Réflexions sur la nouvelle politique de l’emprunt linguistique
de l’Office québécois de la langue française
Aujourd’hui,
j’aborderai ce que la politique de l’OQLF appelle la norme sociolinguistique et
même la norme de référence : « Un emprunt peut être un élément
d’enrichissement de la langue dans la mesure où […] il est reçu dans la norme
sociolinguistique (ou norme de référence)
du français au Québec » (p. 3). À la page 9, on écrit que
« chaque emprunt est évalué en fonction : […] de son adéquation à la
norme sociolinguistique du français au Québec (c’est-à-dire de sa légitimité
dans l’usage). »
L’appellation
de norme de référence est tout de même curieuse. Car la norme est la règle, le principe auquel on doit se référer pour juger ou
agir (cf. Trésor de la langue française informatisé). Parler de norme de référence, c’est, une fois de
plus, commettre une totologie (sauf
erreur de compte, la troisième dans le document : ça commence à ne pas
faire très sérieux).
Il est aussi curieux de constater que le document de l’Office
parle de la norme sociolinguistique du français au Québec, au singulier et sans
aucune autre précision. Norme sociolinguistique unique, définie par on ne sait
qui, en référence à on ne sait quel groupe. Car le Québec, comme toute société,
n’est pas homogène et les individus ont besoin d’affirmer leur identité à
l’intérieur de groupes plus réduits que la nation :
Ces groupes,
qu’il s’agisse de la classe sociale, de la région, du groupe ethnique, de la tranche
d’âge, etc., ont tendance à adopter des variétés non standard comme emblèmes de
la solidarité des individus qui les composent. Le prestige au sein du groupe
[...] est d’ailleurs lié à la capacité des locuteurs de tenir compte, non pas
des normes sociales propres à la société dans son ensemble, mais des normes de
la communauté restreinte à laquelle ils appartiennent[1].
Bref, dans
la vie réelle du langage, les locuteurs (pardon : les locutrices et les locuteurs, pour parler comme le document de l’OQLF)
se trouvent placés en présence de forces contradictoires : d’un côté des
normes sociales qui agissent dans l’ensemble de la communauté et qui tendent à
valoriser les usages standard ; d’un autre côté, des normes qui agissent
seulement au sein des sous-groupes et qui valorisent l’emploi de formes non
standard comme manifestation d’appartenance au sous-groupe.
On est en droit de se demander à quel
groupe social fait référence la norme sociolinguistique
du français au Québec mentionnée à de nombreuses reprises dans la Politique de l’emprunt linguistique. Ne
serait-ce pas la norme du groupe auquel appartiennent les terminologues de l’OQLF ?
* * *
Le
critère sociolinguistique 1.3 de la Politique
de l’emprunt linguistique est le suivant : « Légitimation de
l’emprunt dans l’usage, ou le fait qu’il soit reçu dans la norme
sociolinguistique du français au Québec, accepté par la majorité des locutrices
et des locuteurs d’une collectivité. » (p. 7)
Mais
ce critère est contredit dès la page suivante au paragraphe « Emprunts non
acceptés » : « mots, termes et expression dont l’emploi est
déconseillé par l’Office ou pour lesquels il émet des réserves, malgré leur
réception favorable dans l’usage » (p. 8).
Comprenons :
un anglicisme peut être reçu dans l’usage,
accepté par la majorité des locutrices et
des locuteurs, mais pas dans la norme
sociolinguistique du français au Québec. Il fallait y penser.
En
1990, dans Québec français, une
critique a écrit : « Il faut donc se rendre compte que certains
anglicismes sont, à l'OLF, plus acceptables que d'autres et que, malgré les
critères de sélection présentés dans l'énoncé de politique sur la question,
l'acceptation ou le rejet de certains mots semblent plutôt arbitraires. » Ce
jugement s’applique tout aussi bien à la Politique
de l’emprunt linguistique de 2017.
Source: Québec français 77 (1990), p. 86 |
[1]
R. Anthony Lodge, Le
français. Histoire d’un dialecte devenu langue, Paris, Fayard, 1997,
p. 44.
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