lundi 8 juin 2015

Glanures


Quelques glanures dans l’édition du 8 juin du Devoir.

Il n’est plus possible d’en douter : on vit une époque formidable ! Et depuis quelques jours, les Producteurs de lait du Québec en font joliment la démonstration avec leurs séries de publicités télévisées mettant en vedette des « foodies » d’ici pour faire la promotion des fromages d’ici. Un « foodie », c’est quoi ? C’est un gourmet — oui, oui, il y a un mot en français qui existe pour nommer la chose ! — qui prend un peu trop au sérieux son attachement à la gastronomie […].
Dans une des capsules publicitaires pilotées par les marchands de lait, on voit une jeune urbaine vanter toute l’extase qu’elle a à manger des fromages d’ici. Elle parle du fromage comme d’une composante de son « lifestyle » (!), entre deux bouchées de pâte molle, sur fond de vêtements mode suspendus sur des présentoirs dans un atelier. Des baies vitrées ouvrent sur la ville et ses possibles. Sans être plus ayatollah de la langue que l’ayatollah du français à Radio-Canada, elle aurait aussi pu être présentée comme une gastronome urbaine et évoquer son « style de vie » que ça aurait fonctionné pareil.
– Fabien Déglise, « Une époque formidable », Le Devoir, 8 juin 2015, p. A5


Il faut arrêter de dire que la norme du français au Québec se caractérise par le rejet des anglicismes. D’abord rappelons que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) est farci de calques et d’emprunts sémantiques : comptoir de cuisine (plan de travail), têtes-de-violon (crosses de fougère), détour (déviation), etc. Comme le texte de Fabien Déglise le montre, les Québécois ne sont pas immunisés contre la mode des anglicismes lexicaux qu’ils prennent plaisir à dénoncer chez les Français. En fait, ce dont peu de linguistes semblent avoir pris conscience, c’est que l’attitude normative des Québécois envers les anglicismes a changé depuis, en gros, un quart de siècle, comme le montre le graphique suivant tiré de mon enquête Les Québécois et la norme (2008) :



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Entre-temps, c’est la réputation d’une entière profession qui a été sévèrement écorchée.
– Patrick Lacroix, « Destruction programmée de l’idéal-médecin », Le Devoir, 8 juin 2015, p. A6

Cette courte citation illustre une fois de plus (j’en ai donné plusieurs exemples dans d’autres billets) l’antéposition de l’adjectif à l’imitation de l’anglais (la romaine patrouille, le Royal 22e Régiment). La présence du trait d’union dans « idéal-médecin » interdit de le considérer comme un cas d’antéposition de l’adjectif. Il doit plutôt s’agir d’une imitation du germanisme idéal-type (traduction littérale de l’allemand Idealtypus / Idealtyp), terme depuis longtemps accepté dans le vocabulaire de la sociologie.


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Démocrature : mot-valise formé à partir des termes « démocratie » et « dictature ». Il désigne des régimes politiques qui, tout en ayant au moins certains attributs de la démocratie, comme des élections pluripartites, n’en sont pas moins dirigés d’une façon autoritaire voire dictatoriale.

Ce mot a été forgé il y a plusieurs décennies, en espagnol, par le célèbre écrivain uruguayen Eduardo Galeano […].
– François Brousseau, « Démocratures », Le Devoir, 8 juin 2015, p. B1

Le mot démocrature est (évidemment) absent de la nomenclature du Grand Dictionnaire terminologique.

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La minorité catholique se sent à l’étroit dans ce pays divisé en deux, où elle est censée cohabiter avec les musulmans bosniaques dans le cadre de la fédération croato-musulmane, aux côtés de la Republika Srpska (République serbe).
Le pape a toutefois exhorté les catholiques bosniens à rester en Bosnie, en dépit du départ depuis les années 1990 de plus de 300 000 croyants (sur 800 000 avant la guerre).
 Olivier Baube et Calin Neacsu (Agence France-Presse), « Un ‘climat de guerre’ », Le Devoir, 8 juin 2015, p. B ?


Le GDT n’a pas de fiche anglaise « Bosnian ». Il n’a qu’une fiche française de 1995 « Bosniaque », « nom des habitants de la Bosnie-Herzégovine ». Ce n’est donc pas dans le GDT qu’on apprendra la différence entre bosnien et bosniaque. Wikipédia (article « Bosnien (homonyme) » donne l’explication suivante : « Les Bosniens […] sont les habitants (citoyens) de Bosnie-Herzégovine quelle que soit leur origine ethnique : Bosniaques, Serbes, Croates et les autres minorités de Bosnie-Herzégovine (Roms,...). » L’explication est plus détaillée sur le site Culture-générale.fr :

Avant que l’équipe de France ne se ridiculise une nouvelle fois en Bosnie-Herzegovine, il serait bon de rappeler à messieurs les commentateurs sportifs la différence entre une joueur bosnien et un joueur Bosniaque.
La Bosnie-Herzegovine est composée depuis 2001 de 3 grandes communautés religieuses : les Croates (catholiques), les Serbes (orthodoxes) et les Bosniaques (musulmans) mais tous les membres de cette communauté sont des habitants de la Bosnie-Herzégovine, dont le gentilé est « bosnien/bosnienne ». Il est donc naturel de parler de bosnien lorsque l’on désigne un joueur de l’équipe de Bosnie et non pas de bosniaque car cela reviendrait à le considérer comme membre d’une communauté religieuse.
Dans cette équipe il peut donc y avoir des Bosniens bosniaques et dans d’autres équipes il peut y avoir des Bosniaques non bosniens !



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