Texte publié dans l’édition
électronique du Soleil le 23 septembre :
En matière de promotion et d’enrichissement du français parlé et écrit
au Québec, le mandat confié à l’Office québécois de la langue française (OQLF)
par la Charte de la langue française se lit ainsi :
« L’Office
définit et conduit la politique québécoise en matière d’officialisation
linguistique, de terminologie ainsi que de francisation de l’Administration et
des entreprises. » (art. 159)
« L’Office
veille à ce que le français soit la langue normale et habituelle du travail,
des communications, du commerce et des affaires dans l’Administration et les
entreprises. » (art. 161)
« L’Office
peut assurer et informer l’Administration, les organismes parapublics, les entreprises,
les associations diverses et les personnes physiques en ce qui concerne la
correction et l’enrichissement de la langue française parlée et écrite au
Québec. » (art. 162)
En vertu de la mission qui lui confère la Charte de la langue
française, l’Office doit orienter l’usage du français parlé et écrit au Québec.
Une politique modifiée en
catimini
La nouvelle politique de l’emprunt linguistique a été adoptée par
l’OQLF le 31 janvier 2017 sans réelle consultation du milieu; elle n’a fait
l’objet d’aucun communiqué, d’aucune diffusion dans les médias. Elle a été discrètement
mise en ligne dans le site Internet de l’organisme sous l’onglet
« Politiques et guides ».
N’eût été la vigilance de Jacques Maurais, qui a dénoncé
l’assouplissement des nouveaux critères d’acceptabilité des emprunts dans son
excellent blogue Linguistique correct,
nous n’en aurions pas été informés. À titre d’ancien coordonnateur de la
recherche à l’OQLF, puis au Conseil supérieur de la langue française (CSLF), le
linguiste Jacques Maurais parle en connaissance de cause.
Voici ce qu’il écrit sous le titre de Démission de l’Office québécois de la langue française :
« […] le Québec a connu dans son histoire une vague
d’emprunts massifs à l’anglais et le législateur a voulu y réagir. Et c’est
pourquoi il a confié à l’Office québécois de la langue française le mandat de
franciser le Québec et de déterminer quels mots anglais étaient acceptables
dans la langue officielle. Il n’était sûrement pas dans son intention en 1977
de lui demander d’ouvrir les vannes à l’accueil des anglicismes. »
La politique de l’emprunt linguistique n’est pas destinée au grand
public, affirme Danielle Turcotte, directrice générale des services
linguistiques de l’OQLF. Si ce document est quelque peu technique, son
application concerne cependant toute la population. En effet, la diffusion des
termes acceptés dans Le Grand
Dictionnaire terminologique (GDT) influencera les diverses communications
de l’Administration et des entreprises, dont l’étiquetage des produits,
l’affichage commercial, les menus des restaurants, les sites Internet, pour ne
citer que ces exemples. Les millions de termes figurant dans le GDT touchent
tous les domaines d’activité.
Le traitement des emprunts à
l’anglais
Le traitement des anglicismes est une composante essentielle de la
mission de l’OQLF. La politique qui définit les critères d’acceptabilité des
emprunts linguistiques a d’abord été publiée en 1980, puis en 2007 et enfin en
janvier 2017. Dans le préambule de sa nouvelle politique, l’OQLF écrit :
« La langue et la dynamique sociolinguistique étant en évolution
constante, l’Office se doit de mettre sa politique à jour régulièrement afin
que ses objectifs en matière de traitement des emprunts soient le plus possible
au diapason de cette évolution. » La situation linguistique québécoise
a-t-elle progressé au point qu’il soit maintenant justifié d’assouplir les
critères d’acceptation des anglicismes? Poser la question, c’est y répondre.
Pâte à dents, démoniser et
papier sablé : une légitimation d’emplois familiers
Quand l’OQLF juge acceptable le calque de l’anglais pâte à dents sous prétexte qu’il s’agit
d’un calque non récent, généralisé, implanté, légitimé, et qu’il est intégrable
au système linguistique du français (critères d’acceptabilité des calques), il
ouvre la porte à quantité de traductions littérales d’expressions anglaises. Le
terme français dentifrice est courant
et figure sur tous les emballages de ce produit. Se fondant sur la fiche du GDT,
les entreprises de production et de distribution de ce produit pourront
désormais employer le terme pâte à dents
dans l’étiquetage, dans l’affichage de ce produit et dans les messages
publicitaires s’y rapportant.
Quand l’OQLF accepte le verbe *démoniser,
inspiré de l’anglais, alors que le verbe diaboliser
fait parfaitement l’affaire, le terme *papier
sablé, alors que les termes papier
abrasif ou papier de verre sont
employés, il en résulte un appauvrissement du vocabulaire et tout le contraire
d’un enrichissement des langues techniques.
La mission de l’organisme est d’assurer la définition et la diffusion
par le GDT des terminologies françaises des différents domaines d’emploi. À cet
égard, son rôle ne s’exerce pas dans tous les registres de langue : il se
limite aux registres de la langue technique courante ou soutenue. Il n’entre
pas dans les attributions de l’OQLF de décrire et de légitimer les emplois de
registre familier.
Nadine Vincent, professeure de linguistique à
l’Université de Sherbrooke, est également d’avis que « le rôle de l’Office
n’est pas de décrire l’usage, mais de l’orienter ». Effectivement, le
mandat qui est confié à l’OQLF par la Charte de la langue française est de
guider l’usage du français parlé et écrit au Québec.
En conclusion
La politique de l’emprunt linguistique adoptée par l’OQLF en 2017
constitue un recul évident, un retour à la case départ des années 60. Si l’on
avait appliqué les critères d’acceptabilité retenus dans la nouvelle politique
de l’emprunt linguistique, jamais nous n’aurions été en mesure d’entreprendre
et de réaliser les chantiers linguistiques menés par l’Office de la langue
française, depuis sa création en 1961 et surtout à compter de 1971, dans le but
de mettre en œuvre la volonté du premier ministre Robert Bourassa de faire du
français la langue de travail.
Jean-Claude Corbeil, directeur linguistique de l’Office de la langue française
de 1971 à 1977, sous-ministre adjoint responsable de la politique linguistique
de 1997 à 2000, secrétaire et membre de la Commission des États généraux sur la
situation et l'avenir de la langue française (Commission Larose) 2000-2001.
Marie-Éva de Villers, responsable de la terminologie de la gestion à l’Office
de la langue française de 1970 à 1980, auteure du Multidictionnaire de la langue française.