dimanche 11 février 2024

La norme du français au Québec : les deux modèles

 

Comme mes lecteurs ont pu s’en rendre compte à quelques reprises, je suis exaspéré par la pratique, devenue courante dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), d’affirmer sans preuve que tel ou tel mot fait partie de la « norme sociolinguistique du français au Québec ». Dans sa Politique de l’emprunt linguistique (2017), l’Office québécois de la langue française (OQLF) va même jusqu’à affirmer que « chaque emprunt est évalué en fonction : […] de son adéquation à la norme sociolinguistique du français au Québec (c’est-à-dire de sa légitimité dans l’usage) » (p. 9). Sur la base de quelle enquête ? Aucune ! C’est tout simplement de la pifométrie.

Pourtant il y a eu quelques enquêtes qui donnent une idée du sentiment sociolinguistique des Québécois. Mais leurs résultats ne correspondent pas aux attentes des idéologues endogénistes. Voici un quatrième billet rendant compte des résultats d’une de ces enquêtes.

 

Les données recueillies lors d’une enquête effectuée en 1998 (dont certains résultats ont été présentés dans les billets précédents) ont permis de dégager un certain nombre de modèles normatifs qui ont cours au Québec. Ces analyses ont été effectuées avec l’aide indispensable du sociologue Pierre Bouchard. Nous avons repris les mêmes procédures que dans notre article « La norme et l’école » (Bouchard et Maurais, 1999). Dans cet article, nous constations l’existence de deux relations :

1.   La relation entre l’impression de parler français (par opposition à parler québécois) et le souhait de parler comme les présentateurs des bulletins de nouvelles de Radio-Canada.

2.   La relation entre l’impression de parler québécois et le souhait de parler comme les gens ordinaires que l’on voit dans les jeux télévisés.

Une analyse des données un peu plus poussée (à l’aide d’une analyse factorielle) nous a amené à comprendre que la norme du français soutenu ne peut tolérer la présence des mots anglais. En effet, le facteur obtenu montre une corrélation entre l’impression de parler français et le souhait de parler comme les lecteurs de nouvelles de Radio-Canada et l’opinion voulant qu’« il faudrait éliminer les mots anglais du français d’ici ». Dans le tableau qui suit, les facteurs qui jouent ici ont été groupés sous l’appellation de « modèle puriste ».

À l’inverse, le facteur relatif au français québécois sera plus tolérant à la présence de mots anglais, mais surtout il aura tendance à souhaiter s’ouvrir aux autres. Ainsi, dans ce groupe, on partagera l’opinion que « beaucoup de mots que nous utilisons au Québec nous empêchent de communiquer avec les francophones des autres pays », que « les francophones d’ici devraient mieux connaître les mots typiques des autres régions de la francophonie » et que « tous les francophones du monde devraient employer partout les mêmes mots ». Dans le tableau, ces facteurs sont groupés sous l’appellation de « modèle internationaliste. »

 

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A = modèle internationaliste

B = modèle puriste

 

Bibliographie

Bouchard, Pierre et Jacques Maurais (1999), « La norme et l’école. L’opinion des Québécois », Terminogramme 91-92, p. 91-116.

 


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