lundi 10 août 2020

La synchronie élastique



En feuilletant la biographie qu’Alain Rey a consacrée à Émile Littré, j’ai relu le passage suivant qui m’était complètement sorti de l’esprit : « …le Trésor de la langue française considère comme une ‘synchronie’ – pauvre Saussure ! – la période qui va de la fin du xviiie siècle à 1960 et après. »

Cette remarque apporte un éclairage d’importance sur Usito, Dictionnaire de la langue française – Le français vu du Québec, qui doit beaucoup au Trésor de la langue française tant dans sa nomenclature que dans ses définitions et la structure de ses articles.


On sait que les auteurs d’Usito « ont minimisé leur dette à l’égard du TLF [Trésor de la langue française] en déclarant n’avoir exploité que ‘certaines définitions’ du dictionnaire français (voir, sur le site d’USITO, la rubrique consacrée aux contributeurs à leur dictionnaire). Or, une comparaison des articles fait voir qu’USITO ne livre généralement pas une analyse originale du vocabulaire, surtout dans le cas des mots complexes, mais reprend les structures sémantiques du TLF ou du Petit Robert. » Claude Poirier ajoute plus loin : « Le français québécois a connu une évolution accélérée depuis les années 1960 ». De ce point de vue, le recours au TLF sans actualisation, même pour les mots communs avec le français de France, est un point faible d’Usito.


À la lumière de la citation d’Alain Rey, on comprend pourquoi Usito peine parfois à rendre compte de l’usage contemporain du français non seulement au Québec mais en général. Je m’en étais aperçu dès le début, à l’époque où le dictionnaire était connu sous le nom de Franqus. J’avais étudié quelques termes du vocabulaire religieux et je m’étais rendu compte que le dictionnaire sherbrookois donnait des définitions vieillies, antérieures au concile Vatican ii (1962-1965) : pour ne prendre qu’un exemple, pour Usito le diacre est un « clerc qui a reçu l'ordre du diaconat à titre transitoire (avant la prêtrise) » (ce qui est la définition textuelle du TLF). Le TLF a aussi la définition suivante, « par rapport à l’Église primitive » : « laïque qui exerce le diaconat à titre de fonction permanente ». La fonction de diacre permanent a été réactualisée à la suite de Vatican ii. On trouve dans le TLF, s.v. diaconat (« fonction ministérielle permanente) », cette citation qui aurait dû alerter les rédacteurs d’Usito : « Vatican II a décidé la restauration du diaconat en tant que fonction ». Selon un article de La Presse (20 avril 2014) « les diacres permanents sont apparus il y a à peine 40 ans, mais représentent déjà 20 % du personnel ordonné des diocèses, car le nombre de candidats au diaconat se maintient, alors que les séminaires se vident. Et cette proportion ne cesse d'augmenter ». Dans Usito, ni le syntagme diacre permanent ni le nouveau sens n'ont été enregistrés.


On ne juge pas un dictionnaire à partir d’un seul mot même s’il me semble que l’exemple choisi illustre bien les lacunes que peut entraîner le recours souvent systématique à un « trésor » dont la base documentaire est désormais vieillie. Je vous invite donc à lire mes autres critiques ainsi que celles de Claude Poirier et de Lionel Meney en cliquant ici. Pour un exemple que j'ai donné plus récemment d'ignorance des usages actuels du français québécois (déployer), cliquer ici.


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