… l’Europe dans sa totalité était devenue une province lointaine, vieillissante, dépressive et légèrement ridicule des États-Unis d’Amérique.
Michel Houellebecq, Anéantir, p. 603
Sur le site de France Info, on peut lire : « L'Académie française a adopté mardi 15 février un rapport dénonçant la confusion due à l'abondance d'anglicismes dans la communication institutionnelle, et le risque "d'une perte de repères linguistiques". »
Apparemment il y aurait une rumeur voulant que « le » secrétaire perpétuel de l’Académie songerait à proposer un fauteuil à Michel Houellebecq. Je serais étonné qu’il cédât à l’appel de cette sirène. S’il en était autrement, son dernier ouvrage le pourrait mettre en porte-à-faux avec le combat que l’Académie mène actuellement contre les anglicismes.
Regardons d’un peu plus près les anglicismes que Houellebecq utilise dans son dernier roman. Il y a d’abord des anglicismes connus depuis longtemps au Québec et qui se popularisent en France :
pour le fun (p. 279, p. 470), dispatcher (p. 282, sans ital.), le job (p. 404)
Il y a aussi des anglicismes qui résultent d’un effet de mode et sont probablement peu utilisés ailleurs que dans les cercles du pouvoir (sauf pour self) :
insight (p. 52, ital.), (un patient tout à fait) compliant (p. 76, ital.), (cabinet de) consulting (p. 122, p, 282, sans ital.), (un important) news magazine (p. 183, sans ital.), fake news (p. 188, ital.), gap (p. 189, ital.), (elle n’aurait pas accès au) self (p. 198, sans ital.), (la piscine d’un) resort (p. 221, sans ital.), (une sorte de) coach (p. 282, sans ital.)
À cette catégorie on peut aussi ajouter (certains sont courants et même devenus standard) :
sexy, gentrification, fan, meeting, tee-shirts, bagels, lobbies, glamour, bluffé, trip, jean, sweat-shirt, débriefer (sans ital.), jogging, string, loft, hooligan, beefsteak, VIP (reste à savoir comment ça se prononce…), finish, New Age, hard-rock (p. 450, sans ital.), shopping, minishorts, travelling, show, ubérisation, squatter, cool, tennis (chaussures), best-seller, clipser (il clipsa) (p. 663), mail, timing
Il y a tout un lot d’anglicismes qui me paraissent relever principalement du snobisme ou sont un effet de la mondialisation (comme wrap):
low cost, success story, (des paninis et des) wraps, (un élément nécessaire de la) story, (l’incroyable audience de son) talk, (un porno) soft, (les intellos) mainstream (p. 290, ital.), mug (de café) (p. 290, sans ital.), (vêtue d’un) body (p. 301, sans ital.), deep ecology (p. 376, ital.), (c’était vraiment) game over (p. 387, ital.), body (ce body lingerie) (p. 391), hardcore (p. 394, ital.), lol (p. 395, ital.), close combat (p. 396, sans ital.), (se connecta à un site d’) escorts (p. 398, sans ital.), social time (social time génial) (p. 405, sans ital.), look (sans ital.), funky (sans ital.), (recycler du) vintage (p. 409, sans ital.), punchy (p. 423, sans ital.), (ils sont) clean (p. 454, sans accord, sans ital.), flyers (p. 471, sans ital.), (une attitude assez) business (p. 514, ital.), (le disque dur de sa) box (p. 531, sans ital.), (on est dans le) mood (p. 554, sans ital.), (une) start-up (p. 575, sans ital.), pack (des packs de Bavaria), spin doctor (p. 584, ital.), caddies, escalator, (un petit espace) cosy (p. 657, sans ital.), mix (un bon mix) (p. 695, ital.)
Il y a d’autres anglicismes, dont plusieurs présents au Québec, qui parfois se traduisent difficilement quand ils désignent des phénomènes sociaux :
Black blocs (p. 72, ital.), boomers (ital.), baby-boomers (ital.), baby-boom (ital.), burger (sans ital.), hacker (sans ital.), nerds (p. 159, ital.), death metal (p. 383, sans ital.), hacking (p. 471, sans ital.), PET-scan (« en français on désignait ça sous le nom de ‘tomographie par émission de positons’ », p. 621)
Il me semble important d’ajouter que je ne reproche pas à Houellebecq son utilisation des anglicismes parce que, dans son roman, elle me semble justifiée. Houellebecq décrit le milieu des hauts fonctionnaires, des énarques, et son roman est le reflet de leurs tics langagiers, je dirais même de leurs tics sociaux, de leurs stratégies de distinction sociale pour faire un clin d’œil à Pierre Bourdieu. On pourrait peut-être soutenir qu’il fait une satire de leur langue.
Je note aussi que la féminisation a fait des progrès. Houellebecq écrit sans hésitation, et même à quelques reprises, la médecin-chef (et non cheffe, tout de même). On trouve aussi « une auteure australienne » (p. 656) (et non autrice).
Je signale en terminant deux fautes de français : « promenades en vélo » (p. 619) (à vélo). Et plusieurs fois, il fait suivre sans que de ne : « sans qu’elles ne puissent se traduire par… » (p. 144) (sans qu’elles puissent se traduire).