRTC », Le Devoir, 21 novembre 2011


Libre penseur

Le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) définit ainsi le libre penseur : « « Qui s'oppose aux croyances installées et en particulier aux dogmatismes religieux, pour ne se fier qu'à ce qui est librement établi et prouvé par la raison. » La définition du Franqus est la même, à un mot près : « Personne qui s’oppose aux croyances installées et en particulier aux dogmatismes religieux, pour ne se fier qu'à ce qui est librement établi et prouvé par la raison. »


La définition du Franqus n’est pas conforme à l’usage québécois.


Dans Le Devoir du 11 février 2010, on pouvait lire : « L'écrivain et syndicaliste Pierre Vadeboncoeur, un libre penseur, est décédé la nuit dernière à l'âge de 89 ans. La cause de son décès n'est pas encore connue. » Ses funérailles ont été célébrées en l’église Saint-Albert-le-Grand le 15 février.


Le cinéaste Pierre Falardeau a aussi été traité de libre penseur (p.ex. Québec Presse, 28 septembre 2009). Ses funérailles ont été célébrées en l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal…


Au Québec, on célèbre les funérailles des libres penseurs à l’église. Ce fait semble avoir échappé aux rédacteurs du Franqus.


Étudiant

L’étudiant est défini ainsi dans le Franqus : « élève qui fait des études dans un établissement d’enseignement supérieur ».


Aucune mention des « étudiants du secondaire » ni des « étudiants universitaires » (pléonasme que le Franqus aurait dû signaler même si on peut le rencontrer ailleurs dans le monde francophone) :

S’ils ont défié la direction de l’école en s’absentant de leurs cours jeudi après-midi pour aller manifester à Montréal, ces étudiants du secondaire 2e cycle de l’École d’éducation internationale de Laval ont tout de même été bons joueurs, respectant deux directives qui leur avaient été imposées, la veille.
Stéphane St-Amour, « Plus de 200 étudiants d’une école secondaire débrayent », Courrier Laval, 22 mars 2012

« Quatre étudiants au secondaire couronnés au gala Forces AVENIR », titre d’un article du Courrier du Saguenay, 3 juin 2012

« L'étudiant universitaire type en arrache. »

Lisa-Marie Gervais, « Les étudiants universitaires en arrachent », Le Devoir, 19 novembre 2010




On trouve même l’expression « étudiants du primaire », comme dans ce titre du Courrier du Saguenay (12 décembre 2010) : « Des étudiants du primaire et du CFP ‘brassent la cabane’! »



Ces emplois très fréquents, relevés dans de nombreux ouvrages (par exemple dans Le français au micro), ne sont pas signalés par le Franqus. Il est difficile de croire qu’il puisse s’agir d’un oubli involontaire. Je ne comprends pas pourquoi on ne fait pas mention de ces usages, quitte à les « hiérarchiser » puisque tel est l’un des objectifs de ce dictionnaire.

 

Commercial

Le sens « message publicitaire » du mot commercial, pourtant bien attesté en français québécois, n’est pas consigné dans le Franqus :

Je dois dire que le tournage des commerciaux, par moments, c'est plus excitant qu'un tournage de films. Ça rapporte beaucoup plus à l'artiste qu'un long métrage. Quand Molson a décidé, par exemple, de réaliser le commercial d'été pour la Laurentide, elle y a mis le paquet. C'était impressionnant comme production. Les gens ne savent pas la somme de travail que peut exiger la réalisation d'un commercial d'une durée de 30 ou 60 secondes à la télé.
Jérôme Lemay, Les Jérolas, 1983 (source : Trésor de la langue française au Québec)


Cet anglicisme se retrouve même dans la bouche de personnes « de qualité »* ou plutôt, dans l’exemple suivant, parlant ès qualités :

Le Président de l'O.L.F. [Office de la langue française] s'inquiète de cet « effet pub », notamment dans ce qu'il appelle le langage de taverne dans les commerciaux de bière.
Le Devoir, 17 mars 1992, p. 32 (cité d’après le Trésor de la langue française au Québec)


On ne comprend donc pas pourquoi le Franqus n’a pas enregistré, quitte à le condamner, ce sens du mot commercial.

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* Voir l'exergue du billet du 11 décembre 2012.

À suivre

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