lundi 19 février 2024

La norme du français au Québec : la hiérarchisation des usages… ou des personnes?


Depuis longtemps les endogénistes affirment leur volonté de procéder à une hiérarchisation des usages linguistiques au Québec. En témoignent ces propos tenus par deux des principaux promoteurs de cette tendance à la Commission permanente de la culture de l’Assemblée nationale lors de la séance du 5 septembre 1996 :


[…] définir une véritable politique d'aménagement de la langue commune au Québec, c'est-à-dire une politique qui viserait à hiérarchiser les divers usages du français québécois 

Il importe donc de fournir aux Québécois et Québécoises des renseignements précis sur ces emplois corrects et critiqués de ces formes; cela fait partie, on l'a dit, de l'établissement d'une norme québécoise et d'une hiérarchisation de nos usages.

[…] les Québécois et Québécoises n'ont pas accès à la description de ce français québécois soutenu ou standard et à la hiérarchisation des usages autour de ce français québécois standard. L'aménagement de la langue passe d'abord par la prise en compte et la hiérarchisation des usages autour d'un français québécois standard, c'est-à-dire du bon usage du français au Québec. Pour arriver à décrire de façon adéquate ce français québécois et surtout ce bon usage, ce bon modèle de la langue au Québec, nous voyons comme premier moyen la rédaction d'un dictionnaire. C'est le seul ouvrage de base où les usages linguistiques du Québec peuvent être hiérarchisés et le français québécois standard explicité. Une fois établie clairement la hiérarchisation des usages et la norme du français québécois, il faut s'assurer ensuite du respect de cette norme, c'est-à-dire de la pratique quotidienne d'un français de qualité.

Il leur faut des ouvrages de référence de qualité et fiables dans lesquels la hiérarchisation des usages sera clairement établie et le français québécois standard écrit parfaitement décrit.

Il n’y a qu’une seule langue française, avec des variétés internes, et il s’agit de les hiérarchiser.

 

On l’a bien lu : il s’agit de hiérarchiser les usages et non de les décrire, ce qui serait l’objectif de tout linguiste ou lexicographe normal.

« Une fois établie clairement la hiérarchisation des usages et la norme du français québécois, il faut s'assurer ensuite du respect de cette norme » : par quelle police ?

Je ne suis pas le premier à attirer l’attention sur le danger que représente cette conception des usages québécois qu’il faudrait hiérarchiser. Le porte-parole de l’Opposition officielle à la même Commission parlementaire, Pierre-Étienne Laporte, ancien président de la Commission de protection de la langue française, puis de l’Office de la langue française, puis du Conseil de la langue française, avait émis des réserves sévères sur cette façon de faire :


[…] il faut faire preuve, en particulier dans le domaine pédagogique, pour qu'une fois qu'une variété linguistique est reconnue comme la variété légitime on évite de créer de l'exclusion sociale.

[…] entre nous et vous, il y a, disons, un désaccord qui tient au besoin que nous ressentons d'être d'autant plus prudents qu'ayant réussi à nous libérer de certaines exclusions que d'autres avaient voulues pour nous, nous ne nous retrouvions pas à nous exclure nous-mêmes ou à exclure par nous-mêmes certains de nos concitoyens qui ne se placent pas seulement à différents niveaux d'une échelle de niveaux de langue, mais qui parlent un français québécois populaire, comme certains de nos amis français ont bien mis en évidence qu'en France il se parle – s'écrit, c'est autre chose – un français populaire.

 

Exclure par nous-mêmes certains de nos concitoyens ? N’est-ce pas là le principe de la lutte des classes ?

Une collaboratrice des deux aménagistes cités plus haut est allée dans le sens de Pierre-Étienne Laporte : « Il faut avoir l’esprit bien peu scientifique pour oser défendre une hiérarchisation des usages du français » (Le Devoir, 11 juillet 1997). Et cela un an après que ses collègues eurent tenu en commission parlementaire les propos que je viens de rapporter.

Une étudiante de la même université a écrit[1] : « On peut donc reprocher à [Diane] Lamonde de poser sur le français québécois un regard qui manque d’objectivité, étant de toute évidence atteint par le préjugé populaire qui classe hiérarchiquement les variétés du français ». Était-ce une façon indirecte de faire un reproche à ses professeurs ? Quant à Diane Lamonde, il y a bien longtemps que j’ai lu son livre mais je ne me rappelle pas qu’elle ait soutenu l’idée saugrenue de procéder à la hiérarchisation des usages. Elle a bien au contraire critiqué vertement le courant aménagiste.

 



[1] Compte rendu de Diane Lamonde, Le maquignon et son joual, Dialangue 10, 1999, Université du Québec à Chicoutimi, p. 122.

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