« Dans les années 1960-1970, la
génération alors en place dans le réseau universitaire et les organismes chargés
de la langue défendait la norme du français standard international et la
nécessité de se rapprocher de la France en matière de langue.
[…]
Avec les années 1970 est arrivée une
génération de jeunes universitaires québécois. Pour la plupart formés en
France, en particulier à Aix-en-Provence et à Strasbourg, munis d’un doctorat d’université
ou de 3e cycle, ils sont rentrés au Québec avec de belles
perspectives de carrière. Les universités étaient alors en plein développement,
les postes, nombreux. La linguistique, la sociolinguistique, la planification linguistique,
la traduction, les études contrastives de l'anglais et du français, la
lexicographie québécoise, la terminologie, portées par le mouvement
nationaliste, étaient à la mode. On créait des programmes d’enseignement, des
centres de recherche, tenait des colloques. Les financements étaient nombreux
et faciles à obtenir. L’ancienne génération n’avait qu’à s’effacer.
Un véritable réseau endogéniste s’est formé
dans le petit circuit des universités québécoises francophones (au nombre de
4), en particulier dans les facultés des lettres et celles des sciences de l’éducation,
et dans les organismes provinciaux chargés de la langue (Conseil de la langue
française, Office de la langue française, Secrétariat à la politique
linguistique, ministère de l’Éducation). Vis-à-vis de l’extérieur, le groupe
était uni par son rejet de la norme française, sa recherche d’une norme
québécoise, ce qui n’empêchait pas qu’à l’intérieur il était marqué par des
dissensions idéologiques opposant québécisants et aménagistes, mais aussi par
des conflits de personnes.
[…]
Cette génération s’éloigne à son tour,
laissant la place à une autre génération, qu’elle a formée selon son idéologie
et qu’elle a placée aux rares postes restant dans les universités et les
organismes d’État. Contrairement à la précédente, cette génération n’a pas connu
d’expérience étrangère, n’a pas été en contact avec d’autres variétés de
français, hormis celle du Québec, ayant étudié dans la province, souvent dans
une seule université. L’intérêt de la société et des autorités pour la
linguistique a fortement décliné. Après les vaches grasses des années
1970-1990, qui ont permis le financement de nombreux projets lexicographiques,
c’est la période des vaches maigres.
On peut se demander combien de temps encore
le mouvement endogéniste pourra dominer le champ linguistique alors qu’il va à
contre-courant du sentiment majoritaire de la population québécoise qui désire une
norme internationale. Selon des sondages menés par l’Office québécois de la
langue française[i], quand on demande aux
Québécois s’ils ont l’impression de parler québécois ou de parler français, ils
sont 52,6 % à répondre « québécois » et 47,4 %, à répondre
« français ». Mais, quand on leur demande si le français correct
enseigné dans les écoles doit être le « français international », ils
répondent oui à 76,8 %. »
–
Lionel Meney, Le Français québécois entre réalité et idéologie. Un autre
regard sur la langue, Presses de l’Université
Laval, 2017.
[i] Jacques Maurais, Les
Québécois et la norme. L'évaluation par les Québécois de leurs usages linguistiques,
Office québécois de la langue française, Québec, 2008, p. 22.
Excellente analyse : je peux en témoigner; j'ai vécu de l'intérieur toute la période que M. Meney décrit très justement. Le résultat de la langue endogène triomphante c'est que, dans les universités françaises et dans les organisations internationales, la salle se vide quand les endogénistes interviennent ou font des interventions, totalement incompréhensibles. Ils ne se rendent pas compte qu'au moment où le Québec peut être de plus en plus présent sur la scène internationale, ils privent le Québec et les Québécois de chances exceptionnelles et les font reculer et s'isoler comme les générations précédentes n'auraient jamais imaginé. André Sirois
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