mardi 6 novembre 2012

La chaise-Dieu


J’ai poursuivi mon analyse du dictionnaire Franqus en procédant à un sondage destiné à vérifier l’importance des usages québécois dans cet ouvrage. J’ai passé en revue 10 pages de la lettre P, soit au total quelque 250 mots.


Dans les pages étudiées, la marque UQ (usage québécois) apparaît 10 fois ; dans la moitié des cas, elle s’accompagne de l’indication « Emploi critiqué ». La marque UF (usage en France) apparaît 5 fois.


Peut-on extrapoler et dire que les usages québécois recensés dans le Franqus sont pour la moitié critiqués ? Si on enlève du total des usages québécois les statalismes qui ne posent aucun problème pour personne (du type sous-ministre, caquiste ou cégépien), tous ces emplois dont le Franqus indique qu’ils sont critiqués même s’ils sont très fréquents dans la langue de l’élite (brocher des papiers, etc.) et tous les « anglicismes critiqués » courants même dans les circonstances les plus officielles[1], on pourrait en arriver à conclure que ce qui reste est le « français standard en usage au Québec » et qu’il est plutôt assez proche de celui des dictionnaires de France. Mais peut-on définir une langue standard par soustraction ?


Quoi qu’il en soit, il faut aussi tenir compte des lacunes du Franqus dans la consignation des usages québécois, ce dont je parlerai sans doute dans un prochain post (« anglicisme critiqué »).


Mon étude de ces 10 pages de la lettre P m’a fait découvrir quelques bizarreries, toutes relatives au vocabulaire religieux (c’est décidément un domaine fort mal couvert par le Franqus).




D’abord, la définition de prie-Dieu : « chaise basse sur laquelle on s’agenouille pour prier et dont le dossier se termine en accoudoir ». C’est tout juste si on n’ajoute pas : avec un fond en osier. La définition correspond aux réalités européennes, pas à la réalité québécoise. Le Franqus, Dictionnaire de la langue française, porte bien son sous-titre : Le français vu du Québec. La définition donne à voir aux Québécois le prie-Dieu des églises françaises, pas celui des églises québécoises. Comme le déclarait en 2008 avec un à-propos, ou une inconscience, prémonitoire l’une des responsables du groupe Franqus, « Dans les dictionnaires provenant de France, la mise en contexte est européenne. La littérature québécoise est absente, tout comme les mots spécifiquement utilisés chez nous […]. C'est acculturant » (La Croix, 5 juillet 2008). On sera moins acculturé par la définition suivante, pourtant tirée de l'hexagonal Trésor de la langue française informatisé (TLFi), car elle est plus proche de ce que l’on peut voir dans les églises québécoises : « Meuble en bois, parfois capitonné, fait d'une partie basse horizontale sur laquelle on s'agenouille pour prier, et surmonté d'un accoudoir. »

Prince de l'Église à son prie-Dieu


Ensuite, la définition donnée à l’expression princes de l’Église (s.v. prince) : « les cardinaux et les évêques ». Comme l’indique le TLFi, prince de l’Église est plutôt un « titre protocolaire des cardinaux qui, formant la Cour pontificale, sont assimilés aux princes du sang». Ce n’est que par extension que l’expression s’applique aux cardinaux, archevêques et évêques. Il est regrettable que le Franqus ne consigne pas le sens premier, largement attesté dans l’usage québécois comme en témoignent les archives de Radio-Canada (cliquer ici et ici).


Enfin, au mot primat on lit la définition : « titre honorifique attaché par tradition à un siège épiscopal». La définition s’accompagne de l’exemple : « Le primat de l’Église canadienne », sans qu’on précise à quel siège épiscopal ce titre est attaché : Québec pour l’Église catholique, Toronto pour l’Église anglicane. En outre, la mention d’Église canadienne est curieuse puisque le Canada ne connaît pas de religion officielle. L’exemple manifeste un point de vue sectaire. Il aurait plutôt fallu écrire : le primat de l’Église catholique au Canada est l’archevêque de Québec.

Festival de La Chaise-Dieu en Auvergne 


[1] Ainsi mettre l’emphase sur, utilisé à plusieurs reprises par la première ministre Pauline Marois dans son récent discours d’ouverture (discours de politique générale) à l’Assemblée nationale.

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