vendredi 4 octobre 2019

De la prétention de décrire l’usage du français au Québec


Hier soir, en furetant sur le site du quotidien Le Soleil, j’ai appris que le dictionnaire Usito, qui prétend offrir une « description ouverte de la langue française qui reflète la réalité québécoise, canadienne et nord-américaine », est désormais accessible gratuitement en ligne. Je me suis empressé de vérifier les termes dont j’ai traité dans mon billet d’hier : support athlétique, suspensoir, jockstrap/jacstrap.


Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui prétend orienter l’usage, affirme que « les termes support athlétique et suspensoir [sont] bien implantés dans l'usage. » Usito, qui déclare décrire le français standard en usage au Québec, n’a aucun de ces deux termes. Il a toutefois le mot coquille au sens de « pièce d’équipement destinée à protéger les organes génitaux masculins lors de la pratique de certains sports ». Le mot jackstrap, pourtant courtant au Québec, n’a pas été relevé par nos descripteurs du français québécois.


Dans plusieurs billets, j’ai critiqué le traitement que réservaient Usito et son prédécesseur Franqus à un certain nombre de québécismes. Ainsi du mot cossetarde. Je me rends compte qu’Usito n’a rien changé dans la définition de ce mot : pour lui, la cossetarde est une crème pâtissière. Je reprends donc le commentaire que j’ai mis en ligne le 21 juin 2013 :

Cossetarde ou costarde, « synonyme non standard de crème pâtissière » selon le Franqus. En français, custard peut être aussi un flan (déposé sur une abaisse et doré au four, c’est un flan pâtissier) ou, comme le dit excellemment le Grand Dictionnaire terminologique de la langue française de l’Office québécois de la langue française, une crème anglaise (équivalence que ne donne pas le Franqus s.v. crème) :

Crème aux œufs liquide comme une sauce, que les Anglais versent sur presque tous leurs desserts comme étant une crème française (French custard) mais dont les Français se servent beaucoup pour leurs entremets et pâtisseries en l'appelant crème anglaise.


Je constate que cette excellente fiche du GDT a été refaite en 2016 par une personne peu au fait des réalités québécoises et encore moins de la cuisine anglaise et qui n’a gardé de custard que le sens de crème pâtissière. Est-il si difficile de comprendre que le mot cossetarde peut avoir deux sens au Québec? Le terme French custard (crème anglaise) est disparu du GDT (mais on y trouve custard sauce et custard). On refait des fiches, mais en moins bien. C’est la notion du progrès qui semble avoir cours à l’OQLF.


Pour revenir à Usito/Franqus, le 2 décembre 2012, je constatais que « le mot pelote n’a pas dans ce dictionnaire son sens populaire québécois (comme quand Jean Charest s’est fait accueillir en France par les mots « J'espère que vous n'avez pas trop la plotte à terre ») et le mot chatte n’a pas non plus son sens populaire français. » Le sens populaire de ces mots n’a toujours pas été introduit dans Usito.


Une analyse du vocabulaire religieux dans Franqus m’avait permis de relever quelques bizarreries. Ainsi, prie-Dieu était-il défini comme une « chaise basse sur laquelle on s’agenouille pour prier et dont le dossier se termine en accoudoir ». Ce qui correspond à ce que l’on voit dans les églises en France :



Mais pas à ce que l’on appelle prie-Dieu au Québec :



Je cite sur ce sujet mon billet du 6 novembre 2012 :

Comme le déclarait en 2008 avec un à-propos, ou une inconscience, prémonitoire l’une des responsables du groupe Franqus, « Dans les dictionnaires provenant de France, la mise en contexte est européenne. La littérature québécoise est absente, tout comme les mots spécifiquement utilisés chez nous […]. C'est acculturant » (La Croix, 5 juillet 2008). On sera moins acculturé par la définition suivante, pourtant tirée de l'hexagonal Trésor de la langue française informatisé (TLFi), car elle est plus proche de ce que l’on peut voir dans les églises québécoises : « Meuble en bois, parfois capitonné, fait d'une partie basse horizontale sur laquelle on s'agenouille pour prier, et surmonté d'un accoudoir. »


Dernier exemple de non-description de l’usage québécois que j’ai trouvé hier soir : à tombe, Usito ne signale pas que dans l’usage québécois ce mot désigne un cercueil. Et à cercueil, on ne donne pas comme synonyme québécois tombe. Cet usage n’a toutefois pas échappé à l’attention du rédacteur du Dictionnaire québécois d’aujourd’hui, qui le qualifie de familier.


En conclusion, Usito, nouveau nom de Franqus, n’a pas corrigé de nombreuses lacunes que j’ai relevées il y a de cela plus de cinq ans. Bien des usages québécois n’ont pas été relevés.

*   *   *

J’ai publié une série de billets sur le Franqus – Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec (le premier : En-deçà des promesses / 1). On lira aussi avec profit l’analyse de Claude Poirier, « Usito : un pas en avant, un pas en arrière ».



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