vendredi 17 mai 2019

Le grec du GDT /4


Parmi les fiches que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) vient de mettre en vedette sur sa page d’accueil, il y a « tephrochronologie ». Une note apporte la précision étymologique suivante :

Le terme tephrochronologie est formé à partir des éléments grecs tephra, qui signifie « cendre », khrônos, « temps » et logia, « étude ».


Le problème, c’est qu’en grec ancien λογία ne signifie pas « étude ». Le mot n’est d’ailleurs attesté que depuis l’époque du Nouveau Testament (et chez Hésychius, un grammairien tardif) et il n’a pas ce sens, comme l’indique Bailly :



Le Liddell & Scott ne dit pas autre chose :



D’ailleurs, quand on consulte un dictionnaire français-grec comme celui de Louis Feuillet, le mot λογία ne figure pas parmi les traductions possibles d’étude :




La confusion sur l’origine du suffixe –logie est déjà présente dans la version française du Wiktionnaire, source possible de la note du GDT : « via le latin -logia, du grec ancien ‑λογία, ‑logia ». Mais cette erreur est absente de la version espagnole (del griego antiguo λόγος). La version allemande du Wiktionnaire est la plus complète :

Zusammensetzung auslog- (von altgriechisch λόγος (lógos) (Rede, Wort, Vernunft, Überlegung, philosophischer Lehrsatz, (philosophische) Lehre)) und –ie (entlehnt aus altgriechischία).


En d’autres termes, le suffixe ‑logie est un calque de λόγος et du suffixe grec ‑ία, dont l’équivalent allemand est le suffixe ‑ie, comme en français.


Les auteurs de la fiche du GDT auraient été mieux avisés de nous expliquer comment, à partir du mot grec τέφρα, ας (dont le thème se termine en –a), on aboutit au composé tephrochronologie avec un o au lieu d’un a. Évidemment, l’erreur de composition a été faite en anglais.


lundi 6 mai 2019

Bientôt des crosses de fougère sur votre table


En furetant sur le site du quotidien de Québec Le Soleil, j’ai trouvé un texte de Larry Hodgson, « La fougère-légume » :

À travers le monde, il existe plus de 9000 espèces de fougère, mais seulement une espèce est couramment considérée comestible : la fougère à l’autruche (Matteuccia struthiopteris), une fougère bien de chez nous. Chaque printemps, des milliers de cueilleurs prennent les sous-bois d’assaut à la recherche de « têtes de violon » (crosses de fougère) pour la vente en épicerie. 


Le chroniqueur utilise le calque tête-de-violon dans la première phrase mais dans le reste de son texte il n’utilise que le terme crosse de fougère.


Crosse de fougère est le terme que l’Office québécois de la langue française a proposé pendant des décennies. C’était encore sa position dans le Lexique des légumes publié en 1992 et ce sera sa position jusqu’en 2008. Rappelons que ce lexique avait été élaboré par un comité comprenant un représentant du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec et un autre du ministère de l’Agriculture du Canada.


 Lexique des légumes (1992)
crosse de fougère

Terme à éviter : tête de violon

fiddlehead
Matteuccia struthiopteris;
Pteretis pensylvanica

Notes. 1. Le terme tête de violon est un calque du terme anglais fiddlehead. En français, la partie du violon à laquelle ressemble ce légume s'appelle crosse, mot également utilisé en botanique.

2. Les crosses de fougère sont les jeunes frondes de certaines de ces plantes qui se consomment comme légumes verts à l'époque de la préfoliation.



C’est crosse de fougère qui commençait à s’imposer dans la langue commerciale lorsque l’Office a changé de cap en 2008 : du jour au lendemain tête-de-violon n’est plus considéré comme un « terme à éviter » et devient synonyme de plein droit de crosse de fougère. Cette décision ayant suscité quelques réactions, on apporte en 2011 un changement cosmétique : tête-de-violon n’est plus synonyme mais « quasi-synonyme » et on lui accole la marque « langue courante ». Dans la fiche qu’on peut lire maintenant dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), on constate un nouveau petit pas en arrière : tête-de-violon n’est plus un quasi-synonyme mais un « terme utilisé dans certains contextes ». La fiche est toujours datée de 2011 même si on y a apporté cette modification.


Et l’Office a gardé sur sa fiche la remarque : « Dans l'étiquetage de produits commerciaux, l'usage n'est pas encore fixé entre crosse de fougère et tête-de-violon ». Évidemment que l’usage n’est pas fixé puisque l’Office s’est ravisé pour créer de la confusion et qu’il n’ose pas reconnaître son erreur de 2008.


Pour les gourmands, ce sera bientôt la saison des crosses de fougère. Mais on verra encore sûrement cette année beaucoup d’étiquettes portant l’inscription tête-de-violon puisque l’Office refuse de revenir à la mission fondamentale du GDT qui est d’indiquer le modèle à suivre, pas de faire de la description lexicographique : « en terminologie, il n’y a que le terme juste » (Diane Lamonde, Français québécois. La politisation du débat, Montréal, Del Busso, 2019, p. 159).

Parmi plusieurs billets sur le même thème, je vous suggère :
« Tête de crincrin » (lettre de l’OQLF et mes commentaires)