« J’ai maquillé un porc », avait fini par avouer, en 2016, Tony Schwartz, le rédacteur fantôme des mémoires de Trump, regrettant amèrement d’avoir contribué à édifier son image.
— Jean-François Nadeau, « Le cochon », Le Devoir, 9 novembre 2020
Rédacteur fantôme, c’est la traduction littérale de ghost writer. Il y a quelques décennies, on l’aurait traduit par le « mot en n » (calque maladroit de « n-word ») auquel le Trésor de la langue française informatisé (TLFi) donne la définition suivante : « Auxiliaire qui prépare le travail de quelqu'un et en partic. personne anonyme qui rédige pour une personnalité, qui compose les ouvrages d'un auteur connu. »
Alexandre Dumas, lui-même né d’un père mulâtre, se serait fait aider d’un nègre au sens de prête-plume.
Le Larousse anglais-français en ligne donne les traductions suivantes de ghostwriter (en un seul mot) : prête-plume, nègre.
Aujourd’hui, cet écrivain à gages s’appelle plutôt une plume* (plus courant que prête-plume).
Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) a deux fiches « ghost writer ». Dans un cas (fiche de 2002), on ne donne comme équivalent français que auteur fantôme. Avec une seule note pour préciser que le terme s’écrit sans trait d’union. Le fait qu’il s’agit d’un calque a échappé au rédacteur de la fiche.
Un autre rédacteur a produit une seconde fiche sans apparemment se rendre compte que le terme était déjà traité dans le GDT et qu’il lui aurait suffi de récrire la première. Cette seconde fiche (de 2017) donne comme traduction privilégiée prête-plume mais ajoute les synonymes plume et écrivain(e) fantôme. On justifie ainsi ce dernier terme :
Le terme écrivain fantôme, calqué sur l'anglais, est acceptable parce qu'il s'inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec. En outre, il s'intègre bien au système linguistique du français, puisque fantôme, dans ce terme, a le sens de « qui n'est qu'en apparence ce qu'il devrait être ».
Toujours la norme sociolinguistique du Québec, argument que le GDT utilise à sa convenance, en particulier pour légitimer des calques. L’argument que l’écrivain fantôme « n'est qu'en apparence ce qu'il devrait être » est controuvé parce que, justement, même l’apparence qu’il travaille pour le compte d’un autre doit être cachée. C’est l’écrivain qui recourt aux services d’un prête-plume qui n’est qu’en apparence un écrivain.
Dans Usito, le mot nègre au sens qui nous intéresse ici renvoie à écrivain fantôme, expression qui n’apparaît pas à l’entrée « écrivain ». Les emplois de plume et de prête-plume pour désigner un rédacteur anonyme ne sont même pas signalés.
Au cours de mes recherches, j’ai découvert une anecdote curieuse : on s’est plaint qu’Usito avait utilisé l’expression raciste « travailler comme un nègre ». Selon Radio-Canada (4 juin 2020),
Après qu'une internaute lui ait reproché d'utiliser une expression raciste, l'Université de Sherbrooke a décidé de corriger son dictionnaire en ligne Usito.
Le comité éditorial s'est penché sur l'emploi de cette expression dans son dictionnaire après qu'une internaute l'ait souligné sur la page Facebook de l'Université de Sherbrooke.
Le comité a décidé de retirer l'expression « travailler comme un nègre » dans la définition du verbe « travailler » parce que « cette fiche ne présentait pas de remarque en ce qui a trait à la recevabilité linguistique en lien avec le mot nègre […] »
L’expression controversée est disparue de l’article « travailler » mais elle est toujours présente dans l’article « nègre » qui, toutefois, commence par la mise en garde suivante : « Le mot nègre prend parfois une dimension identitaire lorsqu'il est employé par les Noirs eux-mêmes; sinon, il est perçu comme fortement péjoratif, voire raciste ».
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* Ce qui peut porter à confusion avec un autre emploi du mot plume : « Celui, celle qui fait métier d'écrire, écrivain. Les meilleures plumes du temps se retrouvent dans cette revue » (Académie, 9e édition).
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