Comme mes lecteurs ont pu s’en rendre compte à quelques reprises, je
suis exaspéré par la pratique, devenue courante dans le Grand Dictionnaire
terminologique (GDT), d’affirmer sans preuve que tel ou tel mot fait partie de
la « norme sociolinguistique du français au Québec ». Dans sa Politique
de l’emprunt linguistique (2017), l’Office québécois de la langue française
(OQLF) va même jusqu’à affirmer que « chaque emprunt est évalué en
fonction : […] de son adéquation à la norme sociolinguistique du français au
Québec (c’est-à-dire de sa légitimité dans l’usage) » (p. 9). Sur la
base de quelle enquête ? Aucune ! C’est tout simplement de la
pifométrie.
Pourtant il y a eu quelques enquêtes qui donnent une idée du sentiment
sociolinguistique des Québécois. Mais leurs résultats ne correspondent pas aux
attentes des idéologues endogénistes. Voici un hutième billet rendant compte
des résultats de quelques-unes de ces enquêtes.
La
sociolinguiste belge Marie-Louise Moreau a utilisé une procédure astucieuse[1].
Elle demande quelle pilule les enquêtés choisiraient si son ingestion
permettait de parler telle langue ou telle variété de langue. Je me suis
inspiré d’elle pour formuler la question suivante de mon enquête de 2004 :
« Si on disait qu’il existe des pilules vous permettant de parler
parfaitement le français d’Europe ou parfaitement le français québécois mais
que vous ne pourriez prendre qu’une seule de ces pilules, choisiriez-vous… la
pilule vous permettant de parler le français d’Europe, la pilule vous permettant
de parler le français québécois ? »
Les
anglophones sont également partagés entre le modèle du français européen et le
modèle québécois. Chez les allophones, près des deux tiers disent qu’ils
choisiraient la pilule leur permettant de parler le français européen. La différence
entre les anglophones et les allophones est statistiquement significative.
La
scolarité et l’âge n’influencent que les résultats des anglophones :
61,8 % des anglophones ayant 12 années ou moins de scolarité préfèrent le
modèle québécois contre 54,1% chez ceux qui ont plus de 13 années de scolarité.
Chez
les anglophones âgés de plus de 55 ans, près de quatre sur cinq disent qu’ils
choisiraient la pilule leur permettant de parler le français québécois. Plus de
la moitié des anglophones âgés de 54 ans et moins préféreraient la pilule leur
permettant de parler le français européen.
[1]
Marie-Louise Moreau, « Des pilules et des langues. Le volet subjectif
d’une situation de multilinguisme », dans E. Gouaini et
N. Thiam, Des langues et des villes, Paris, Didier, 1992,
p. 407-420.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire