Comme mes lecteurs ont pu
s’en rendre compte à quelques reprises, je suis exaspéré par la pratique,
devenue courante dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), d’affirmer
sans preuve que tel ou tel mot fait partie de la « norme sociolinguistique
du français au Québec ». Dans sa Politique de l’emprunt linguistique
(2017), l’Office québécois de la langue française (OQLF) va même jusqu’à
affirmer que « chaque emprunt est évalué en fonction : […] de son
adéquation à la norme sociolinguistique du français au Québec (c’est-à-dire de
sa légitimité dans l’usage) » (p. 9). Sur la base de quelle
enquête ? Aucune ! C’est tout simplement de la pifométrie.
Pourtant il y a eu
quelques enquêtes qui donnent une idée du sentiment sociolinguistique des
Québécois. Mais leurs résultats ne correspondent pas aux attentes des
idéologues endogénistes. Voici un neuvième billet rendant compte des résultats
de quelques-unes de ces enquêtes.
On trouve dans plusieurs
fiches du GDT la mention : « termes utilisés dans certains
contextes ». Le recours au mot contexte
montre bien que, pour les auteurs des fiches du GDT, la langue est d’abord
conçue, ou perçue, comme quelque chose que l’on trouve dans les dictionnaires
ou au moins dans des textes et non comme un phénomène avant tout sonore. La
preuve en est que l’on ne trouve à peu près aucune indication de la façon dont
on peut ou doit prononcer un mot — même pas dans la fiche
« sauce Worcestershire », nom que peu de gens réussissent à prononcer
de façon intelligible sinon correcte du premier coup. Voici un autre exemple
qui vaut son pesant d’or : « Au Québec, chambre
de bains et chambre de bain sont surtout relevés dans des
contextes de langue courante, tandis que salle de bains et salle de
bain sont employés dans toutes les situations de communication. » A
priori, puisqu’il est question de langue courante, on pourrait croire qu’on inclut
la langue parlée mais, en parlant, fait-on la distinction entre chambre de
bains et chambre de bain ? Chambre de bainze, salle de
bainze ? On voit bien qu’on ne prend en compte que l’écrit.
Quand on ne tient aucun
compte des circonstances des prises de parole il faut se lever de bonne heure
pour affirmer que tel ou tel terme fait partie de la « norme
sociolinguistique du français au Québec ». La norme de quelle catégorie
sociale ? S’exprimant dans quelles circonstances ? « Dans
certains contextes », disons plutôt dans certaines circonstances, on
entend « clutch », « wiper », « tyre », « dash »
tout comme dans d’autres circonstances on entend « salle de bain ».
Pourquoi ne pas même mentionner que ces termes n’appartiennent pas (ou ne
devraient pas appartenir ?) à la « norme sociolinguistique du
français au Québec » ?
Je rappelle quelques
conclusions de mon enquête sur l’utilisation et la connaissance du vocabulaire
français dans un secteur du monde du travail et du monde de l’enseignement
technique, celui de la mécanique automobile.
L’échantillon était composé
de travailleurs et d’élèves du secteur de l’automobile habitant dans la RMR de
Montréal et nés au Québec. Plus spécifiquement, les personnes interrogées se
divisaient en cinq catégories : vendeurs d’automobiles, commis aux pièces,
commis à la clientèle, mécaniciens et élèves de l’enseignement technique.
Dans une autre enquête, une
partie de ce questionnaire a aussi été présentée à un échantillon
représentatif des régions métropolitaines de recensement de Montréal et de
Québec (701 personnes).
Les vendeurs et les commis à
la clientèle étaient plus nombreux à déclarer utiliser les termes standard pour
nommer des pièces ou des composantes de l’automobile que les commis aux pièces,
les mécaniciens ou les élèves.
Les travailleurs du secteur
de l’automobile qui étaient directement en contact avec la clientèle portaient donc
une attention particulière aux termes qu’ils employaient. En d’autres termes,
les répondants se répartissaient en deux groupes bien typés : les
commerciaux ou cols blancs, plus en contact avec le public et déclarant utiliser
dans une forte proportion les termes standard, et les ouvriers ou cols bleus,
qui conservaient dans une plus forte proportion l’utilisation d’un vocabulaire
non standard comprenant plusieurs termes anglais.
Il y a donc une
stratification sociale dans les réponses.
Les résultats des élèves de
l’enseignement professionnel étaient presque toujours plus faibles que ceux des
quatre catégories de personnel travaillant chez les concessionnaires
d’automobiles et même que ceux du grand public.
Les élèves déclaraient un
comportement linguistique analogue à celui des commis aux pièces et des
mécaniciens, mais à un niveau plus ou moins sensiblement inférieur.
À partir du moment que le
GDT fait un travail plus lexicographique que terminologique, il n’est pas
normal qu’il ne tienne pas compte du parler des classes populaires. C’est de la
discrimination sociale.
Pourquoi
le GDT ne reviendrait-il pas à une démarche purement terminologique ?
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Pour plus de
renseignements sur cette enquête, voir mon billet « Du char à l’auto ».
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