Le
dictionnaire en ligne Usito est désormais offert gratuitement. Son équipe de
rédaction en fait la promotion en insistant sur le portrait qu’il fait du « français
en usage au Québec » :
Avec ses 60 000 mots
traités, Usito est
le premier dictionnaire qui, tout en dressant un portrait global et actuel du
français, ouvre une aussi large fenêtre sur l’expérience nord-américaine de
cette langue, et tout particulièrement sur la place qu’elle occupe dans la
société et la culture québécoises.
Ce nouveau dictionnaire se démarque des autres ouvrages par une
plus grande ouverture aux mots français dont on ne peut se passer quand il
s’agit de nommer les particularités des contextes québécois, canadien et
nord-américain dans tous les domaines de la vie courante et professionnelle
(sociopolitique, droit, faune et flore, environnement, sport, éducation,
alimentation, médecine, culture, informatique, etc.).
Source : https://www.usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/sur-les-campus/sur-les-campus-details/article/21501/
Dans
ce billet, je me baserai sur plusieurs exemples pour montrer que le portrait du
français québécois fait par Usito est plus que lacunaire et qu’il constitue même
parfois un recul par rapport au traitement des québécismes dans d’autres
dictionnaires. Mes exemples relèvent de ce que l’on pourrait appeler le
français québécois commun. Ce ne sont donc pas des régionalismes internes au
Québec : j’ai déjà donné des preuves des faiblesses d’Usito sur ce point
(cf. « En deçà des promesses /8 » et « Faire de la lexicographie à la mitaine »).
Premier exemple : étoffe du pays.
L’expression désigne un « tissu de laine épais fabriqué à la maison »
selon la définition qu’en donne Árpád Vigh dans son Bon Usage des québécismes. Ce dernier, qui a étudié tous les romans québécois publiés jusqu’en
1960, ajoute que l’expression est courante dans ce corpus (p. 576). Ce terme
bien présent dans notre tradition littéraire ne figure pas dans Usito mais il n’a
pas échappé à l’attention de l’auteur du Dictionnaire
québécois d’aujourd’hui (Dictionnaires Le Robert, 1992) : « qqch. en étoffe du pays, en laine et de
fabrication domestique » (p. 445).
Deuxième exemple : étriver. Árpád
Vigh précise ainsi le sens québécois : « agacer, railler, taquiner ».
Il ajoute : « Cet usage canadien figurait déjà dans le Supplément du Dictionnaire des dictionnaires (1895) par les soins de Napoléon
Caron, et surgit aussi récemment dans l’Acad. 1992 comme canadianisme »
(p. 577). Un québécisme attesté depuis au moins 1895, enregistré dans la
dernière édition du dictionnaire de l’Académie française et qui est absent de
la nomenclature d’Usito ! Et dire que l’équipe d’Usito reproche aux
dictionnaires publiés en France « leur description de la langue […] principalement basée sur l’usage européen du français ».
Troisième exemple : berlot.
Définition : « voiture d’hiver, traîneau court » (Vigh,
p. 260). Le mot a été relevé par plusieurs lexicographes québécois depuis
les dernières décennies du xixe siècle
(Dunn, Clapin, Glossaire du parler
français au Canada, Bélisle, Bergeron, Dulong, Juneau). Usito n’a pas le
mot, il n’est même pas capable de copier ses prédécesseurs.
Quatrième exemple : haut-coté.
On peut dire que le mot fait partie de la culture populaire des Québécois, on l’a
entendu maintes fois dans la série Les
Belles histoires des pays d’en haut, dont les épisodes sont programmés à la
télévision publique année après année depuis 1956. Pourtant, haut-côté (« les pièces principales
comme la salle à manger et le salon », Vigh, p. 237) a été négligé
par Usito.
Cinquième exemple : bas-côté.
Si le mot figure bien dans Usito, il n’a pas le sens québécois de « petite
construction adossée à une maison avec laquelle elle communique » (Vigh,
p. 237) mais uniquement les sens du français européen. Le sens québécois est
ancien puisqu’on le trouve déjà dans notre premier roman, L’influence d’un livre de Philippe Aubert de Gaspé fils (1837). On le
rencontre aussi chez Fréchette, le chanoine Groulx, Claude-Henri Grignon,
Germaine Guèvremont. Comme Usito ne donne que les sens du français européen de
ce mot, la critique formulée par un de ses responsables à l’endroit des
dictionnaires français peut donc s’appliquer à Usito lui-même : « Dans les dictionnaires provenant de France, la
mise en contexte est européenne. La littérature québécoise est absente, tout
comme les mots spécifiquement utilisés chez nous […]. C'est acculturant » (La Croix,
5 juillet 2008). Usito nous acculture au lieu de nous décoloniser !
Sixième exemple : bureaucrate.
Il s’agit ici d’un mot relevant de notre histoire nationale : il désigne
un anti-patriote, un partisan du gouvernement impérial anglais lors de la
Rébellion de 1837-1838 (Vigh, p. 339). Ce sens a été oublié par Usito.
Septième exemple : défaite. En
québécois, le mot a encore le sens d’« échappatoire, moyen de se tirer d’embarras,
prétexte » (Vigh, p. 410). Courant en France dans le langage classique,
il figure au dictionnaire de l’Académie jusqu’à l’édition de 1935. Il est
aujourd’hui sorti de l’usage en France. Georges Straka (cité par Vigh) estimait
qu’il faisait partie du « vocabulaire régional du Québec ». Relevé
par le Glossaire du parler français au
Canada, Bélisle, Bergeron, Dulong, le Dictionnaire
québécois d’aujourd’hui, le sens québécois de ce mot est ignoré d’Usito.
À SUIVRE
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