Il y aurait eu tant à dire sur l’article de
Jean-Benoît Nadeau dans Le Devoir d’hier,
tant de demi-vérités à corriger, que je me suis bien gardé de mettre en ligne
un commentaire sur le site du journal. Mais comme cela continue de me démanger,
je ne puis m’empêcher de publier quelques commentaires sur ce texte qui prétend présenter les résultats de « l’une des rares linguistes ayant étudié les emprunts
linguistiques sur une base scientifique. » Cette seule phrase
a de quoi inquiéter.
On lit dans ce fa/umeux article, « … on se méprend sur le sens du travail
terminologique de l’OQLF. Il vise à moderniser la langue… »
Vraiment ? Alors pourquoi l’Office n’affirme-t-il pas clairement que le
mot vidanges, dont le Grand
Dictionnaire terminologique (GDT) rappelle qu’il figure dans le dictionnaire de
l’Académie de… 1762, est un archaïsme en français standard tout comme chambre de bain ou route de gravelle (« le mot gravelle est attesté en ancien français », nous dit le
GDT) ?
Continuons
la citation : « … il vise à faire que le français du Québec, en
contact avec l’anglais, ne s’écarte pas trop du tronc commun francophone… »
Si tel est l’objectif de l’Office, alors pourquoi continuer de faire la
promotion de calques ou d’emprunts sémantiques comme têtes-de-violon (fiddle-heads, « crosses de fougère »), à l’emploi de (in the employ of), déductible
(« franchise », dans le domaine des assurances), détour (au sens de « déviation »), etc. ?
La sociolinguiste
que le journaliste a interviewée déclare :
… presque chaque fois, l’emprunt est francisé
immédiatement sur le plan grammatical et syntaxique. On dira : « J’ai
“dealé”», « Une grosse beach », « Payer les bills » (sans prononciation du s). Ce processus se
fait spontanément chez tous les locuteurs, peu importe leur niveau
d’instruction.
Cet argument
détruit l’un des critères sur lesquels se base la dernière Politique de l’emprunt linguistique de l’OQLF, l’intégrabilité des
emprunts au système linguistique du français. Si, « presque chaque fois, l’emprunt
est francisé immédiatement », le critère d’intégrabilité mis de l’avant
par l’Office ne peut servir de filtre à l’acceptation des anglicismes.
Je terminerai
par la remarque la plus discutable de la sociolinguiste :
« Considérez une langue qui a beaucoup
emprunté, comme l’anglais, dit Shana Poplack. Un tiers du vocabulaire anglais
de base est d’origine française. Est-ce que c’est moins de l’anglais ? »
On dirait
bien que, pendant ses études, elle n’a jamais eu à suivre un cours de
vieil-anglais. On appelait autrefois cet état de langue Anglo-Saxon, ce qui montrait bien sa différence avec l’anglais
actuel.
À la suite de la conquête normande, le vieil-anglais a beaucoup évolué, certains diraient qu’il s’est créolisé. Un anglophone d’aujourd’hui ne peut lire sans préparation un texte comme l’épopée médiévale Beowulf dont voici le début :
L'auteur, Henry Sweet, a inspiré en partie le personnage de Henry Higgins dans le Pygmalion (My Fair Lady) de George Bernard Shaw |
À la suite de la conquête normande, le vieil-anglais a beaucoup évolué, certains diraient qu’il s’est créolisé. Un anglophone d’aujourd’hui ne peut lire sans préparation un texte comme l’épopée médiévale Beowulf dont voici le début :
Hwæt! We Gardena in geardagum,
þeodcyninga, þrym gefrunon,
hu ða
æþelingas ellen fremedon.
Traduction,
si l’on peut dire, en anglais moderne:
LO, praise of the
prowess of people-kings
of spear-armed Danes,
in days long sped,
we have heard, and what
honor the athelings won!
En comparaison,
le français a moins évolué puisqu’un francophone scolarisé (bon, pas mal
scolarisé) réussit à comprendre le sens du début de la Chanson de Roland :
Carles li reis, nostre emperere magnes,
Set anz tuz pleins ad estet en
Espaigne :
Tresqu’en la mer cunquist la tere altaigne.
|
Charles le roi, notre grand empereur,
Sept ans entiers est resté en Espagne :
Jusqu’à la mer, il a conquis la haute terre |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire