lundi 31 décembre 2018

Intervention d’Impératif français


Dans mon dernier billet de 2018, je me permets de reprendre le texte du président d’impératif français. M. Jean-Paul Perreault, paru dans Le Devoir de ce matin. À la suite de la dernière déclaration de la ministre responsable de la question linguistique, on peut espérer un sérieux coup de barre dans la promotion du français en 2019 et, pourquoi pas, aussi un bon coup de balai là où ça s’impose.


Oui, il faut beaucoup, beaucoup plus en matière de langue!

Impératif français offre son appui à la ministre de la Culture, Nathalie Roy, quant à son intention de faire respecter et de faire appliquer la Charte de la langue française, ou ce qu’il en reste, pour endiguer la défrancisation de l’affichage à Montréal et, nous l’espérons, aussi ailleurs au Québec. Mais il faut plus ! Beaucoup plus !
Au premier chef, le français langue de travail donne plutôt l’impression d’être une langue seconde. À peine 21,2 % des Montréalais travaillent uniquement en français. Au Québec, un travailleur sur huit est unilingue anglais, et de nombreux commerces de Montréal et de l’Outaouais, malgré la loi, persistent à imposer l’anglais en n’apprenant pas eux-mêmes le français ou en embauchant du personnel incapable de parler français, ou si peu.
Dès l’énoncé de ce premier problème, tout citoyen peut s’apercevoir que des changements profonds et pressants s’imposent dans la vision organisationnelle et la culture de cadres anglicisantes de l’OQLF. Pour bonifier sans plus attendre la Charte, il faut d’abord réinstaurer l’autonomie de cet organisme, notamment en révisant le mécanisme de nomination à sa présidence et en revalorisant l’outil citoyen de francisation, le recours aux plaintes. C’est ce dernier qui permet l’expression des revendications des citoyens. Il importe d’y faire disparaître sans attendre les insignifiances libérales du genre « lorsque la plainte relève de l’intérêt collectif et général, le plaignant n’est pas informé des actions posées par l’Office ».

Offre culturelle en français
La démarche globale de francisation exige que le nouveau gouvernement intervienne activement pour accroître la création et la diffusion culturelle en français. Voir et écouter les programmations de nos médias télévisuels et radiophoniques suffit à convaincre tout observateur objectif de l’avancement de l’anglicisation quand ce n’est pas l’américanisation des ondes. Certaines sociétés et boîtes de communication en sont rendues à produire et diffuser leurs messages publicitaires dans un environnement musical américain, montrant ainsi leur désintérêt pour nos artistes et notre culture. C’est blessant ! Pourtant, le Québec culturel regorge de talents. Nous invitons Mme Roy, qui est également ministre de la Culture et des Communications, à agir sur la colonisation des cerveaux et des préférences culturelles.
Maisons d’enseignement
Devons-nous encore rappeler que nos établissements d’enseignement postsecondaire participent eux-mêmes allègrement à l’anglicisation de la relève en imposant aux étudiants de plus en plus de parcours scolaires en anglais ? Nos établissements postsecondaires de « langue française » le sont de moins en moins. Ils ont pourtant toujours pour mission essentielle de former des diplômés qui, demain, au sein des entreprises privées ou ailleurs, auront à faire du français — et non de l’anglais — la langue normale et habituelle de travail.
Et puisque le français, en plus d’être langue nationale, est la langue de travail et la langue commune d’usage public au Québec, nous croyons qu’une politique efficace de francisation doit aussi repenser les programmes d’enseignement des écoles, cégeps et universités de langue anglaise. De sorte que tous les élèves et étudiants puissent y acquérir la maîtrise du français, ce qui leur permettra ainsi de leur ouvrir l’avenir, entre autres, de la Francophonie. Et non, faute d’avoir appris le français, de les voir réclamer l’anglicisation des services publics et privés pour accommoder leur unilinguisme ou, pire, quitter le Québec après avoir profité de nos impôts au cours de leur instruction.
Le gouvernement pourrait considérer sérieusement d’augmenter l’offre et la fréquentation des programmes d’immersion ou, mieux encore, d’encourager les parents anglophones à inscrire leurs enfants dans le réseau scolaire ou de garderies de langue française.
Rappelons un cas délirant d’anglomanie : le gouvernement du Québec va offrir, en 2020 en Outaouais, une région massivement francophone, une formation en médecine qui relèvera de l’université de langue anglaise McGill. Pis encore, celle-ci s’est empressée de délocaliser une partie du programme d’études de ce cursus en médecine obligeant les étudiants des Outaouais à suivre leur année préparatoire… en anglais, à McGill University.
De tels exemples scandaleux témoignent d’une aliénation politique totale. Or ils foisonnent au Québec ! Rappelons la déclaration de l’OQLF cautionnant l’intention d’Hydro-Québec de facturer en anglais « les clients » qui en font la demande ! Ces décisions gouvernementales soulèvent clairement des questions sur le rôle anglicisant de l’État national, et sur le rôle anglicisant de ses créatures publiques et parapubliques de tous les niveaux !
Mandat de l’OQLF
Nous voyons d’un bon oeil l’intention du gouvernement de repenser la vision gouvernementale sur l’immigration, laquelle représente nettement un enrichissement collectif dans la mesure où son intégration au Québec français est primordiale et réussie. Or nous sommes actuellement en face d’un échec lamentable, comme le confirmait le Rapport annuel 2017 de la vérificatrice générale.
Nous déplorons actuellement que l’OQLF n’ait toujours pas rempli son mandat, alors que l’article 160 de la Charte de la langue française l’exige pourtant clairement. Nous déplorons tout particulièrement qu’il n’ait pas produit un bilan quinquennal ayant « trait à l’usage et au statut de la langue française ainsi qu’aux comportements et attitudes des différents groupes linguistiques ». Dans l’hypothèse d’une intervention appropriée, il faut un bilan objectif de la situation !
Oui, Mme Roy, Impératif français est entièrement d’accord avec l’application de la Charte, mais il faut beaucoup, beaucoup plus, car il n’y a pas que l’affichage ou les raisons sociales qui sont en cause. Une politique linguistique « nationale » et surtout « transversale » s’impose impérativement après quinze ans de dérive libérale.



mercredi 26 décembre 2018

Le doublage des films américains


Dans le Devoir du 17 décembre 2018, M. Sylvio Leblanc a publié une lettre sur le doublage des films étrangers fait au Québec :

Doublage superfétatoire
J’ai vu La favorite (The Favourite) sur grand écran à Montréal, dans sa version merveilleusement doublée en France, bien qu’il soit prévu que le film de Yorgos Lanthimos ne sorte dans ce pays qu’en février 2019. Nous avons donc fait l’économie d’un doublage québécois. Je dis bravo !
Mais la triste réalité est que les doublages français sur nos écrans se font de plus en plus rares, pour la raison que les généreux crédits d’impôt mis en place par les libéraux favorisent le doublage québécois. Il n’était pourtant pas nécessaire de doubler ici Aquaman, Les animaux fantastiques : Les crimes de Grindelwald et Bohemian Rhapsody, pour ne donner que trois exemples récents, puisque ces films avaient déjà été doublés en France.
L’Association nationale des doubleurs professionnels, présidée par Joey Galimi, et les 12 (!) maisons de doublage québécoises qu’elle représente sont fort heureuses de la situation, mais les millions de dollars mal dépensés pourraient être si utiles ailleurs (dans la maison Boileau, par exemple, avant qu’elle ne soit détruite).

Dans l’édition du 24 décembre, M. André Racicot lui a donné la réplique :

M. Sylvio Le Blanc dénonce à tort le doublage des films et séries étrangères au Québec. Il y voit là un chevauchement inutile lorsque les productions ont déjà été doublées en France. Ce raisonnement ne tient pas. Le doublage est une industrie qui donne de l’emploi à des dizaines d’artistes de chez nous.
En outre, elle permet d’offrir des versions adaptées au français d’ici, alors que celles réalisées en France sont souvent insupportables. Imaginons Les Simpson doublée à Paris. Les versions québécoises nous épargnent aussi les prononciations grotesques franco-françaises de mots anglais, le ‑th anglais demeurant un profond mystère en terre d’Hexagone.


Je vous invite à lire les cinq commentaires de M. Leblanc sur ce dernier texte en cliquant ici (les commentaires apparaissent tout au bas de la page). Je crois bien qu’on trouve dans la discussion entre M. Racicot et M. Leblanc tous les arguments possibles et imaginables pour et contre les doublages faits au Québec.


samedi 22 décembre 2018

L’OQLF recadré/ 2


Dans le prolongement du recadrage de l’Office québécois de la langue française (OQLF) par la nouvelle ministre responsable de l’application de la Charte de la langue française, Le Devoir publie aujourd’hui la lettre d’une ancienne de l’Office, Monique Bisson :


Sur la bonne voie

Madame Nathalie Roy,
Vous êtes sur la bonne voie pour rétablir les paramètres d’application de la Charte de la langue française par un organisme comme l’Office québécois de la langue française qui ne peut prendre aucune position ferme s’il n’a pas l’assentiment et l’appui indéfectible de la ministre dont il relève. Nul ne peut nier qu’au cours des dernières années, le laxisme linguistique du gouvernement libéral a entraîné une perte de conscience linguistique non pas chez le personnel, mais chez les têtes dirigeantes de l’Office. Autrement dit, quand des études de l’Office essaient de nous faire croire que la conformité de l’affichage public est en recrudescence à Montréal, une fois que les dispositions réglementaires ont été assouplies, il faut lire les analyses de Jacques Maurais pour apprendre que rien n’est plus faux.
Évidemment, l’Office ne peut pas laver plus blanc que les ministres responsables de la Charte. C’est la raison pour laquelle, Madame la Ministre, votre sortie publique sur l’application même de la Charte de la langue française (qui n’a plus beaucoup à voir avec la loi 101 de 1977) revêt une importance capitale pour l’avenir du français au Québec, en terre d’Amérique et dans la francophonie.
Enfin, Madame la Ministre, puissiez-vous rappeler à la direction de l’Office que l’application d’une loi va bien au-delà du respect de la lettre de cette loi. En effet, une loi dont on ne sait pas respecter l’esprit perd toute son essence. Il en va ainsi lorsque l’Office triture les articles de la Charte, comme ce fut le cas au cours de la dernière année, pour avaliser la décision d’Hydro-Québec qui envoie, depuis janvier 2018, des factures unilingues anglaises à toutes les citoyennes et à tous les citoyens qui lui en font la demande.
Madame la Ministre, vous détenez les bonnes cartes et soyez assurée que la population du Québec vous suivra si vous prenez les mesures nécessaires pour faire appliquer et la lettre et l’esprit de la Charte de la langue française dans toutes les sphères socio-économiques, culturelles et politiques du Québec.


mercredi 19 décembre 2018

L’OQLF recadré


Le Devoir de ce matin nous apprend que la nouvelle ministre responsable de l’application de la Charte de la langue française, Mme Nathalie Roy, a rencontré mardi la direction de l’Office québécois de la langue française (OQLF) :

Mme Roy a rencontré les dirigeants de l’Office québécois de la langue française (OQLF, l’organisme chargé du respect de la Charte) pour communiquer ses « attentes ».
« Le français commence à s’effacer de l’espace public et il faut corriger ça. Je l’ai dit clairement [à l’OQLF]. Je m’attends à des actions concrètes, à ce que la loi soit appliquée » de façon plus soutenue.
Mais elle prévient aussi qu’elle ne veut pas revivre des épisodes comme celui du « pastagate » — l’OQLF avait lui-même qualifié d’« excès de zèle » le travail d’un de ses inspecteurs qui avait reproché la présence du mot « pasta » sur un menu de restaurant en 2013.
« Peut-on faire preuve de discernement et de bon jugement, s’il vous plaît ? demande-t-elle. Peut-on arrêter de s’insurger pour des insignifiances ? Ce n’est pas comme ça qu’on protège la langue française. Allons voir à l’extérieur si on peut lire le nom ou que les spéciaux sont écrits en français. Usons de discernement… Le gros bon sens ! C’est très important. »


Mme Roy a aussi déclaré : « Quand je me promène et que je vois dans différents quartiers des commerces qui affichent uniquement dans une autre langue que le français, il y a un sérieux problème. » Pourtant, ce n’est pas l’avis de l’OQLF. Rappelons que ce dernier a publié, à la veille du congé pascal 2018, une étude sur les langues dans l’affichage commercial à Montréal. Son président avait alors parlé des « progrès notables que cette étude nous révèle quant à la conformité de l’affichage public ». La conformité de l’affichage à la réglementation linguistique est en effet passée, de 2010 à 2017, de 72 % à près de 78 %, nous disait le communiqué du 28 avril. Il est vrai que, parmi les éléments pouvant expliquer cette hausse, il mentionnait au passage « les nouvelles dispositions réglementaires » qui avaient assoupli les règles.


Le Devoir ajoute que l’OQLF « n’a pas souhaité commenter la sortie de la ministre ».


Pour lire l’article complet du Devoir, cliquer ici.


lundi 17 décembre 2018

Les porteurs de sens


Dans sa livraison du week-end dernier, Le Devoir nous offrait un article sur le cuir végane, textile fabriqué à partir de fibres végétales et destiné à remplacer le cuir animal.


L’Office québécois de la langue française (OQLF) a décrété que le mot végane est fautif. Selon une porte-parole de l’organisme citée par Le Devoir, végane « n’est pas porteur de sens en français ». Il est pourtant déjà défini dans les dictionnaires Hachette, Robert et Larousse !


Dans sa dernière Politique de l’emprunt linguistique, l’OQLF nous avait appris que le mot selfie, utilisé quotidiennement par des millions de francophones, ne s’intègre pas au système linguistique du français. Comment ces personnes réussissent-elles donc à parler français avec des mots qu’ils ne sont pas capables d’intégrer dans leur langue ? Maintenant on nous fait savoir que le mot végane, peut-être moins fréquent que selfie mais qui doit tout de même être utilisé chaque jour par quelques miliers de personnes, n’est pas porteur de sens. Ces milliers de francophones parlent-ils donc pour ne rien dire ?


Le Larousse a aussi réussi à trouver un sens à un mot dérivé de végane, véganisme. Depuis 2015, le mot y est défini ainsi : « mode de vie alliant une alimentation exclusive par les végétaux (végétalisme) et le refus de consommer tout produit (vêtements, chaussures, cosmétiques, etc.) issu des animaux ou de leur exploitation. »


Le Dictionnaire des difficultés de la langue française de Tristan Grellet a sur végane un article fort instructif que je me permets de reproduire :

Ce nom et adjectif, récemment créé, apparaît fréquemment sous des graphies diverses.
Les principaux dictionnaires français offrent chacun une écriture différente de végane. Hachette a été le premier à faire entrer le mot dans son dictionnaire, en 2012, sous la forme végan, ane. Robert a suivi avec végane en 2014. Enfin Larousse, jusque-là prudent, ne s’est pas trop engagé en proposant l’année suivante végan, ane (comme Hachette) ainsi que vegan, invariable en nombre et en genre.
La graphie à l’anglaise vegan (prononcée à la française « végane » !) doit être écartée. La forme végan, ane, plus conforme à la langue de Molière, est satisfaisante, mais elle a l’inconvénient, au masculin, de ne pas correspondre à la prononciation adoptée par les véganes français. Comme le suggère l’entrée de cet article, c’est l’orthographe végane qui a notre préférence. Si elle n’est pas sans défaut (la francisation est paresseuse), elle a le mérite d’être épicène et d’avoir été choisie par la Société végane elle-même.



lundi 10 décembre 2018

Un dictionnaire à moitié habillé


Les anciens Canadiens sont souvent montrés sur des gravures en habits du pays, vêtus de laine tissée, les pieds protégés par des bottes sauves, couverts en hiver de leur capot de chat ou de leur bougrine. Du vêtement traditionnel, on fit un outil politique, par exemple lors des soulèvements de 1837-1838, alors que porter les étoffes du pays et la ceinture fléchée tient d’une volonté bien affirmée d’affirmer ses convictions. Loin de moi l’idée d’en revenir à la tuque d’un vieux de 1837, mais il n’en demeure pas moins que le vêtement, de tout temps, affirme une position, une condition. 
‑ Jean-François Nadeau, « Le paravent des vêtements », Le Devoir, 10 décembre 2018


L’article de Jean-François Nadeau me servira de prétexte pour jeter un coup d’œil rapide et partiel sur le traitement que réserve le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) à un aspect de la culture traditionnelle du Québec. Sur les cinq termes mentionnés par le journaliste, seuls deux apparaissent dans le GDT.

Terme
Traité par le GDT ?
Bottes sauves
Non
   bottes sauvages
Non
Capot de chat
Non
Bougrine
Non
Ceinture fléchée
Oui
Tuque
Oui

Je n’ai trouvé aucune attestation de bottes sauves. Il doit plutôt s’agir de bottes sauvages, terme très bien documenté dans notre ancienne littérature. L’abbé Casgrain écrit (Une excursion à l’Île-aux-Coudres, 1885) : « L'habillement des hommes consistait dans un gilet d'étoffe grise, un pantalon de toile du pays, et une paire de bottes sauvages, qui se rattachaient au jarret par une lanière ou babiche de peau d'anguille ou de marsouin » (cité dans le Trésor de la langue française au Québec). Dans un document de Louis Morin, on trouve l’explication suivante : « Voici comment se fabriquait une paire de bottes sauvages. On découpait, selon un modèle, un morceau de cuir dans le ‘coudrier’ pour faire le fond du soulier. Le ‘coudrier’ est la partie du dos de l'animal; c'est là que le cuir est le plus résistant. Puis on plissait le devant avec de la ‘babiche’ qui était une lisière de peau de mouton qu'on mouillait et qu'on roulait sur son genou pour en faire une corde » (cité d’après le TLFQ).


Voyons maintenant les deux termes traités par le GDT. Pour ceinture fléchée, terme qui n’a été traité qu’en 2013, nous avons droit à un article encyclopédique qui nous amène jusque chez les Métis de l’Ouest canadien. Quant à tuque, nous avons droit à deux fiches contradictoires : celle de l’Office, qui privilégie bien évidemment le québécisme tuque, et celle des Éditions Québec Amérique, qui ne mentionne que le terme bonnet :


  

J’ai souvent noté les lacunes du GDT en matière de néologie. Il semblerait que le traitement des termes québécois vieillis, qui n’est évidemment pas la priorité de l’OQLF, ne loge pas à meilleure enseigne.
________
* Louis Morin, Le calendrier folklorique de Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud, La Pocatière, La Société historique de la Côte-du-Sud, 1972, 148 p. (Coll. Cahiers d'Histoire, 5).


vendredi 7 décembre 2018

Le joual nouveau est arrivé


Jean-François Vallée, enseignant au cégep de La Pocatière, a publié cette semaine dans Le Devoir un texte sur la mode du franglais dans le monde des médias (« La FPJQ au pays du franglais ») : « J’ai été témoin, écrit-il, de ce qui arrive quand on tend l’oreille aux débats et aux échanges entre journalistes, à micro fermé, durant le Congrès annuel de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), du 23 au 25 novembre dernier : la langue de Shakespeare et de Pulitzer émaille leur discours, même si c’est à des degrés divers. »


J’ai appris une ou deux choses intéressantes en parcourant les commentaires des lecteurs publiés sur le site du journal. Ainsi, on ne parle plus de joual mais de horse : « le système médiatique est gangrené par le laxisme et la paresse intellectuelle associés au "nouveau Joual", le "Horse"», affirme un lecteur. La nouvelle appellation signifie probablement que nous avons franchi une nouvelle étape dans le processus d’anglicisation.


Grâce à ces commentaires, j’ai aussi appris que la mairesse de Montréal avait commis tout un discours en anglais, exception faite de deux ou trois mots français au début de son allocution. Je lui suggère qu’à l’avenir elle ne se présente plus en anglais comme « the mayoress of Montreal » mais plutôt comme « the mare of Montreal », ce qui irait parfaitement avec la nouvelle mode du horse.


Sur ce sujet, on peut aussi lire la chronique « La colonisée de Montréal » de Mathieu Bock-Côté.


dimanche 2 décembre 2018

Ваша Честь/ 2

Complément au billet du 26 novembre

Dans le film Качели, diffusé aujourd’hui sur Rossiya 1, on utilise de nouveau l’expression Ваша Честь (Votre Honneur). Cette fois, j’ai eu la présence d’esprit de faire une capture d’écran avec les sous-titres :



J’ai noté qu’on disait aussi господин судья « monsieur le juge ». Si Ваша Честь a tout l’air d’être un anglicisme, господин судья serait-il un gallicisme ?


En faisant quelques recherches sur Internet, je me suis rendu compte que les Russes eux-mêmes se posaient la question de savoir comment s’adresser à un juge : Как обращаться к судье (ваша честь, уважаемый суд, господин судья)? Как обращатся к судье ваша честь или уважаемый суд? Как обращаться к судье-женщине на суде? Уважаемая госпожа судья? Госпожа судья? Ваша честь? Un autre correspondant dit utiliser la formule гражданин судья (citoyen juge).


Selon un code de procédure (Арбитражный процессуальный кодекс Российской Федерации, art. 154 ; cf. aussi Гражданский процессуальный кодекс Российской Федерации, art. 158), on doit plutôt dire « Honoré Tribunal » :

 

Лица, участвующие в деле, и иные участники арбитражного процесса обращаются к арбитражному суду со словами: "Уважаемый суд!". 



jeudi 29 novembre 2018

Alt-right

 
Merci à Vieux Bandit de m'avoir communiqué cette caricature

Le journaliste Stéphane Baillargeon publie aujourd’hui dans Le Devoir son entrevue avec le philosophe américain Paul Gottfried, président et fondateur du Mencken Club. Il se définit comme paléoconservateur. Extraits :

Vous avez forgé le terme paléoconservateur (ou vieux conservateur) pour décrire votre philosophie politique. Vous avez aussi inventé le terme alt-right pour décrire une certaine nouvelle droite. Comment décrivez-vous le trumpisme ?
J’ai inventé ces concepts, c’est vrai. Je suis un paléoconservateur au sens où je milite pour un gouvernement restreint. Je m’oppose aux politiques de manipulation des citoyens. Je m’oppose aussi aux efforts de notre gouvernement de manipuler d’autres gouvernements. Les paléoconservateurs ne sont pas intéressés particulièrement par les questions d’identité ou par le multiculturalisme. La droite alternative est une coalition de différentes positions, y compris des groupes racistes et des trolls.


J’ai déjà mentionné le mot alt-right à quelques reprises dans ce blog. C’était un des dix mots de l’année choisis par l’équipe des dictionnaires Oxford en 2016 (« an ideological grouping associated with extreme conservative or reactionary viewpoints, characterized by a rejection of mainstream politics and by the use of online media to disseminate deliberately controversial content »).

Le mot n’a toujours pas été traité par l’équipe du Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). J’ai mentionné dans le billet précédent que l’Office s’était fixé l’objectif de produire 100 (cent !) nouvelles fiches terminologiques par année de 2018 à 2023. Je viens de leur en proposer deux : no-show (dans mon billet d'avant-hier : personne ne se présentant pas à son rendez-vous chez le médecin ou à l’hôpital) et alt-right.


mardi 27 novembre 2018

No show


En fouillant un dossier sur la santé en Outaouais, je suis tombé sur une réalité dont on parle peu et qui me désole profondément : le fléau des no-shows, ces patients qui ne se présentent pas à leur rendez-vous chez un médecin spécialiste.
[…]
Le plus ahurissant, c’est que près de la moitié des no-shows (43 %), peu importe la spécialité, sont des cas classés urgents. Des cas qui devraient être vus en 28 jours ou moins.
[…]
Mais le plus triste, c’est que si ce n’était des no-shows, la grande majorité des cas urgents de l’Outaouais pourraient être vus par un médecin spécialiste dans les délais prescrits par le ministère de la Santé.
« Si on retire les no-shows, on atteint les cibles en urologie, en orthopédie et en néphrologie », estime le Dr Monette.

Patrick Duquette, « Ces patients qui ne se présentent pas », Le Droit, 22 novembre 2018


À l’heure où la francophonie ontarienne doit une fois de plus monter au front pour défendre ses droits, il est pour le moins curieux de voir qu’un journaliste du quotidien français d’Ottawa utilise un anglicisme sans même se donner la peine de le mettre entre guillemets ou en italiques (sauf lorsqu’il rapporte les propos d’un médecin comme si ce dernier pouvait prononcer certains mots en italiques !).


On trouve bien deux fiches dans le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) lorsqu’on l’interroge sur no-show mais elles sont en fait des doublons :





Ces fiches ou plutôt cette fiche a été produite en 1978 par l’ancienne Association française de terminologie (AFTERM). J’ai voulu savoir si le terme avait été traité à date plus récente par l’une des commissions de terminologie de France. Voici ce que j’ai trouvé dans la banque FranceTerme :





Avec les résultats de FranceTerme, je suis retourné interroger le GDT et j’ai alors trouvé qu’il y avait bien une fiche « défaillant » traduisant no-show :




Ce n’est pas la première fois que je trouve dans le GDT une réponse à une question… parce que, justement, je connais la réponse. Car, on l’a vu, si l’on interroge le GDT sur no-show, on n’a pas la réponse défaillant.


La fiche du GDT et celle de FranceTerme telle qu’elle apparaît dans le GDT ont comme domaine « hébergement et tourisme, transport ». Dans la banque FranceTerme, on a « tourisme, transport et mobilité», ce qui revient au même. La banque Termium du Bureau de la traduction (Ottawa) a un contenu plus riche puisque ses fiches « no-show » couvrent en plus les domaines de la citoyenneté et immigration (« défaut de se présenter, défaut de comparaître ») et de l’instruction du personnel militaire et de l’informatique (« absent »).


Mais l’usage de l’anglicisme no-show est beaucoup plus large. C’est ainsi qu’il est fréquent dans le domaine de la restauration. Une page du site Internet de Radio-Canada parle d’ailleurs de réservations non honorées dans les restaurants. Et dans un document produit par un hôtel français on parle d’annulation sans préavis. No-show s’emploie aussi dans les sports comme en témoigne ce texte de L’Équipe (23 avril 2018) :

Tony Yoka, suspendu un an avec sursis pour trois "no-show", devra finalement s'expliquer le 20 juin devant l'agence française de lutte contre le dopage.
Suspendu un an avec sursis, depuis le 12 décembre, par la Fédération française de boxe pour trois défauts de localisation lors de contrôles anti-dopage, Tony Yoka va devoir s'expliquer devant l'AFLD (agence française de lutte contre le dopage). 


Le Larousse anglais-français peine à trouver un équivalent de no-show, aussi propose-t-il deux traductions qui sont plutôt des définitions et dont la seconde appartient à un domaine d’utilisation non mentionné par les banques de terminologie habituelles, le monde du spectacle :



Tous ces domaines d’utilisation de l’anglicisme no-show, hôpitaux, immigration, instruction militaire, informatique, lutte antidopage, monde du spectacle, d’autres sans doute, sont passés sous silence dans le GDT.


Dans son plan stratégique 2018-2023, l’OQLF s’est fixé l’objectif ambitieux (!?!) de traiter 100 nouveaux termes chaque année (il ne manque pas un zéro, il s’agit bien du nombre cent) :







Quand on sait que depuis des années une partie des ressources de l’OQLF est occupée à produire des dossiers de « désofficialisation » (c’est-à-dire dénormaliser des dizaines de termes déjà officialisés et publiés dans la Gazette officielle) – mais après tout, comme le savait Pénélope, faire et défaire c’est toujours travailler – on comprend que produire annuellement 100 nouvelles fiches terminologiques peut paraître audacieux, voire téméraire.


lundi 26 novembre 2018

Ваша Честь, Votre Honneur


L’influence des séries télévisées américaines se fait sentir un peu partout. J’ai lu quelque part qu’il arrive que, dans des tribunaux français, on s’adresse maintenant au juge en l’appelant « Votre Honneur ». Hier, dans un film de 2017 diffusé sur la chaîne Rossiya 1, les protagonistes appelaient le juge Ваша Честь. Il est vrai qu’un des témoins a utilisé l’expression camarade juge, vestige de l’époque soviétique. Mais Votre Honneur est peut-être maintenant d’usage standard, ma connaissance de la Russie actuelle ne me permet pas de le dire.


lundi 12 novembre 2018

Une errance terminologique de la Cour suprême du Canada


Le président-fondateur de l’Asulf (Association pour l’usage et le soutien de la langue française), le juge à la retraite Robert Auclair, a attiré mon attention sur un article du Devoir paru samedi dernier. Dans « Valeurs mobilières : la Cour suprême donne raison à Ottawa », le journaliste François Desjardins cite cet extrait de la décision de la Cour :

Nous tenons à souligner que notre avis consultatif ne porte que sur la constitutionnalité du régime coopératif, ont écrit les neuf juges dans une décision unanime. Il appartient aux provinces de décider s’il est dans leur intérêt d’y participer. Le présent avis consultatif ne prend pas en considération bon nombre des difficultés politiques et pratiques liées à ce régime coopératif, et particulièrement celles qui peuvent se présenter si une juridiction participante décide de se retirer à une date ultérieure.


Où va-t-on si le plus haut tribunal du pays n’est pas capable d’employer les mots avec le sens qu’ils ont en français standard ? Il aurait suffi à la Cour de consulter la banque de terminologie Termium du gouvernement fédéral pour apprendre que juridiction était un terme « à éviter » en ce sens. La Cour a préféré détourner la formule error communis facit ius en error communis facit normam, la faute commune crée la norme. Nul n’est censé ignorer la loi (nemo censetur ignorare legem) mais la Cour suprême peut ignorer la norme linguistique.


*   *   *

Voici ce qu’on trouve dans les Clefs du français pratique du Bureau de la traduction à Ottawa :

juridiction
Le nom juridiction est un calque de l’anglais jurisdiction à remplacer, selon le contexte, par :
compétence
autorité
ressort
Exemples
La gestion du site relève de la compétence de Parcs Canada. (et non : La gestion du site relève de la juridiction de Parcs Canada.)
La gestion du site est du ressort de Parcs Canada.
Il faut réserver l’emploi de juridiction au domaine de la justice, où il désigne non pas la compétence d’un tribunal, mais le tribunal lui-même, l’ensemble des tribunaux de même niveau et le pouvoir de juridiction que l’on confère à certaines personnes, aux tribunaux et à certains organismes de l’État.



mercredi 7 novembre 2018

L’État, ce n’est pas lui


Dans le Devoir de ce matin, les journalistes Isabelle Porter et Dave Noël signent un texte sur la découverte des restes d’une palissade érigée en 1693 et destinée à protéger l’ouest de la ville de Québec des attaques anglaises et iroquoises. Extraits de l’article : 

L’importance accordée par le premier ministre François Legault à la découverte d’un tronçon de l’enceinte fortifiée de 1693 a surpris plus d’un archéologue, mardi. […] L’archéologue Marcel Moussette, ne se souvient pas d’avoir reçu la visite d’un chef d’État sur l’un de ses chantiers.

De mémoire d’archéologue, la dernière fois qu’un premier ministre s’est présenté sur un chantier de fouilles, c’était en 2006, lors du passage de Jean Charest sur le site Cartier-Roberval de Cap-Rouge. Le chef d’État évoquait alors « l’un des épisodes fondateurs de la nation » en soulignant la valeur exceptionnelle de la colonie éphémère établie en 1541 par le navigateur Jacques Cartier et le seigneur de Roberval.


Il est tout de même étonnant de constater que des journalistes professionnels ne sont pas capables de faire la distinction entre le chef de l’État (la reine Élisabeth, représentée au Québec par un lieutenant-gouverneur) et le chef du gouvernement (le premier ministre).


mercredi 31 octobre 2018

Comment peut-on être féministe et justifier le port du voile?


La lecture de la chronique hebdomadaire de Francine Pelletier dans Le Devoir est devenue pour moi une corvée dont j’essaie de me dispenser de plus en plus en me contentant de la survoler. Mais, est-ce un fond de masochisme, je me suis tapé son prêche bobo de ce matin sur « La gauche et la laïcité ». Il y aurait tant à dire… Ainsi de la curieuse affirmation voulant que l’Arabie soit « un pays isolé de la planète » en fonction duquel il ne faudrait pas légiférer. Pourtant, depuis des décennies, l’Arabie finance des mosquées et des imams intégristes dans de nombreux pays occidentaux et en Afrique : c’est loin d’être un pays qui s’isole du reste de la planète.


Par ailleurs, Mme Pelletier n’est pas sans avoir de problèmes avec le français comme l’illustre la question qu’elle pose d’entrée de jeu : « Comment peut-on être féministe et défendre le voile ? » La formulation est pour le moins ambiguë puisque l’auteur ne propose pas d’interdire le port du voile mais en prend plutôt la défense.


Autre phrase mal écrite :

La tuerie à la synagogue de Pittsburgh est le dernier exemple de cette fracture qui, les insinuations malveillantes de Trump à propos des « criminels et des inconnus moyen-orientaux » aidant, s’opère de plus en plus entre les citoyens blancs de souche et les soi-disant envahisseurs. 


Les soi-disant envahisseurs ! Les migrants membres de la caravane qui se dirige actuellement vers la frontière américaine ne se définissent certainement pas comme envahisseurs, c’est la rhétorique de Trump qui les présente ainsi.


Sur cette utilisation incorrecte de soi-disant, je vous renvoie à un billet des correcteurs du Monde auquel vous aurez accès en cliquant ici.