mardi 30 juin 2020

Jean Marcel, un an déjà


Jean Marcel (1941-2019)


Qu'est-ce donc, en définitive, que la langue française ? C'est ce par quoi j'exerce un droit à l'héritage non seulement de tout ce qui a été produit dans cette langue (ce qui n'est déjà pas mal, merci), mais aussi à l'essentiel de l'héritage de l'humanité qui y a été versé par contamination, contact ou traduction. Cela est immense. Cela est un empire qui couvre tous les âges de l'humanité historique et recouvre la quasi totalité des terres de la planète. Pourquoi m'en priverais-je ? Pourquoi me désisterais-je de cet héritage, l'un des plus riches que l'on puisse recevoir ?

  

* * *

Une démarche que Jean Marcel aurait sûrement approuvée :

Pour la conservation du nom de la station du Métro de Montréal Lionel-Groulx
Pour signer la pétition, cliquer ici ou aller à l'adresse suivante :
https://www.change.org/p/population-du-qu%C3%A9bec-pour-la-conservation-du-nom-de-la-station-du-m%C3%A9tro-de-montr%C3%A9al-lionel-groulx?pt=AVBldGl0aW9uAG4EYAEAAAAAXvs82eldvWw0OWIyNjZjZg%3D%3D&source_location=topic_page&use_react=false&expired_session=true



samedi 27 juin 2020

PAB ou aide-soignant?

Ce texte que j’avais envoyé à quelques quotidiens a été publié ce matin dans Le Soleil :

Le premier ministre du Québec a annoncé que le salaire annuel des préposés aux bénéficiaires serait dorénavant de 49 000 $. Pour bien marquer la volonté du gouvernement de hausser le statut des préposés aux bénéficiaires, la valorisation salariale pourrait s’accompagner d’un changement de dénomination : on devrait les appeler des aides-soignant(e)s, ce qui correspond davantage à leur travail et à l’importance qu’on veut leur donner.

L’appellation «préposé aux bénéficiaires» présente deux défauts. D’abord, le mot préposé fait trop référence au caractère subalterne du poste que l’on tente de valoriser. Ensuite, le mot bénéficiaire est on ne peut plus mal choisi. De quoi bénéficie-ton quand on paye 3000 $ et plus par mois et qu’on est laissé dans ses excréments, qu’on est mal nourri, mal hydraté, comme on en a eu des exemples dans certains de nos CHSLD depuis le début de la pandémie ?

Jusqu’à il y a un mois, le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française proposait l’appellation aide-soignant et déconseillait celle de préposé aux bénéficiaires. L’Office a fait volte-face et accepte le terme qu’il avait jusqu’à là déconseillé. Cette décision, qui maintient le statu quo, est malavisée et ne contribue pas à la volonté du gouvernement de valoriser une fonction essentielle.



vendredi 26 juin 2020

Fontaine, le GDT ne veut plus boire de ton eau


Dans mon billet du 10 octobre 2019, j’écrivais : « Au Québec, on traite donc les élèves comme du bétail, on les fait boire à des abreuvoirs. » Et j’ajoutais :

Dans une fiche de 1979 qui a échappé au rouleau compresseur de l’idéologie endogéniste qui le domine depuis une vingtaine d'années, le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) indique qu’abreuvoir est un « terme déconseillé ».




Eh bien, nous n’avons rien perdu pour attendre : le rouleau compresseur est passé par là depuis peu. Dans une fiche datée de 2020, le GDT nous annonce qu’abreuvoir, qualifié de terme de la langue courante, peut légitimement être utilisé « dans certains contextes ». On se demande pourquoi un dictionnaire terminologique, donc un dictionnaire en principe technique, persiste à vouloir s’occuper de la langue courante, c’est-à-dire familière.



À tomber par terre.




Voir aussi le billet « Mon abreuvoir au Canada »


mardi 23 juin 2020

Encore un changement de cap à l’OQLF


Jusqu’à tout récemment (c’était encore le cas le 17 mai), le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) affirmait que le terme « préposé aux bénéficiaires » était « déconseillé » :




Un mois plus tard, il est dans la liste des « termes privilégiés » :




Avions-nous vraiment besoin d’une preuve supplémentaire pour illustrer le dérapage de l’OQLF dénoncé par ses anciens terminologues ?

Déprimant.




Quant au dictionnaire en ligne Usito, qui se targue de décrire les usages québécois (et de les hiérarchiser, rien de moins !), il n’a toujours pas enregistré l’expression « préposé aux bénéficiaires » (pas plus qu’« aide-soignant » d’ailleurs).

Addendum du 11 septembre 2020
Usito n'a pas «préposé aux bénéficiaires» à l'entrée préposé mais le mot figure s.v. bénéficiaire:

Cliquer sur l'image pour l'agrandir



mercredi 17 juin 2020

Anglicisme rampant ou systémique?



Aux États-Unis, on interpelle, on arrête, on bat, on incarcère et, finalement, on tue les Noirs de façon éhontée. C’est un fait bien documenté. On peut en dire autant des Autochtones dans ce pays. Au cours des trois derniers mois, huit Autochtones ont été tués par la police canadienne.
— Francine Pelletier, « La théorie de la pomme pourrie », Le Devoir, 17 juin 2020


Dans la première phrase, la chroniqueuse parle des Noirs aux États-Unis et dans la deuxième elle ajoute qu’on peut en dire autant des Autochtones « dans ce pays ». Pour un francophone lambda, elle veut dire qu’on peut en dire autant des Autochtones aux États-Unis. Mais cette interprétation est contredite par la phrase suivante où on apprend qu’il s’agit des autochtones au Canada.


Comment expliquer cette maladresse ? C’est bien simple : encore une fois notre belle âme multiculturaliste pense en anglais. Quand on écrit « in this country », on veut dire le pays où l’on vit.


Mais cette anglicisation de la pensée et, par voie de conséquence de l’écriture, n’étonnera pas ceux qui se rappellent qu’elle a déjà écrit que Jacques Parizeau était « tombé sur son épée » («to fall on one’s sword»)…



vendredi 12 juin 2020

Le latin de l’OQLF


En furetant sur le site de l’Office québécois de la langue française (OQLF), je trouve sur la page « La course à l’exploit », consacrée au vocabulaire des Jeux olympiques, cette phrase : « ‘Plus haut, plus loin, plus fort’ » (en latin Citius, Altius, Fortius), telle est la devise des Jeux olympiques modernes ».


Comment a-t-on pu écrire pareille ânerie ?

Citius signifie « plus vite ». altius « plus haut » et fortius « plus fort ».



« Plus loin » se dit longius.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir


Sur le latin du Grand Dictionnaire terminologique (GDT), voir aussi « L’OQLF a perdu son latin » (la fiche a été corrigée la même année), « Le mot du jour du Soleil : rapt » et « Campivallensien »
Sur le grec du GDT : billet 1, billet 2, billet 3, billet 4



jeudi 11 juin 2020

Question de genre


Il y a quelques jours, en zappant, je suis tombé sur une chaîne d’info italienne où on parlait d’il COVID-19. Je ne sais pas si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a suggéré d’utiliser le mot au féminin en italien comme elle l’a fait pour le français. Après tout, disease (qui est le d de COVID) se traduit en italien par malattia, mot féminin. Même si on peut arriver à trouver des emplois du mot au féminin, le masculin semble plus fréquent en italien : « il virus che causa il Covid-19 » (La Repubblica, 3 juin 2020).


On sait qu’en espagnol, l’Académie royale suggère d’employer le mot plutôt au féminin.


En France, le masculin est de loin la forme la plus utilisée comme l’indique ce graphique tiré du site The Conversation :

Cliquer sur l'image pour l'agrandir

Ce qui est plus curieux, c’est d’apprendre, dans le même article, que le masculin et le féminin sont en forte concurrence au Québec :

Cliquer sur l'image pour l'agrandir



mercredi 10 juin 2020

Séparés par la même langue


La Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) a publié le 9 juin une lettre d’information (et non une newsletter comme si souvent en France) signalant que 17 nouveaux termes ont paru au Journal officiel le 23 mai 2020. Dans ce billet, je ne m’occuperai que des termes cités en exemple dans la lettre. On trouve tous ces termes officialisés dans la banque France Terme.


On propose de traduire « to spoil » par « divulgâcher ». Aucune indication sur la provenance du terme, on pourrait croire qu’il s’agit d’une création néologique de la DGLFLF. Cela dit, je suis malvenu de critiquer l’absence d’étymologie dans un répertoire terminologique car j’ai déjà écrit, à propos du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF), que ce n’était pas son rôle de faire de l’étymologie (cf. mes commentaires sur le mot « vidanges » que le GDT tente de légitimer en invoquant un dictionnaire de l’Académie française publié au xviiie siècle). Je profite de l’occasion pour vous suggérer la lecture d’un billet de mon ami Robert Chaudenson sur un cas analogue, celui du mot courriel, dans lequel il s’attaque à « la sotte prétention des Français à tout régenter, seuls et de façon exclusive, dans la langue française. »


Lisons la définition que donne de divulgâcher le GDT (fiche de 2016) :

Divulguer prématurément un élément clé de l'intrigue d'une œuvre de fiction, gâchant l'effet de surprise ou le plaisir de la découverte.  


Et comparons-la avec celle de France Terme :

Gâcher l’effet de surprise chez le lecteur ou le spectateur en dévoilant tout ou partie de l’intrigue d’une œuvre de fiction.


On voit tout de suite la supériorité de cette dernière : l’élément sémantique essentiel du terme est le fait de gâcher, pas celui de divulguer. Souhaitons que l’Office réécrive sa définition.


France Terme a refait sa fiche « podcast ». Maintenant on propose comme traduction « audio » (« contenu audio mis à la disposition du public dans l’internet ») qui remplace l’ancienne traduction « diffusion pour baladeur » (2006). Dans un cas comme dans l’autre, on ne retient pas la proposition québécoise « baladodiffusion », on ne la mentionne même pas.


France Terme propose « démineur éditorial » pour traduire « sensitivity reader » (« personne chargée dans une maison d’édition d’identifier avant publication les termes et les contenus susceptibles d’être considérés comme choquants ou offensants par certains lecteurs »). Ce terme anglais n’a pas encore été traité par l’équipe du GDT.


J’ai gardé le meilleur pour la fin : la fiche « chick lit » (lit pour literature). Ce terme anglais désigne une « catégorie de roman qui met en scène avec humour et dérision une jeune citadine d’aujourd’hui ». Le mot anglais familier chick, parfois offensant, désigne une jeune fille ou une femme. France Terme traduit « chick lit » par « romance urbaine », ce qui ne me semble pas la trouvaille du siècle. Mais le GDT se surpasse en proposant « littérature aigre-douce »! Faut le faire, n’est-ce pas ? Pourtant, les pistes de solution ne manquent pas en français : littérature ou romans de gare (ce qui aurait pu donner romance de gare), romans pour midinettes, littérature de nanas (plus proche du sens familier anglais), romans de/ pour filles, etc.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir

Réaction de l'animatrice de télévision et de radio Marie-France Bazzo: