mardi 1 mai 2018

Propos discutables sur les emprunts linguistiques

  
Il y aurait eu tant à dire sur larticle de Jean-Benoît Nadeau dans Le Devoir d’hier, tant de demi-vérités à corriger, que je me suis bien gardé de mettre en ligne un commentaire sur le site du journal. Mais comme cela continue de me démanger, je ne puis m’empêcher de publier quelques commentaires sur ce texte qui prétend présenter les résultats de « l’une des rares linguistes ayant étudié les emprunts linguistiques sur une base scientifique. » Cette seule phrase a de quoi inquiéter.


On lit dans ce fa/umeux article, « … on se méprend sur le sens du travail terminologique de l’OQLF. Il vise à moderniser la langue… » Vraiment ? Alors pourquoi l’Office n’affirme-t-il pas clairement que le mot vidanges, dont le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) rappelle qu’il figure dans le dictionnaire de l’Académie de… 1762, est un archaïsme en français standard tout comme chambre de bain ou route de gravelle (« le mot gravelle est attesté en ancien français », nous dit le GDT) ?


Continuons la citation : « … il vise à faire que le français du Québec, en contact avec l’anglais, ne s’écarte pas trop du tronc commun francophone… » Si tel est l’objectif de l’Office, alors pourquoi continuer de faire la promotion de calques ou d’emprunts sémantiques comme têtes-de-violon (fiddle-heads, « crosses de fougère »), à l’emploi de (in the employ of), déductible (« franchise », dans le domaine des assurances), détour (au sens de « déviation »), etc. ?


La sociolinguiste que le journaliste a interviewée déclare :

… presque chaque fois, l’emprunt est francisé immédiatement sur le plan grammatical et syntaxique. On dira : « J’ai “dealé”», « Une grosse beach », « Payer les bills » (sans prononciation du s). Ce processus se fait spontanément chez tous les locuteurs, peu importe leur niveau d’instruction. 


Cet argument détruit l’un des critères sur lesquels se base la dernière Politique de l’emprunt linguistique de l’OQLF, l’intégrabilité des emprunts au système linguistique du français. Si, « presque chaque fois, l’emprunt est francisé immédiatement », le critère d’intégrabilité mis de l’avant par l’Office ne peut servir de filtre à l’acceptation des anglicismes.


Je terminerai par la remarque la plus discutable de la sociolinguiste :

« Considérez une langue qui a beaucoup emprunté, comme l’anglais, dit Shana Poplack. Un tiers du vocabulaire anglais de base est d’origine française. Est-ce que c’est moins de l’anglais ? »


On dirait bien que, pendant ses études, elle n’a jamais eu à suivre un cours de vieil-anglais. On appelait autrefois cet état de langue Anglo-Saxon, ce qui montrait bien sa différence avec l’anglais actuel.


L'auteur, Henry Sweet, a inspiré en partie le personnage de Henry Higgins
dans le Pygmalion (My Fair Lady) de George Bernard Shaw

À la suite de la conquête normande, le vieil-anglais a beaucoup évolué, certains diraient qu’il s’est créolisé. Un anglophone d’aujourd’hui ne peut lire sans préparation un texte comme l’épopée médiévale Beowulf dont voici le début :

Hwæt! We Gardena in geardagum,
þeodcyninga, þrym gefrunon,
hu ða æþelingas ellen fremedon.


Traduction, si l’on peut dire, en anglais moderne:

LO, praise of the prowess of people-kings
of spear-armed Danes, in days long sped,
we have heard, and what honor the athelings won!


En comparaison, le français a moins évolué puisqu’un francophone scolarisé (bon, pas mal scolarisé) réussit à comprendre le sens du début de la Chanson de Roland :

Carles li reis, nostre emperere magnes,
Set anz tuz pleins ad estet en Espaigne :
Tresqu’en la mer cunquist la tere         altaigne.

Charles le roi, notre grand empereur,
Sept ans entiers est resté en Espagne :
Jusqu’à la mer, il a conquis la haute terre


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