mardi 15 juin 2021

Du char à l’auto

Récemment, sur sa page Facebook, Gaston Bernier (Asulf, Association pour le soutien et l’usage de la langue française) a consacré un court billet au québécisme char. Il citait l’opinion de la Banque de dépannage linguistique mais ne mentionnait pas le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). Je suis donc allé vérifier. Étonnement de ma part : le GDT n’enregistre pas le mot au sens de « voiture automobile ». Cela est tout de même curieux quand on songe à l’habitude du GDT, ancrée depuis plusieurs années, d’ajouter des flopées de termes non standard en les considérant naguère comme quasi-synonymes, plus récemment comme « termes utilisés dans certains contextes ». Il est vrai que l’absence de char « voiture automobile » est justifiée dans un dictionnaire qui ne devrait pas avoir pour vocation de décrire l’usage. Le mot est marqué socialement et d’ailleurs peut-être en voie de disparition : quand on paie une voiture plusieurs dizaines de milliers de dollars, on n’a peut-être pas envie qu’on dise que c’est un char…

Usito affirme que char est un anglicisme. Tout comme Claude Poirier dans un article ancien paru dans Québec français. Le Trésor de la langue française informatisé se contente de dire que ce régionalisme canadien a deux sens : wagon de train de chemin de fer et voiture automobile.

Le domaine de l’automobile est l’un de ceux sur lesquels l’action normative de l’O(Q)LF s’est exercée depuis le plus longtemps. Rappelons la série de lexiques préparés par Anne-Marie Baudouin dans les années 1970. Ils furent accompagnés d’affiches murales destinées aux garages.

En 2006, j’ai dirigé une enquête pour évaluer l’utilisation de cette terminologie chez les concessionnaires de voitures automobiles (vendeurs, commis aux pièces, commis à la clientèle, mécaniciens) et chez les élèves de l’enseignement technique. Une partie de ce questionnaire a été intégrée à une autre enquête, celle-ci portant sur l’utilisation de certains termes standard et non standard par les francophones des régions métropolitaines de recensement de Montréal et de Québec. Voici les conclusions que j’ai tirées de ces enquêtes :

1.    La connaissance de la terminologie standard de l’automobile est en bonne partie acquise. Plus de 60 % des répondants (72 % dans le cas des commis à la clientèle et des commis aux pièces) connaissent les termes standard désignant les parties de l’automobile dont on leur montrait l’image.

 

2.    Le deuxième constat concerne la fréquence d’utilisation de mots standard ou de mots non standard. Les vendeurs et les commis à la clientèle sont plus nombreux à déclarer utiliser plus les termes standard pour nommer des pièces ou des composantes de l’automobile que les commis aux pièces, les mécaniciens ou les élèves. Les travailleurs du secteur de l’automobile qui sont directement en contact avec la clientèle portent donc une attention particulière aux termes qu’ils emploient. En d’autres termes, les répondants se répartissent en deux groupes bien typés : les commerciaux ou cols blancs, plus en contact avec le public et déclarant utiliser dans une forte proportion les termes standard, et les ouvriers ou cols bleus, qui conservent dans une plus forte proportion l’utilisation d’un vocabulaire non standard comprenant plusieurs termes anglais. Les réponses des élèves s’inscrivent dans cette dernière tendance.

 

3.    Le troisième constat concerne les résultats des élèves de l’enseignement professionnel, presque toujours plus faibles que ceux des quatre catégories de personnel travaillant chez les concessionnaires d’automobiles et même que ceux du grand public. Pendant longtemps, en particulier dans les deux décennies qui ont suivi l’adoption des grandes lois linguistiques québécoises (« loi 22 » en 1974 et « loi 101 » en 1977), on a cru, et on a même entendu dans des colloques, que les élèves apprenaient à l’école la terminologie française de leur discipline et que leur arrivée sur le marché du travail avait pour conséquence, dans un grand nombre de cas, de les angliciser. Or, les données de mon étude invalident cette affirmation. Avant même leur arrivée sur le marché du travail, les élèves déclarent un comportement linguistique analogue à celui des commis aux pièces et des mécaniciens, mais à un niveau plus ou moins sensiblement inférieur. Il faudra s’interroger sur cette situation : la pression des pairs à l’adolescence suffit-elle à provoquer l’utilisation (du moins l’utilisation déclarée) d’un vocabulaire non standard, pour une part anglicisé, alors que, par ailleurs, on connaît en bonne partie les termes standard puisque nos données indiquent, chez les jeunes, un écart marqué entre la connaissance et la préférence déclarée pour l’utilisation des mots standard (environ 26 points d’écart) ?

 

Parce que je croyais que ces résultats pouvaient intéresser mes collègues terminologues de l’Office et même, pourquoi pas, orienter leur pratique, j’ai offert de leur en faire un résumé. Je me proposais aussi de présenter les principaux résultats de mon enquête sur la norme (2 200 enquêtés tout de même, francophones, anglophones et allophones). Aucun n’a manifesté d’intérêt. Je n’ai donc pas été surpris de constater que dans la Politique de l’emprunt linguistique (2017), où on se gargarise de la norme sociolinguistique du français au Québec, il n’est fait aucune référence aux seules études payées et publiées sur cette question par l’Office lui-même.

Références

Le vocabulaire français au travail : le cas de la terminologie de l’automobile, OQLF,2008.

Les Québécois et la norme. L’évaluation par les Québécois de leurs usages linguistiques, OQLF, 2008.

 

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