Dans l’édition d’aujourd’hui du Devoir, l’ancien journaliste Jean-Pierre
Proulx raconte sa découverte d’un usage peu connu de l’imparfait en français :
L’écrivaine Andrée Michaud a déclenché une tempête d’indignations avec
son texte « Alerte à l’imparfait », publié dans l’édition de samedi
dernier de ce journal. En commandant un café, raconte-t-elle, elle s’est fait
demander par un jeune homme : « Preniez-vous du lait ? » Et
ce n’était pas la première fois qu’elle était confrontée à ce curieux usage de
l’imparfait.
Je comprends parfaitement son
étonnement pour avoir vécu la même expérience. J’habite l’été dans le
Bas-Saint-Laurent. J’entre un jour chez ma coiffeuse de Trois-Pistoles. Elle me
demande, avant même de me faire asseoir dans sa chaise : « On les
lavait ? » C’était pourtant la première fois que je la voyais !
Quelques jours plus tard, à
Esprit-Saint (c’est dans l’arrière-pays de Saint-Fabien), le pompiste me
demande : « On le remplissait ? » Et encore, quelque temps
après, à Dégelis, le caissier du dépanneur où je me suis acheté un sac de
croustilles, m’interroge : « On prenait autre chose ? » Et
chaque fois, ce sont des jeunes qui ont utilisé cette forme de l’imparfait.
Pour Jean-Pierre Proulx, il s’agit tout
simplement de l’« imparfait forain » dont je traitais dans mon billet
d’hier, formulation devenue rare en français contemporain.
Reste à savoir comment un régionalisme a pu
s’implanter à Montréal où les conditions sociolinguistiques font que le
français est constamment soumis à la pression de l’anglais.
Une autre explication possible de l’apparition
de cet usage en français montréalais est l’influence de l’anglais où existe un
passé d’atténuation : « Did you need any
help, madam? – No, thanks. I’m just looking ».
Il n’est pas impossible de combiner les
deux solutions : cela rappellerait alors (sans y être tout à fait identique)
le cas de ce que Jean Darbelnet a appelé l’anglicisme de maintien : des
mots ou expressions jadis courants en français d’Europe mais depuis disparus ou
marginaux se sont maintenus en français québécois sous l’influence de l’anglais,
p.ex. canceller, à tout événement, marier
quelqu’un (au sens d’épouser), etc. Dans cette hypothèse, l’usage du Bas-Saint-Laurent
continuerait l’usage ancien. L’usage montréalais pourrait être soit un simple
calque de l’anglais, soit l’adoption d’un usage régional facilitée par l’influence
de cette langue.
Pour décider de l’explication la plus
plausible, nous ne disposons malheureusement pas de renseignements sur les
utilisateurs de cet imparfait forain à Montréal : leur âge, leur lieu de
naissance, leur degré d’instruction, etc., bref de variables sociolinguistiques
de base.