Un dictionnaire ancré en Amérique
Usito comble
les lacunes des dictionnaires français (conçus par et pour des Européens) en
présentant une description du monde à laquelle les Québécois et les autres
francophones de l’Amérique du Nord peuvent s’identifier d’un point de vue
culturel et linguistique.
— Extrait du site Internet d’Usito
Que penser de la description du français
québécois qu’on trouve dans Usito ? Ce dernier comble-t-il vraiment les
lacunes des dictionnaires français ? Pour répondre à ces questions,
prenons quelques exemples :
Les résidents de la Ville de Montréal, ainsi que de certaines villes liées, ont
jusqu’au 29 septembre pour profiter de la campagne automnale, Un arbre pour mon
quartier. (Le Devoir, 31 août 2019)
Les résidents de la ville de Québec
devront s’habituer à une forte présence policière pour les prochains jours. (Le
Devoir, 7 juin 2018)
Sans doute parce que le mot habitant peut avoir le sens de « rustre »,
son usage est fortement concurrencé au Québec par le mot résident. Le tableau suivant a été produit le 31 octobre 2019
et se base sur toutes les pages Internet publiées en français (pas seulement
les pages canadiennes) :
Résidents de Québec
|
523 000
|
Habitants de Québec
|
234 000
|
Résidents de Montréal
|
175 000
|
Habitants de Montréal
|
381 000
|
Résidents de Sherbrooke
|
32 500
|
Habitants de Sherbrooke
|
44 800
|
Résidents de Rimouski
|
13 900
|
Habitants de Rimouski
|
18 500
|
Résidents de Gatineau
|
24 800
|
Habitants de Gatineau
|
19 000
|
Résidents de Trois-Rivières
|
36 700
|
Habitants de Trois-Rivières
|
67 600
|
Résidents de Saguenay
|
7 940
|
Habitants de Saguenay
|
8 560
|
Résidents de Baie-Comeau
|
6 390
|
Habitants de Baie-Comeau
|
5 420
|
Résidents de Rouyn-Noranda
|
6 240
|
Habitants de Rouyn-Noranda
|
5 000
|
Résidents de Sept-Îles
|
10 400
|
Habitants de Sept-Îles
|
21 500
|
Le tableau présente les occurrences des
expressions « résidents (de telle ville québécoise) » et « habitants
(de telle ville) ». Dans le cas de Québec, de Gatineau, de Baie-Comeau et
de Rouyn-Noranda, on préfère le mot résident
au mot habitant. Pour les autres
villes, c’est le contraire. Pour Québec, on préfère à 70 % parler de ses
résidents. Pour Montréal, la proportion est aussi de 70 % mais en faveur
du mot habitants. Quoi qu’il en soit du détail des résultats, une évidence
saute aux yeux : les mots résident
et habitant sont en concurrence dans
l’usage québécois pour désigner une personne qui vit dans un lieu. Usito
rend-il compte de cette réalité ? Non. Pour habitant, il donne les exemples habitant
d’une ville, d’un village, d’un quartier. Pour le mot résident, il donne comme exemple « les résidents d’une maison
de retraite », mais il ne mentionne pas les résidents d’une ville, d’un
village, d’un quartier.
Prenons maintenant l’exemple du mot communauté que j’ai déjà traité dans ce
blog en 2014 («Communauté ou collectivité?»). Au Québec, sous
l’influence de l’anglais, on donne à communauté un
sens qui est plutôt celui de collectivité, c'est-à-dire un ensemble organisé de la population
coïncidant avec une subdivision du territoire, jouissant de la personnalité
morale et ayant le pouvoir de s'administrer par un conseil élu. L’anglicisme
sémantique communauté est généralisé
dans le français du Québec, il a même fait l’objet d’une rubrique dans la
Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française. Cet
usage est absent de la description du français québécois que prétend offrir
Usito.
Troisième exemple : personne d’intérêt. Ce calque est en
voie de faire disparaître le mot suspect.
On peut le lire dans la presse (cf. mon billet « Le français québécois standard illustré par l’exemple / 20 ») et on peut très souvent l’entendre
dans l’émission culte District 31.
Cet usage n’a pas non plus été enregistré.
Quatrième et dernier exemple pour aujourd’hui :
payer une visite (< to pay a visit). Encore une expression
qu’on peut entendre fréquemment dans District 31.
Autre calque absent d’Usito.
On me dira qu’il ne suffit pas que de
quatre exemples pour affirmer qu’Usito rend mal compte de l’usage québécois
contemporain. Mais avec ma flopée de billets sur ce dictionnaire et son ancêtre
Franqus, avec en plus la critique de Claude Poirier, cela devrait être assez
pour susciter des doutes.
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