Depuis
longtemps les endogénistes affirment leur volonté de procéder à une
hiérarchisation des usages linguistiques au Québec. En témoignent ces propos
tenus par deux des principaux promoteurs de cette tendance à la Commission
permanente de la culture de l’Assemblée nationale lors de la séance du
5 septembre 1996 :
[…]
définir une véritable politique d'aménagement de la langue commune au Québec,
c'est-à-dire une politique qui viserait à hiérarchiser les divers usages du
français québécois
Il
importe donc de fournir aux Québécois et Québécoises des renseignements précis
sur ces emplois corrects et critiqués de ces formes; cela fait partie, on l'a
dit, de l'établissement d'une norme québécoise et d'une hiérarchisation de nos
usages.
[…] les
Québécois et Québécoises n'ont pas accès à la description de ce français
québécois soutenu ou standard et à la hiérarchisation des usages autour de ce
français québécois standard. L'aménagement de la langue passe d'abord par la
prise en compte et la hiérarchisation des usages autour d'un français québécois
standard, c'est-à-dire du bon usage du français au Québec. Pour arriver à
décrire de façon adéquate ce français québécois et surtout ce bon usage, ce bon
modèle de la langue au Québec, nous voyons comme premier moyen la rédaction
d'un dictionnaire. C'est le seul ouvrage de base où les usages linguistiques du
Québec peuvent être hiérarchisés et le français québécois standard explicité. Une
fois établie clairement la hiérarchisation des usages et la norme du français
québécois, il faut s'assurer ensuite du respect de cette norme, c'est-à-dire de
la pratique quotidienne d'un français de qualité.
Il leur
faut des ouvrages de référence de qualité et fiables dans lesquels la
hiérarchisation des usages sera clairement établie et le français québécois
standard écrit parfaitement décrit.
Il n’y
a qu’une seule langue française, avec des variétés internes, et il s’agit de
les hiérarchiser.
On
l’a bien lu : il s’agit de hiérarchiser les usages et non de les décrire,
ce qui serait l’objectif de tout linguiste ou lexicographe normal.
« Une
fois établie clairement la hiérarchisation des usages et la norme du français
québécois, il faut s'assurer ensuite du respect de cette norme » :
par quelle police ?
Je
ne suis pas le premier à attirer l’attention sur le danger que représente cette
conception des usages québécois qu’il faudrait hiérarchiser. Le porte-parole de
l’Opposition officielle à la même Commission parlementaire, Pierre-Étienne
Laporte, ancien président de la Commission de protection de la langue
française, puis de l’Office de la langue française, puis du Conseil de la
langue française, avait émis des réserves sévères sur cette façon de
faire :
[…] il
faut faire preuve, en particulier dans le domaine pédagogique, pour qu'une fois
qu'une variété linguistique est reconnue comme la variété légitime on évite de
créer de l'exclusion sociale.
[…]
entre nous et vous, il y a, disons, un désaccord qui tient au besoin que nous
ressentons d'être d'autant plus prudents qu'ayant réussi à nous libérer de
certaines exclusions que d'autres avaient voulues pour nous, nous ne nous
retrouvions pas à nous exclure nous-mêmes ou à exclure par nous-mêmes certains
de nos concitoyens qui ne se placent pas seulement à différents niveaux d'une
échelle de niveaux de langue, mais qui parlent un français québécois populaire,
comme certains de nos amis français ont bien mis en évidence qu'en France il se
parle – s'écrit, c'est autre chose – un français populaire.
Exclure
par nous-mêmes certains de nos concitoyens ? N’est-ce pas
là le principe de la lutte des classes ?
Une collaboratrice
des deux aménagistes cités plus haut est allée dans le sens de Pierre-Étienne Laporte :
« Il faut avoir l’esprit bien peu scientifique pour oser défendre une
hiérarchisation des usages du français » (Le Devoir, 11 juillet 1997). Et cela un an après que ses
collègues eurent tenu en commission parlementaire les propos que je viens de
rapporter.
Une
étudiante de la même université a écrit[1] :
« On peut donc reprocher à [Diane] Lamonde de poser sur le français
québécois un regard qui manque d’objectivité, étant de toute évidence atteint
par le préjugé populaire qui classe hiérarchiquement les variétés du
français ». Était-ce une façon indirecte de faire un reproche à ses
professeurs ? Quant à Diane Lamonde, il y a bien longtemps que j’ai lu son
livre mais je ne me rappelle pas qu’elle ait soutenu l’idée saugrenue de
procéder à la hiérarchisation des usages. Elle a bien au contraire critiqué
vertement le courant aménagiste.
[1] Compte
rendu de Diane Lamonde, Le maquignon et
son joual, Dialangue 10, 1999,
Université du Québec à Chicoutimi, p. 122.
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