lundi 27 janvier 2020

Capillotraction ou…?

Image tirée du générique de la télésérie catalane Merli

Il y a dans Le Devoir un petit débat sur la féminisation des titres, auquel j’ai fait récemment écho dans deux billets (cliquer ici et ici). Il a commencé le 5 décembre 2019 par un texte de la «linguiste-chercheure » Céline Labrosse. Lui ont répondu Anne-Marie Pilote et Arnaud Montreuil le 13 janvier 2020. La linguiste-chercheure en a remis une couche le 23 janvier.

Je me contenterai de quelques remarques sur ce dernier texte.


D’abord, réglons le cas du féminin chercheure. À en juger par mes lectures, ce qui, je l’avoue, est un argument très impressionniste, la forme chercheuse semble maintenant plus populaire. C’est d’ailleurs la forme la plus conforme aux règles de la grammaire traditionnelle. Rappelons au passage que Rimbaud a écrit un poème qui s’intitule « Les chercheuses de poux » (aucun rapport avec la controverse actuelle, bien évidemment).



La linguiste-chercheure écrit que le suffixe –trice (dans autrice) est « en voie d’obsolescence ». Pour se convaincre du contraire on lira simplement un billet récent du blog « Carnet d’un linguiste » de Lionel Meney. Et on se demandera s’il y a beaucoup de personnes qui disent une acteure ou une bienfaiteure.


La linguiste-chercheure en a aussi contre les suffixes –esse et –eresse et elle donne comme preuves de leur obsolescence les formes danceresses (plutôt que danseresse !), chanteresses, jongleresses, administreresses qui n’ont existé qu’en moyen-français. Malheureusement pour elle, outre l’existence en français standard de plusieurs mots se terminant par ce suffixe (comtesse, abbesse, hôtesse, etc.), il y a en français québécois un mot très fréquent qui contredit sa thèse : mairesse. On se rappellera que c’est Andrée Boucher qui a réussi à imposer cette forme lorsqu’elle a été élue à la mairie de Sainte-Foy alors qu’une autre femme, élue à Sillery, tenait à se faire appeler maire. Aujourd’hui, on parle spontanément de Valérie Plante comme étant la mairesse de Montréal (je n’ai trouvé que 169 pages Internet où on a le syntagme « maire Valérie Plante » contre 19 100 pour « mairesse Valérie Plante »). Les Français finiront peut-être par voir l’utilité de la forme mairesse puisque, quand ils parlent de la maire de Lille, on ne sait jamais s’il s’agit de Martine Aubry ou de Mme Delisle.


jeudi 16 janvier 2020

Des féminins étonnants


On croyait que le Québec était à l’avant-garde de la féminisation de la langue française. Ce n’est plus le cas. La France l’a largement devancé.


Sur une liste de diffusion à laquelle je suis abonné on vient de me communiquer que « GLAD! Revue sur le langage, le genre, les sexualités débraye à son tour, et entre dans le mouvement de grève des revues. » Car, précise-t-on, « une revue en grève dégage du temps pour ses différent·es participant·es : la suspension des activités de recherche est un excellent outil pour permettre aux travailleureuses de l'ESR de libérer du temps pour s'engager et militer contre le sabotage des retraites. » On lit aussi : « Nous invitons les auteurices, les différent·es contributeurices et lecteurices de la revue à participer à la mobilisation en cours. »


mardi 14 janvier 2020

Marxisme et sociolinguistique


C’est avec bien du retard que je souligne le décès de Jean-Baptiste Marcellesi (1930-2019). Je l'ai rencontré une seule fois, à l’occasion d’un colloque de sociolinguistique qu’il avait organisé dans son université de Rouen en 1984. J’ai découvert un homme affable, ouvert à la discussion, loin du dogmatisme que son militantisme communiste aurait pu laisser supposer. Car communiste, il l’est resté toute sa vie depuis ses années de lycée, malgré le pacte germano-soviétique, malgré Budapest, malgré Prague. L’Humanité a d’ailleurs publié un article lors de son décès mentionnant que « ses travaux ont été au cœur des réflexions du PCF sur la question des langues régionales, et en particulier sur la langue corse dans un État unitaire ».


Avec Bernard Gardin, il est l’auteur de la première introduction à la sociolinguistique publiée en français (Introduction à la sociolinguistique, la linguistique sociale, Paris, Larousse, 1974, 260 p.)[1]. Dans cet ouvrage, plusieurs pages sont consacrées aux interventions de Staline dans le domaine de la linguistique*. Cela peut paraître étrange aujourd’hui. Mais le sociolinguiste américain Joshua Fishman, qu’on ne pouvait soupçonner de sympathies marxistes, craignait qu’après la chute du Mur de Berlin on accorde moins d’attention aux critiques néo-marxistes dans le domaine de l’aménagement linguistique[2].


Jean-Baptiste Marcellesi était d’origine corse. C’est la situation de la langue corse qui lui a inspiré le concept de langue polynomique :

D'après la définition du linguiste Marcellesi, on appelle polynomique une langue dont l'unité est abstraite et résulte d'un mouvement dialectique et non de la simple ossification d'une norme unique. Son existence est basée sur la décision massive de ceux qui la parlent de la considérer comme une, de lui donner un nom spécifique et de la déclarer autonome par rapport aux langues reconnues.
 Paul Colombani, « Polynomie », A viva voce


L’auteur de cette citation poursuit :

C'est donc une erreur de croire que la définition du corse comme langue polynomique représente une découverte scientifique. Il s'agit simplement d'une définition volontariste, pour ne pas dire d'une décision arbitraire de la part de certains linguistes. Eux le savent. Le problème est que dans le public beaucoup croient qu'il s'agit d'une réalité objective, qu'on a "découvert" une originalité du corse et une aspiration séculaire à une "libération" linguistique par rapport à l'italien qui n'a jamais existé, mais que l'on tente d'établir en torturant des textes et en cherchant d'improbables précédents.
[…]
la notion de langue polynomique n'est pas une réalité objective mais une affirmation volontariste (et dans le cas de la Corse la volonté populaire n'est pas éclairée par l'information nécessaire) qui induit en erreur parce que dans notre cas elle suggère l'idée d'une hétérogénéité par rapport à l'italien.


Tout cela n’est pas sans rappeler le débat entre les partisans d’une norme québécoise (endogénistes) et ceux du français dit international. Tout compte fait, j’aurais pu intituler mon billet « Marxisme et endogénisme ».





[1] On peut toutefois contester cette primauté de Marcellesi et Gardin. Marcel Cohen avait publié en 1956 Pour une sociologie du langage (Paris, Albin Michel). La seconde édition est parue chez Maspero en 1971 sous le titre Matériaux pour une sociologie du langage.
[2] Joshua A. Fishman, « Neo-marxist and post-structural critiques of ‘classical’ language planning » dans : J. Maurais et P. Martel, Langues et sociétés en contact (Mélanges Jean-Claude Corbeil), Tübingen, Niemeyer, 1994, pp. 41-47.
*   *   *
Note historique:
 «...l'intervention de Staline dans la Pravda en 1950 se fait en réaction aux positions prises par le linguiste Nicolas Marr (1865-1934) dont la notoriété fut d'abord liée à sa spécialité d'archéologue et de philologue du Caucase puis, à partir des années 1930 quand il devint vice-président de l'Académie de sciences de l'URSS, à sa théorie selon laquelle toutes les langues du monde dérivent d'un stock initial commun, et surtout à sa théorie selon laquelle « les différents « stades » du langage correspondent à des stades du développement des sociétés» (Andrée Tabouret-Keller, «Une lecture en 2008 de Pour une sociologie du langage (1956)», Langage et société 2009/2).

vendredi 10 janvier 2020

Auteure ou autrice / 2


Hier, l’animatrice de « Plus on est de fous, plus on lit » sur Radio-Canada Première, Marie-Louise Arseneault, a repris un segment d’une émission diffusée il y a quelques mois. On y discutait du féminin autrice qui, a-t-on dit, était de plus en plus utilisé depuis son approbation par l’Académie française en février 2019. N’ayant jamais entendu parler de cette officialisation, j’ai voulu vérifier dans le dictionnaire de l’Académie dont la 9e édition, toujours inachevée, est facilement accessible en ligne. Or, l’Académie y maintient sa position traditionnelle : auteur est un nom masculin, sans féminin. D’où peut bien venir alors la croyance que l’Académie a entériné la forme féminine autrice ? Apparemment d’une mauvaise lecture du rapport sur la féminisation que l’Académie a publié justement en février 2019 :

Un cas épineux est celui de la forme féminine du substantif « auteur ». Il existe ou il a existé des formes concurrentes, telles que « authoresse » ou « autoresse », « autrice » (assez faiblement usité) et plus souvent aujourd’hui « auteure ». On observera que l’on parle couramment de « créatrice » et de « réalisatrice » : or la notion d’« auteur » n’est pas moins abstraite que celle de « créateur » ou de « réalisateur ». « Autrice », dont la formation est plus satisfaisante, n’est pas complètement sorti de l’usage, et semble même connaître une certaine faveur, notamment dans le monde universitaire, assez rétif à adopter la forme « auteure ». Mais dans ce cas, le caractère tout à fait spécifique de la notion, qui enveloppe une grande part d’abstraction, peut justifier le maintien de la forme masculine, comme c’est le cas pour « poète » voire pour « médecin ». L’étude de ce cas illustre l’ancrage dans la langue des formes anciennes en « ‑trice », ce mode de féminisation ayant toujours la faveur de l’usage.


J’ai appris en écoutant l’émission de Marie-Louise Arseneault qu’un groupe de féministes s’opposait fermement à la forme autrice et qu’elles voulaient continuer de faire la promotion d’auteure, féminin qu’elles avaient réussi à imposer au Québec. Or, comme l’a montré Lionel Meney, auteure est en train de perdre du terrain face à autrice dont l’emploi a connu ce qu’il appelle une véritable explosion en 2019 tant au Québec qu’en France.


Il est pour le moins curieux que la simple rumeur d’une approbation par l’Académie française ait eu autant d’influence au Québec sur l’usage du féminin autrice. Cela n’est pas sans rappeler le sort réservé au mot sidatique, proposé dans les années 1980 par l’Office (pas encore québécois) de la langue française pour désigner une personne atteinte du virus du sida. Dès que l’Académie de médicine se fut prononcée en faveur de sidéen (en 1987, si je ne fais erreur), c’est ce mot qui s’imposa au Québec quasiment du jour au lendemain. Mais l’Office, qui ne s’avoue jamais vaincu, continue toujours de donner le synonyme sidatique dans son Grand Dictionnaire terminologique.


mardi 7 janvier 2020

Auteure ou autrice?


Voilà bien une quarantaine d’années qu’au Québec, au Canada, « une auteure » est entrée dans l’usage, au même titre d’ailleurs qu’une multitude d’autres formes en ‑(t)eure. Or, depuis peu, on côtoie aussi « une autrice » occasionnellement.
Céline Labrosse, « Une auteure ou une autrice ? », Le Devoir, 5 décembre 2019


Contrairement à ce qu’affirme la signataire (notez qu’en usant de ce mot je m’évite de choisir entre auteur, auteure et autrice) de ce texte, la forme autrice est de plus en plus fréquente. J’ai pu constater que, depuis environ un an, c’est à peu près la seule forme que l’on entend à l’émission « Plus on est de fous, plus on lit » animée par Marie-Louise Arsenault sur Radio-Canada Première. Lionel Meney vient de plus de montrer dans un billet de son blog Carnet d’un linguiste (« La spectaculaire montée en puissance d’autrice ») que ce féminin est depuis peu en forte progression tant au Québec qu’en France.


Quand j’ai vu que les commentaires publiés sur le site Internet du Devoir étaient largement des propos de Café du commerce, je me suis abstenu de me jeter dans cette mêlée. Je me contenterai aujourd’hui de faire quelques brèves remarques.


La signataire (ou auteur, ou auteure, ou autrice), qui rappelle qu’elle est linguiste, n’aime pas la forme autrice :

La forme régulière serait, soutient-on également, « autrice ». Cette avenue n’est pas prometteuse pour les dédoublements des noms masculins en ‑teur, compte tenu de l’origine latine de certains mots, de la dérivation de verbes français des uns, ainsi que des noms de même famille des autres, sans compter les exceptions.


Rappelons une notion élémentaire de la linguistique qui remonte aux travaux du Cercle linguistique de Prague dans les années 1930 : celle de paire minimale. Appliquons-la au cas présent : autrice et actrice constituent une paire minimale, seule une lettre (ou, plus techniquement, un phonème) les différencie. Aucun francophone n’aurait l’idée de parler d’une acteure. D’emblée, on parle d’une actrice. Pourquoi ne pourrait-on pas dire une autrice ?


Autre citation qui méritera un bref commentaire :

En 2000, la Chancellerie fédérale suisse publiait le Guide de formulation non sexiste des textes administratifs et législatifs de la Confédération, dans lequel figurent des noms féminins se rapprochant des formes masculines : « une auteur, une chef, une ingénieur », notamment. En revanche, l’année suivante, un Guide romand d’aide à la rédaction administrative et législative épicène apparaît, édité par État [sans article !] de Genève, lequel retient cette fois des titres féminins ostentatoires : « autrice, chauffeuse, cheffe, consulesse, employeuse, investisseuse, pastoresse, précurseuse, prédécesseuse, successeuse », etc. Par ce choix de visibilité absolue, cette publication fait cavalière seule [!] parmi les écrits européens dans le domaine.


Le Guide romand a au moins le mérite d’assumer sa position idéologique. On m’a raconté que la principale responsable de cette publication voulait promouvoir à dessein des formes les plus éloignées du masculin, p.ex. cheffesse plutôt que cheffe. Pourquoi pas ? Et adoptons alors la position récente de l’Académie française en cette matière : que l’usage décide.


Notons au passage dans la dernière citation la féminisation curieuse d’une locution figée, faire cavalière seule. Est-ce de l’ironie ? Si oui, c’est l’occasion de rappeler que le français manque cruellement d’un signe de ponctuation, le point d’ironie.


La signataire (ou auteur, ou auteure, ou autrice) affirme aussi que « l’OQLF importe de Genève le mot ‘ épicène ’, terme savant et opaque ». Ayant travaillé à l’Office, je puis affirmer que le mot y était connu et utilisé bien avant la date de publication du guide genevois. Il apparaît même dans le dictionnaire de l’Académie, dès l’édition de 1762. Or, le dictionnaire de l’Académie n’a pas la réputation d’accueillir facilement des termes techniques ou trop savants.


Dernière citation :

[…] en promulguant les féminins « camelote, commise, mannequine, substitute » et tutti quanti, toutes formes ignorées par l’usage à cette époque et depuis lors, l’OQLF fait fi des formes communes aux deux genres qu’il recommandait pourtant dès 1986 : « une camelot, une commis, une mannequin, une substitut », etc.


Je ne ferai qu’un commentaire d’ordre anecdotique. Il est beaucoup question de la grève à la SNCF depuis quelques semaines dans les journaux télévisés de France 2 relayés par TV5. Or, il y a quelques jours, j’ai entendu un syndicaliste parler de « cheminotes ». Ce genre de féminin est peut-être en train de faire son chemin dans les classes populaires.


Je m’arrête ici mais le débat est loin d’être clos. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire.