Comme mes lecteurs ont pu
s’en rendre compte à quelques reprises, je suis exaspéré par la pratique,
devenue courante dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), d’affirmer
sans preuve que tel ou tel mot fait partie de la « norme sociolinguistique
du français au Québec ». Dans sa Politique de l’emprunt linguistique
(2017), l’Office québécois de la langue française (OQLF) va même jusqu’à
affirmer que « chaque emprunt est évalué en fonction : […] de son
adéquation à la norme sociolinguistique du français au Québec (c’est-à-dire de
sa légitimité dans l’usage) » (p. 9). Sur la base de quelle
enquête ? Aucune ! C’est tout simplement de la pifométrie.
Pourtant il y a eu
quelques enquêtes qui donnent une idée du sentiment sociolinguistique des
Québécois. Mais leurs résultats ne correspondent pas aux attentes des
idéologues endogénistes. Voici un troisième billet rendant compte des résultats
de quelques-unes de ces enquêtes.
J’emprunte les données qui
suivent à deux enquêtes, effectuées à 15 ans d’intervalle[1].
Pour plus de détails, veuillez vous référer au billet précédent.
Quatre énoncés proposés dans
ces enquêtes recueillent un appui plus ou moins mitigé. Et l’évolution des
opinions sur une période de 15 ans est particulièrement intéressante.
1.
« Beaucoup de mots que nous utilisons au
Québec nous empêchent de communiquer avec les francophones des autres
pays. »
En 1983, près de trois
Québécois sur quatre (73,2 %) se disaient en accord avec cet énoncé.
Quatre ans plus tard, ils étaient moins de un sur deux (42,1 %).
Les personnes qui ont voyagé
dans les autres pays francophones sont celles qui ont le plus abandonné cette
opinion. En effet, il y a une baisse de 46,1 points sur quinze ans parmi les
personnes qui ont visité des pays francophones, comparativement à une baisse de
24,5 points chez celles qui ont voyagé dans des pays non francophones.
2.
« Les francophones d’ici devraient mieux
connaître les mots typiques des autres régions de la francophonie. »
Tant en 1983 qu’en 1998, un
peu plus d’un Québécois sur deux appuie cet énoncé (54,4 % en 1983,
53,8 % en 1998). Sur ce point, il n’y a pas eu d’évolution en 15 ans.
3.
« Tous les francophones du monde
devraient employer partout les mêmes mots. »
En 1983, les répondants se
partageaient également entre ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre
cet énoncé (50 % exactement). Sur 15 ans, l’accord avec cette opinion a
connu une chute de près de 15 points, passant de 50 % à 35,2 %. La
baisse la plus marquée s’est manifestée chez les personnes les plus
scolarisées : chez celles qui ont 13 ans et plus de scolarité, la baisse
est de 14,2 points, alors qu’elle est de 6,9 points chez celles ayant moins de
13 ans de scolarité.
4.
« Il faudrait éliminer les mots anglais
du français d’ici. »
En 1983, près de quatre
Québécois sur cinq (79 %) se disaient d’accord avec cet énoncé; quinze ans plus
tard, ils n’étaient plus qu’un peu plus de la moitié (57,7 %).
On constate qu’en 1998, près
des deux tiers des personnes âgées de moins de 35 ans disent manifester plus de
tolérance envers les anglicismes; en revanche, chez les plus de 35 ans, près
des deux tiers les rejettent. Sur la question des anglicismes, le clivage selon
l’âge est donc très marqué.
Une enquête effectuée en
2004 confirme ces tendances. On peut le vérifier en cliquant ici (fichier pdf téléchargeable).
Tableaux
1. « Beaucoup
de mots que nous utilisons au Québec nous empêchent de communiquer avec les
francophones des autres pays. »
O.L.F. 1998 |
C.L.F. 1983 |
D’accord
42,1 %* |
D’accord
73,2 %* |
En désaccord
57,9 %* |
En désaccord
26,8 %* |
*Différences significatives
1 (a) « Beaucoup de mots que nous utilisons au Québec
nous empêchent de communiquer avec les francophones des autres pays. »
Pourcentage de répondants qui se disent d’accord avec cet
énoncé selon qu’ils ont ou non voyagé dans d’autres pays francophones
|
C.L.F. 1983 |
O.L.F. 1998 |
Ont voyagé dans des pays francophones |
79,4 %* |
33,3 %* |
N’ont pas voyagé dans des pays francophones |
68,7 %* |
44,2 %* |
*Différences significatives
2. « Les
francophones d’ici devraient mieux connaître les mots typiques des autres
régions de la francophonie. »
O.L.F. 1998 |
C.L.F. 1983 |
D’accord
53,8 % |
D’accord
54,4 % |
En désaccord
46,2 % |
En désaccord
45,6 % |
3. « Tous
les francophones du monde devraient employer partout les mêmes mots. »
O.L.F. 1998 |
C.L.F. 1983 |
D’accord
35,2 %* |
D’accord
50 %* |
En désaccord
64,8 %* |
En désaccord
50 %* |
*Différences significatives
3(a) « Tous les francophones du monde devraient
employer partout les mêmes mots. »
Pourcentage de répondants qui se disent en accord avec cet
énoncé, selon le nombre d’années de scolarité
Scolarité |
C.L.F. 1983 |
O.L.F. 1998 |
Moins de 13 ans |
55,7 %* |
48,8 %* |
Plus de 13 ans |
39,8 %* |
25,6 %* |
*Différences significatives
4. « Il
faudrait éliminer les mots anglais du français d’ici. »
O.L.F. 1998 |
C.L.F. 1983 |
D’accord
57,7 %* |
D’accord
79 %* |
En désaccord
42,3 %* |
En désaccord
21 %* |
*Différences significatives
4(a) « Il faudrait éliminer les mots anglais du
français d’ici. »
Pourcentage de répondants qui se disent en accord avec cet
énoncé, selon l’âge
|
D’accord |
En désaccord |
Moins de 35 ans |
37,2 %* |
62,8 %* |
35 à 54 ans |
60,7 % |
39,3 % |
55 ans et plus |
69,2 % |
30,8 % |
*Différence significative
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