mardi 19 avril 2016

La multiplication des fiches et la désorientation des usagers


Comme équivalent de ce que l’anglais appelle literacy, le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) propose trois équivalents :




Les trois fiches ont été produites par trois organismes différents : ministère de l’Éducation du Québec, Office québécois de la langue française et Commission générale de terminologie et de néologie de France. Comme cela est fréquemment le cas, il n’y a pas d’harmonisation entre la proposition française et la proposition québécoise. Dans ces choix, la mauvaise volonté et la mauvaise foi ne sont pas l’apanage d’une seule partie. Pour ce qui est de la France, mon ami Robert Chaudenson en a déjà donné des exemples (cf., entre autres, son blog de Mediapart et son livre Vers une autre idée et pour une autre politique de la langue française, Paris, L’Harmattan, 2006). Quant au Québec, contentons-nous aujourd’hui de constater qu’il ne parvient pas à harmoniser, dans le cas qui nous occupe, la proposition du ministère de l’Éducation avec celle de l’Office.


La fiche produite par le ministère de l’Éducation contient une fausseté : « Au Québec, le terme alphabétisme est plus répandu que littératie. » Dans les pages françaises répertoriées au Canada par Google, on trouve 12 600 attestations d’alphabétisme contre 109 000 pour littératie et 5 530 pour littéracie.

Ce qui m’a amené à faire cette recherche rapide sur le mot littératie, c’est cette phrase du Devoir de ce matin : « Depuis quelque temps, des voix s’élèvent pour réclamer l’enseignement généralisé du code informatique. […] Ce serait une compétence aussi fondamentale que savoir lire et écrire (littératie), ou savoir compter et effectuer des opérations arithmétiques de base (numératie). » Comme équivalent de numeracy, le Québec et la France ne s’entendent pas non plus sur le mot à privilégier :




jeudi 14 avril 2016

Tout ça pour ça


On apprend par Le Devoir de ce matin que le gouvernement Couillard cède aux entreprises étrangères qui n’auront pas à franciser leurs marques de commerce :


Les grandes chaînes multinationales tout comme les commerces locaux pourront continuer à afficher leur marque de commerce en anglais seulement.

Le gouvernement Couillard, qui doit publier sous peu un règlement sur l’affichage commercial, évitera de toucher aux marques de commerce anglaises. Les entreprises ne seront pas tenues d’y apposer un descriptif, ou encore un slogan, en français.
[…]
L’an dernier, la Cour d’appel du Québec avait confirmé un jugement de première instance qui statuait que la Charte de la langue française, à défaut de changements apportés à la loi 101, ne permettait pas à l’Office québécois de la langue française (OQLF) de forcer des détaillants à ajouter des descriptifs en français à leur marque anglaise. Best Buy, Costco Wholesale, Curves, Guess, Gap, Old Navy, Toys « R » Us et Walmart avaient eu gain de cause.
– Robert Dutrisac, “Le gouvernement Couillard cède devant les entreprises étrangères », Le Devoir, 14 avril 2016
  

Il était évident qu’on finirait par en arriver là. En 2011, l’Office québécois de la langue française (OQLF) avait entrepris une campagne de publicité pour faire croire que les entreprises devaient franciser leurs marques de commerce ou y ajouter un descriptif français. J’ai écrit plusieurs billets sur le sujet pour rappeler l’avis du Conseil (pas encore supérieur à ce moment) de la langue française rendu public en 2000. Une marque de commerce est protégée par des lois et surtout par des accords internationaux. Je rappelle cet extrait de l’avis du Conseil :

L'irritation que suscite l'affichage de nombreuses marques de commerce libellées en anglais ne se manifeste pas seulement dans les sociétés de culture française; elle s'est exprimée ailleurs dans le monde, comme, récemment, en Chine et en Allemagne. Cependant, il est utile de signaler que la protection juridique internationale des marques de commerce s'applique indépendamment de la langue; rappelons l'exemple du Cirque du Soleil qui peut s'afficher sous son nom français aux États-Unis et dans d'autres pays, sans que les États en cause puissent exiger la traduction de son nom d'entreprise.

Le Conseil juge difficile de remettre en question un processus juridique mondial qui a débuté il y a plus de cent ans.



Depuis 2000, on sait dans « les hauteurs de l'État » (pour parler comme l’Académie française) qu’il n’y a à peu près rien à faire pour imposer la francisation des marques de commerce si ce n’est par des incitations. À moins de convaincre d’autres pays de lancer un processus de révision des accords sur les marques de commerce, piste que proposait le Conseil et que le gouvernement ne semble même pas avoir envisagé de suivre. Comble de la manipulation politicienne, depuis 2011 le gouvernement a fait croire à la population qu’il allait contraindre les entreprises à traduire leurs marques ou à les faire accompagner d’une description en français. Encore un écran de fumée pour cacher l’inaction.


Sur ce thème, voir aussi les billets suivants :


mercredi 13 avril 2016

Usito et l’usage québécois


Dernière livraison de l’Infolettre Usito. Encore une fois, pas besoin de chercher bien loin pour y trouver du grain à moudre. Prenons la page « Les Belges, les Suisses et nous ». On y parle de la locution latine alma mater qui, selon Usito, désigne au Québec un « établissement d’enseignement postsecondaire où on a fait ses études ». Usito ajoute que « cet emploi est en usage dans d'autres aires de la francophonie, notamment en Suisse et en Belgique, pour désigner l'université où on a fait ses études, il est également en usage dans les pays anglo-saxons et germaniques. »


Le dictionnaire en ligne Usito se vante de rendre compte de l’usage québécois qu’il connaît pourtant bien mal. Alma mater s’est utilisé et continue de s’utiliser au Québec pour désigner non pas uniquement les universités mais aussi les anciens collèges classiques. Dans le fichier du Trésor de la langue française au Québec, on trouve un article de La Presse en date du 14 janvier 1930, où on lit : « Une réunion d’anciennes à Villa-Maria. La fête de Marguerite Bourgeoys rappelle les anciennes élèves à l’Alma Mater ». Dans le Dictionnaire biographique du Canada en ligne (entrée « Joseph Michaud »), je trouve : « Ce n’est toutefois pas avant l’âge de 16 ans qu’il entre au collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière. L’abbé Thomas-Benjamin Pelletier, préfet des études, l’initie aux sciences, au dessin et à l’architecture. En 1846, à la fin de ses études classiques, Michaud enseigne en classe préparatoire à son alma mater. » L’abbé François Gagnon a écrit en 1976 L’Alma Mater. Collège Sainte-Anne de La Pocatière. Ces exemples pourraient être multipliés et montrent bien que la définition donnée par Usito est fausse.


L’expression alma mater continue d’être utilisée de nos jours. Je trouve sur le site du Collège Brébeuf de Montréal : « J’appuie mon Alma Mater ». Dans L’Actualité du 22 février 2012, je lis : « Tout en haut, fondé en 1663 par Mgr de Laval, le Petit Séminaire, alma mater de plusieurs premiers ministres, nous apparaît dans toute sa blancheur. » Et sur la page Facebook du Collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (mon alma mater à moi) : « Notre plus ancien fils de Sainte-Anne, le père Benoît Lacroix du 104e cours est décédé cette nuit à l'âge vénérable de 100 ans. Quel grand homme généreux et sympathique ! Très attaché et fidèle à son Alma Mater, lorsque nous communiquions avec lui et que nous lui disions qu'on était du Collège de Sainte-Anne, il nous répondait : vous avez dit Sainte-Anne, vous avez tout dit. »


La syntaxe d’Usito

Dans la même page de l’Infolettre Usito :

Ces situations particulières expliquent que plusieurs emplois soient partagés par des aires francophones européennes et nord-américaines, mais soient absents ou moins fréquents en France. 


Sans commentaire.


mardi 12 avril 2016

La servitude volontaire


Je suis abonné à une liste d’informations pour les chercheurs en sociolinguistique. J’ai récemment reçu le message suivant :

Nous avons le plaisir de vous inviter au workshop interdisciplinaire et international intitulé "Mobilités discursives, circulations et projets migratoires dans le pourtour méditerranéen" que nous organisons du 12 au 14 avril 2016, à l'Université Abou Bakr Belkaïd de Tlemcen, en Algérie. […] Ce workshop se déroulera dans le cadre du projet de recherche, etc.


Comme on le voit, on aurait tort de considérer que la France est le seul pays où les élites souffrent d’anglomanie.

En France, le mot workshop a fait l’objet de deux décisions publiées au Journal officiel :





lundi 11 avril 2016

Aréna, mot anglais mais aussi français, russe et espagnol


En regardant la télévision russe, je vois une publicité du championnat du monde de hockey contenant le mot aréna :




Le 8 décembre dernier, j’avais mis en ligne un billet– Un match dans un(e) aréna – dans lequel je notais que le mot aréna, attesté dans le français du Québec depuis plus d’un siècle, commençait à se montrer le bout du nez en français de France. Aujourd’hui, je découvre qu’il est déjà fréquent en russe : « Арена — место проведения спортивных соревнований  (из лат. arena «песок, песчаная площадка для борьбы») » (Wikipédia).


On lui attribue faussement une origine latine alors que le sens actuel du mot, tant en français qu’en russe, vient en fait de l’anglais.


Dans l’espagnol mexicain, le mot arena a deux sens : « 1) Lugar en el que se llevan a cabo los combates de box o de lucha ; 2) Ruedo en el que tiene lugar la lidia de toros » (Diccionario del español de México en ligne). Le dictionnaire de la Real Academia Española ne retient que le dernier sens: « Ruedo de la plaza de toros », qui correspond au français arène. On voit que l'espagnol du Mexique a subi l'influence de l'anglais américain.


Il y a de moins en moins de raisons de critiquer l’emploi en français d’un mot devenu international.


samedi 9 avril 2016

Le mot du jour du Soleil : rapt


En consultant l’édition en ligne du Soleil le 9 avril 2016, je trouve tout en bas de la page la chronique « Le mot du jour Antidote » :




Rapt, synonyme kidnappage. Ce mot m’étonne, je vérifie dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) qui offre quatre fiches dont aucune n’a été produite par ses propres terminologues :




Une consultation du catalogue en ligne CUBIQ m’indique que le GDT a tout simplement copié l’ouvrage d’Edgar Le Docte, Dictionnaire des termes juridiques en quatre langues, Viertalig juridisch woordenboek, Legal dictionary in four languages, Rechtswörterbuch in vier sprachen. Au moins, pour une fois, le GDT indique sa source.


Il faut conclure que le GDT ne se prononce pas sur l’acceptabilité de kidnapping ou de kidnappage, les deux mots étant absents de sa nomenclature.


Une chose entraînant une autre, je me demande si le GDT a une fiche kneecapping, pratique assez courante dans l’Italie des Brigades rouges (années 1970 et 1980) consistant à tirer des coups de feu dans les jambes des victimes (gambizzazione). Il n’y a pas de fiche « kneecapping » mais, dans la fiche « kneecap », j’apprends qu’il faut désormais dire patella tant en français qu’en anglais pour désigner la rotule, mot jugé aujourd’hui imprécis, et je trouve cette note dérangeante pour le latiniste qui sommeille en moi : « Le terme patella provient des classifications de la Nomina Anatomica et de la Parisiensia Nomina Anatomica. » Nomina est le pluriel de nomen ; il fallait donc écrire : les Nomina Anatomica ou, pour contourner le problème, la classification Nomina Anatomica. L’erreur est choquante parce que la fiche « patella » est l’une des rares du GDT à avoir une section latine. On y précise même que le pluriel latin de patella est patellae. Mais on a fait l’erreur grammaticale de prendre le mot nomina pour un féminin singulier alors qu’il s’agit d’un neutre pluriel.



En terminant, je note que la fiche précise quel est le pluriel du mot patella en anglais (patellae) et en latin (patellae) mais qu’elle est muette sur le pluriel français. Il aurait été pertinent de rappeler ici la position de l’Office sur le pluriel des noms empruntés.

dimanche 3 avril 2016

L’influence d’un blog /4



Burkini et rashguard, deux mots attestés en français québécois depuis au moins cinq ans et demi et qui sont toujours absents du Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF). L’Office effectue-t-il encore une veille néologique ?
– « Néologie en veilleuse », Linguistiquement correct, 14 février 2014


Plus tard en 2014, l’Office a fini par produire une fiche « burkini » :

Maillot de bain créé pour les femmes musulmanes, composé d'un ensemble tunique-pantalon et d'une cagoule ajustée ne laissant que le visage découvert.


Mais il n’y a toujours pas de fiche « rashguard », que le site Your Dictionary définit ainsi: « A tight-fitting stretchable shirt worn especially by surfers to protect the upper body from abrasion, as from rubbing against a surfboard. »