vendredi 1 septembre 2017

La démission de l'Office québécois de la langue française


Ce texte a été publié dans L’Aut’ Journal le 31 août :



Ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard que l’année où nous fêtons le quarantième anniversaire de l’adoption de la Charte de la langue française nous apprenons que l’Office québécois de la langue française a révisé le 31 janvier sa politique de filtrage des anglicismes admissibles dans le français du Québec. Cette révision, qui pourrait être symptomatique de nos rapports de plus en plus décompléxés face à l’anglais, s’est faite sans tambour ni trompette, car je n’ai rien lu ou vu à ce sujet dans les médias.

Dorénavant, l’Office acceptera les anglicismes non récents (de plus de 15 ans), généralisés et légitimés (légitimés par qui, on se le demande). Le critère principal d’acceptation est que l’anglicisme soit « implanté » et « généralisé » au Québec (s’il est généralisé, c’est qu’il est implanté : bel exemple de tautologie, inadmissible de la part de terminologues).

L’anglicisme sera donc accepté s’il est « non récent ». Le document nous apprend plus loin qu’un emprunt non récent est un « emprunt linguistique qui, au moment de son analyse, est en usage depuis plus d’une quinzaine d’années. » C’est le cas de la quasi-totalité des anglicismes répertoriés dans le dictionnaire des anglicismes de Colpron ou dans le Multidictionnaire.

L’énoncé de politique précise que l’emprunt doit aussi être « légitimé ». Qu’est-ce à dire ? À la page 25, on nous apprend qu’un emprunt légitimé est un « emprunt linguistique reçu dans la norme sociolinguistique d’une langue, accepté par la majorité des locutrices et des locuteurs d’une collectivité donnée. » La majorité des Québécois utilisent des anglicismes comme joke, à date, coconut, céduler, set de vaisselle, etc. : ils sont généralisés et implantés (sic) ainsi qu’utilisés par la grande majorité des Québécois depuis bien plus de 15 ans. Et si les mots ont un sens, les anglicismes qui apparaissent depuis des décennies dans des textes de loi et dans des textes normatifs (pensons aux conventions collectives) doivent donc être aussi considérés comme légitimés.

Le document de l’OQLF nous apprend l’existence de « la » norme sociolinguistique du français au Québec. On parle de cette norme au singulier. Norme sociolinguistique unique, définie par on ne sait qui, en référence à on ne sait quel groupe. Cela est une absurdité. Car le Québec, comme toute société, n’est pas homogène. Les sociolinguistes savent bien qu’il existe plus d’une norme dans une société. Selon sa classe sociale, sa région, son groupe ethnique, son âge, etc., on a tendance à adopter des variétés non standard comme emblèmes de solidarité. À cela s’opposent des normes sociales qui agissent dans l’ensemble de la communauté et qui tendent à valoriser les usages considérés comme standard. Dans les faits, la plupart des personnes alternent, à des degrés divers, entre formes standard et formes non standard selon leurs situations de communication.

L’énoncé de politique sur les emprunts précise que « la » norme sociolinguistique du français au Québec s’appelle aussi « norme de référence ». Cette appellation, norme de référence, est tout de même curieuse. Car la norme est la règle, le principe auquel on doit se référer pour juger ou agir. Parler de norme de référence, c’est, une fois de plus, commettre une tautologie, inadmissible sous la plume de terminologues.

L’Office d’aujourd’hui essaie de nous faire croire que les emprunts massifs à l’anglais n’ont touché que quelques secteurs d’activité. Or, l’anglicisation massive du vocabulaire a touché toute la société – à tel point qu’un ancien directeur de l’Office, Jean-Claude Corbeil, a dit que « l’action de l’Office [depuis ses débuts en 1961] a été une entreprise de décolonisation » (L’Actualité, avril 1989, p. 22). Comprenons que l’on met fin à cette entreprise de décolonisation.

On peut penser ce que l’on veut des emprunts et en particulier des anglicismes. Il est même légitime d’affirmer qu’ils enrichissent les langues emprunteuses. Mais le Québec a connu dans son histoire une vague d’emprunts massifs à l’anglais et le législateur a voulu y réagir. Et c’est pourquoi il a confié à l’Office québécois de la langue française le mandat de franciser le Québec et de déterminer quels mots anglais étaient acceptables dans la langue officielle. Il n’était sûrement pas dans son intention en 1977 de lui demander d’ouvrir les vannes à l’accueil des anglicismes.

À l’Office québécois de la langue française, l’ère de la décolonisation a pris fin. Commence maintenant l’ère de l’asservissement volontaire.

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