lundi 9 septembre 2024

Anglicismes et lutte des classes


« Au Québec, les anglicismes font leur entrée avec les paysans, peu instruits, qui gagnent les villes et sont mis en contact avec l’anglais dans les usines, les manufactures et sur les chantiers de construction. Les anglicismes sont dès le départ associés ‘ à l’ignorance et à la pauvreté du prolétariat urbain ’. »


La citation mise en exergue provient d’une chronique publiée dans Le Devoir le 3 août 2024 et que j’ai brièvement critiquée le 5 août (cliquer ici).

Je trouve abusif qu’on impute aux classes populaires l’anglicisation du Québec. Historiquement, le peuple francisait (ou québécisait) les mots anglais : bécosse < back house, ouaguine < wagon, mitaine < meeting hall. C’était la façon de faire traditionnelle en français : paquebot < packet boat, boulingrin < bowling green, redingote < riding coat, etc. Et une célèbre chanteuse américaine voulait qu’on l’appelât Joséphine Baquère (ce dont n’a pas tenu compte Emmanuel Macron quand il l’a panthéonisée).

Et si la part la plus importante de l’anglicisation n’était pas venue plutôt de l’élite ? Et, pour reprendre un mot de la chroniqueuse, de l’« ignorance » de l’élite ?

Pour appuyer ce point de vue, voici quelques exemples tirés de l’étude de Wallace Schwab Les anglicismes dans le droit positif québécois (Conseil de la langue française, 1984). Certains de ces anglicismes sont disparus, d’autres sont encore courants : agir comme, allouance, application, assemblée spéciale, en autant que, aviseur légal, bureau chef, canceller, cédule, changement de venue, erreur cléricale, compléter une formule, corporation, à date, déductible (nom), département légal, en devoir, à l’effet que, à l’emploi de, item, occupation (emploi, profession), opérer (un commerce, etc.), opinion légale, payeur de taxes, rencontrer ses obligations, sur le comité, etc. Sans compter les latinismes passés par l’anglais comme sub poena ou affidavit.

On pourrait ajouter d’autres exemples à la liste de Schwab et qui ne proviennent clairement pas des milieux populaires : originer, dépendamment, payer une visite, etc. Ni les anglicismes qu’on trouve dans les conventions collectives et que le juge Robert Auclair n’a cessé de corriger : certification (accréditation syndicale), assignation (affectation), augmentation statutaire (avancement d’échelon), etc.

Tous ces anglicismes ont percolé dans les classes populaires, ils n’en montent pas.

Il faut en terminer avec « les paysans peu instruits » et « l’ignorance et la pauvreté du prolétariat urbain » comme source historique de l’anglicisation du Québec.

 

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