Entendu sur la première
chaîne de la radio publique canadienne (Ici Première) le 16 décembre 2025
à 10 h 31 : « je ne veux pas être rabat-joise ».
L’ex-ministre Line Beauchamp nous avait déjà servi le féminin pantoite.
Entendu sur la première
chaîne de la radio publique canadienne (Ici Première) le 16 décembre 2025
à 10 h 31 : « je ne veux pas être rabat-joise ».
L’ex-ministre Line Beauchamp nous avait déjà servi le féminin pantoite.
Il y
a quelques mois j’ai lu La lumière du bonheur d’Éric Emmanuel Schmitt,
le quatrième tome de La traversée des temps, saga racontant l’histoire
de l’humanité. Noam, né au néolithique, poursuit son odyssée à travers le
temps. Il se retrouve à Lesbos vers 600 av. J.-C., où il tombe amoureux de
Sappho. Puis il passe quelques décennies caché au sommet du Parnasse et, par un
exploit aux jeux d’Olympie, il devient citoyen d’Athènes et prend le nom
d’Argos. Il épouse Daphné, sœur de Xanthippe. Or, qui est Xanthippe ?
C’est la femme de Socrate. Et voilà Noam-Argos frayant avec tout ce qui compte
dans l’Athènes de cette époque : Socrate bien sûr, le grand stratège
Périclès, son hétaïre Aspasie et son neveu le bel Alcibiade, le stratège
Nicias, etc. Et il est témoin d’événements historiquement et littérairement
marquants : la guerre du Péloponnèse, le scandale de la mutilation des
Hermès, la préparation de l’expédition de Sicile, le banquet donné par Agathon
auquel participe Socrate et que vient troubler un Alcibiade ivre.
Tous
ces éléments constituent la trame de la méthode d’initiation au grec ancien Ikaros
du père Raymond Tremblay, publiée à compter de 1962. Après avoir résumé
l’histoire de la Grèce des origines jusqu’à 432 av. J.-C., le
rédemptoriste (qui lisait son bréviaire en grec ai-je appris) raconte la vie
romancée d’Ikaros, fils d’Alcibiade. En fait, le personnage principal est
plutôt Alcibiade. Les textes grecs sont des adaptations d’Hérodote et de
Thucydide ou bien du P. Tremblay lui-même. Dans le seul compte rendu de
l’ouvrage que j’ai trouvé, l’helléniste Gilles Maloney croit que « l'auteur
semble avoir été influencé par Thucydide sur le plan stylistique, l'obscurité
de l'historien mise à part ». Un de mes professeurs disait, sourire en
coin, que c’était du grec de Sainte-Anne-de-Beaupré…
En
lisant Éric Emmanuel Schmitt, j’ai retrouvé l’affaire des Hermès que j’avais
découverte en Syntaxe (= deuxième secondaire) :
Le P. Tremblay
s’est gardé de donner des détails sur le scandale religieux de la mutilation des
statues d’Hermès (mutilation à la face avant, περιεκόπησαν τὰ
πρόσωπα, nous dit Thucydide).
Dans
Ikaros on trouve aussi un portrait de Socrate par Alcibiade qui est une adaptation d’un
passage du Banquet de Platon :
Le
même épisode chez Éric Emmanuel Schmitt est évidemment plus élaboré (à partir
de la page 290 : « Ce soir-là, j’accompagnai Socrate chez le poète
Agathon…») et contient des éléments que les anciennes règles de la pudeur exigeaient
de relater en latin. Aujourd’hui, on réussit à suggérer le tout en recourant au
pronom iel.
A posteriori
je me rends compte qu’il fallait au P. Tremblay une certaine audace pour
faire d’Alcibiade le personnage central de sa méthode de grec.
M’étant fait traiter de grammairien puriste et grincheux dans un blog anonyme, j’ai voulu obtenir un résumé de ce que l’on disait de moi sur Internet. J’ai donc eu recours aux services de ChatGPT en posant la question toute simple : suis-je un puriste ? Voici la réponse :
Jacques Maurais est souvent
associé à des réflexions sur la langue française au Québec, mais il est plus
connu pour son approche descriptive que pour un purisme strict. Il s'intéresse
à l'évolution de la langue et à la manière dont elle est utilisée dans la
société québécoise, ce qui peut le distinguer des linguistes plus puristes qui
cherchent à préserver une norme linguistique. Si tu souhaites approfondir cette
question, je te recommande de consulter ses travaux ou des analyses sur son
approche linguistique.
LA PLACE DE L'ENSEIGNEMENT DE LA
TERMINOLOGIE
DANS L'AMÉNAGEMENT LINGUISTIQUE DU
QUÉBEC
Table ronde sur l'enseignement de la
terminologie, université Laval, 12 août 1986
Le texte qui suit a déjà été publié dans une
publication au tirage que l'on pourrait presque qualifier de confidentiel
(Girsterm, Travaux
de terminologie no 5, janvier 1987). C'est pourquoi il
n'a pas semblé inutile de le reproduire ici.
On m'a demandé de donner mon opinion sur l'enseignement de la
terminologie au Québec dans le cadre de la section qui a été intitulée « Le
point de vue de l'observateur et du traducteur ». Je présenterai donc les
commentaires d'un observateur qui, après avoir été terminologue à l'Office de
la langue française de 1973 à 1980, ne l'est plus depuis bientôt six ans et qui
n'a eu qu'une expérience passagère de l'enseignement de cette discipline,
n'ayant donné un enseignement de la terminologie qu'un trimestre à l'Université
du Québec à Trois-Rivières. Aussi bien, comme je n'ai pas d'expérience récente
d'enseignement de cette matière, mes commentaires seront à prendre davantage
comme des souhaits que comme des critiques.
Pour formuler mes commentaires, je pars du principe que
l'enseignement de la terminologie ne peut pas faire abstraction du contexte
social dans lequel le futur terminologue devra s'inscrire. Quel est ce
contexte? La meilleure façon de le décrire, c'est encore de rappeler dans
quelles circonstances la terminologie est apparue au Québec. Elle a d'abord
surgi, spontanément pourrait-on dire, chez les traducteurs; puis, à la fin des
années 60 et au cours des années 70, c'est-à-dire au moment où les politiques
linguistiques canadiennes et québécoises se sont progressivement définies, il y
a eu parallèlement systématisation de l'activité terminologique et, vers le
milieu des années 70, est apparue de plus en plus évidente à certains
praticiens du milieu la nécessité d'enseigner la terminologie au niveau
universitaire, au point que plusieurs terminologues de l'Office de la langue
française, en plus de leurs activités professionnelles régulières, se sont
engagés dans cette activité. L'activité terminologique, non seulement au Québec
même mais aussi dans les organismes relevant du gouvernement fédéral, s'est
donc définie dans le cadre de l'application d'une législation linguistique.
C'est là la première caractéristique que je retiens : la terminologie,
dans mon optique, est une discipline ancillaire qui concourt à la réalisation
du projet d'aménagement linguistique que s'est donné le Québec et qui est
indispensable à l'application des politiques de bilinguisme du gouvernement
fédéral.
De ce qui précède découle la constatation que la terminologie
est apparue chez nous dans un contexte de bilinguisme. Même s'il est
théoriquement possible d'envisager l'existence d'activités terminologiques
unilingues au Québec, en pratique la terminologie qui se pratique ici est
d'abord comparative. D'où, pour les futurs terminologues, la nécessité d'une
bonne connaissance de la langue seconde. Cela peut paraître une évidence et je
n'estimerais même pas qu'il vaille la peine d'en parler si l'expérience ne
m'avait pas convaincu que ce point pouvait constituer une déficience. C'est une
lacune que j'ai eu aussi l'occasion de constater lorsque j'ai enseigné la
terminologie. Souligner l'importance de la langue seconde, c'est rappeler une
question qui a été assez longuement débattue en 1977 lors de la table ronde sur
l'enseignement de la terminologie, organisée dans le cadre du 6e colloque
international de terminologie de l'Office de la langue française : Peut-on
être terminologue sans être traducteur?
La terminologie, au Québec, est aussi liée à une entreprise
de modernisation lexicale : encore là, il s'agit d'une évidence car, dans
la plupart des situations, la terminologie sert à enrichir le lexique des
domaines de spécialité. Mais cette modernisation lexicale revêt au Québec deux
aspects distincts l'un de l'autre. Il y a d'abord ce que l'on pourrait appeler
le rattrapage lexical, c'est-à-dire l'appropriation par les Québécois de
terminologies françaises déjà existantes mais inconnues ici parce que
l'industrialisation s'est faite principalement en anglais. Le second aspect,
c'est la modernisation lexicale proprement dite – dans ce cas, lorsqu'il
s'agira de vocabulaires de spécialités, on parlera plutôt de néonymie ;
c'est une activité qui se définit par rapport à la traduction. Comme le dit
Claude Hagège dans son article « Voies et destins de l'action humaine sur
les langues » : « ... à la base de la modernisation du lexique
se trouve une préoccupation capitale, celle de la traduction ». Hagège
poursuit en faisant remarquer que la modernisation du lexique, dans presque
toutes les langues, se fait de nos jours principalement par rapport à
l'anglais. Car c'est l'anglais, pour des raisons économiques et politiques
propres au monde contemporain, qui exprime le premier un grand nombre
d'activités humaines dans des domaines nouveaux. Et la façon dont l'on procède
à l'enrichissement du vocabulaire (emprunts directs et calques ou recours aux
moyens internes de la langue : dérivation, composition, création) dépend
de l'attitude que l'on adopte face à l'anglais. Comme on le voit, ces
réflexions ajoutent à la nécessité pour les futurs terminologues d'acquérir de
solides connaissances de la langue anglaise.
Mais on peut penser que cette solide connaissance de la
langue seconde devra s'accompagner de quelques notions générales sur le
bilinguisme et sur le phénomène des langues en contact. Depuis la publication
en 1953 de l'ouvrage d'Uriel Weinreich, Languages in Contact, beaucoup
d'effort ont été consacrés à une question qui devrait normalement retenir
l'attention des terminologues. En tout cas, il me semble que des thèmes comme
le bilinguisme et les langues en contact sont d'autant plus pertinents que le
futur terminologue doit s'insérer, au Québec, dans un projet d'aménagement
linguistique qui définit, par voie législative, les rapports du français et de
l'anglais sur le territoire québécois.
La façon dont l'aménagement linguistique – plus
particulièrement l'aménagement du corpus, c'est-à-dire l'aménagement de la
langue elle-même – se pratique au Québec pourra avantageusement être mise
en parallèle avec ce qui se fait ailleurs dans le monde. La comparaison est
maintenant facilitée par la publication ces dernières années de l'ouvrage
monumental (en trois volumes) de Fodor et Hagège intitulé La réforme des
langues. Cet ouvrage, qui décrit de nombreuses réformes lexicales, aidera à
faire prendre conscience des facteurs qui déterminent le succès de ces
entreprises de modernisation linguistique ; après tout, le terminologue
veut bien que son travail serve à quelque chose, c'est-à-dire que ses
propositions terminologiques se traduisent dans l'usage: c'est ce que nous
appelons l'implantation. Au Québec, on en est venu à penser, pour des raisons
philosophiques, que l'intervention sur la langue devait se limiter aux
vocabulaires de spécialité ; l'expérience québécoise – réactions
négatives à certaines décisions terminologiques – semble aussi indiquer
qu'il est préférable de ne pas intervenir sur la langue générale. Pourtant,
dans l'ouvrage de Fodor et Hagège, on trouvera de nombreux exemples où l'on est
intervenu sur la langue générale, avec succès semble-t-il : je pense à des
cas comme le finnois (article de Sauvageot) ou l'estonien (article de Tauli).
Qui plus est, dans ces deux cas, les réformateurs n'ont pas touché qu'au
lexique, mais aussi à certaines catégories morphologiques et même à la syntaxe.
Il me semble que l'étude de ces expériences d'aménagement linguistique est
susceptible, sinon de modifier la pratique terminologique québécoise, du moins
la conception que l'on se fait de cette activité et de ses possibilités.
Mais ce qui pourra avoir le plus d'impact sur la terminologie
québécoise, ce sont les études en cours sur les aspects sociolinguistiques de
l'implantation terminologique. Ces travaux sur le changement terminologique ont
été principalement l'œuvre jusqu'à présent de Denise Daoust, de l'Office de la
langue française, qui a diffusé ses résultats préliminaires dans un article
intitulé Le changement terminologique planifié : un cas particulier
de changement linguistique » (Revue québécoise de linguistique 15/2
[1985]) et dans une communication présentée à l'université de Georgetown (« Planned
Change and Lexical Variation »). Pour moi, et c'est ce que j'ai essayé de
démontrer jusqu'à présent dans mon exposé, la terminologie, au Québec, ne doit
pas être une discipline désincarnée, elle doit s'inscrire dans un projet
d'aménagement linguistique et, pour ce faire, elle doit avoir de bonnes bases
sociolinguistiques. En pratique, cela veut dire que les terminologues devront
être au courant des facteurs qui conditionnent l'implantation terminologique.
D'ores et déjà, un certain nombre de ces facteurs ont été identifiés. Parmi les
facteurs psychosociaux, on a déjà mis en relief l'importance de la motivation
personnelle de certains individus pour la mise en train du processus de
changement ; on a aussi souligné la part réservée à l'attitude de la haute
direction de l'entreprise pour enclencher le changement. D'autre part, on sait
déjà depuis 1978, grâce à une enquête de Monica Heller, qu'il existe un
important facteur de résistance au changement terminologique chez les
francophones eux-mêmes : en effet, on a pu démontrer qu'il est plus facile
de remplacer un terme anglais par un terme français proposé officiellement par
l'Office de la langue française que de remplacer un terme québécois (ou perçu
comme tel) par un terme du français européen. En troisième lieu, l'étude commandée
à Sorecom en 1981 par l'Office de la langue française a permis de mettre en
évidence le rôle de certains facteurs organisationnels dans l'utilisation et la
diffusion des termes techniques français dans l'entreprise : statut
(multinational, national ou régional) de l'entreprise, niveau de la technologie
utilisée, provenance de cette technologie et clientèle visée. En quatrième
lieu, les études sur le changement terminologique ont montré l'importance de
certaines variables sociodémographiques, les mêmes qui agissent sur le
changement linguistique naturel : l'âge, le sexe, le niveau de scolarité ;
mais, en plus, elles ont souligné le rôle du poste occupé dans la structure
hiérarchique de l'entreprise. Enfin, il ressort de toutes les recherches que la
structure de communication de l'entreprise influence le processus de changement
terminologique : il s'agit, d'une part, des canaux de communication
(utilisation de l'écrit ou de l'oral au travail) et, d'autre part, des réseaux
de communication (statut hiérarchique du destinataire ou de l'interlocuteur).
Les recherches de Denise Daoust montrent l'importance pour la
francisation des entreprises de ce qu'elle a appelé les agents de changement
linguistique. Ces agents de changement linguistique peuvent être, par exemple,
des représentants de la haute direction qui donnent l'impulsion première au
programme de francisation et le soutiennent par la suite ou bien ce peuvent
être des employés qui jouissent de prestige auprès de leurs collègues. Selon
Denise Daoust, tout « semble indiquer que les bases du changement
terminologique, comme celles du changement linguistique naturel, prennent
racine chez des individus qui adoptent des innovations linguistiques ». De
par leur formation et de par les exigences de leur travail, les terminologues
sont appelés à faire partie de ces agents de changement linguistique. Il me
semble que la jonction des terminologues avec les agents de changement
linguistique que l'on a commencé à identifier dans les entreprises pourra se
faire avec succès si l'on parvient à éviter deux écueils : le premier
écueil serait de faire de la terminologie une activité très intellectuelle,
désincarnée, proche dans ce cas de la taxonomie (entendue au sens de science de
la classification, et non pas seulement au sens de classification des formes
vivantes) et de la réflexion philosophique ; une telle activité est
sûrement nécessaire et utile en soi mais je vois mal comment elle peut
s'intégrer de façon efficace dans le processus de francisation des entreprises.
Le second écueil, c'est le purisme : à quoi cela sert-il de faire de
belles terminologies bien françaises si elles ne passent pas dans l'usage, si
les usagers les rejettent? À cet égard, il vaut la peine de rappeler une
constatation faite depuis longtemps : la participation des usagers à
l'élaboration des terminologies est une des conditions de la réussite de
l'implantation (à ce sujet, cf. la communication de J.-Cl. Corbeil au 4e colloque
STQ-OLF [1982], spéc. p. 180). Pour assurer la participation des usagers,
il faudra sans doute faire, à l'occasion, des accrocs à nos séries de termes
bien formés et bien français. Et, dans ce contexte, il y aurait lieu de faire
intervenir les notions de norme et de normalisation, mais il s'agit là de
notions qui semblent bien couvertes dans les actuels programmes de formation
des terminologues.
Pour me résumer, j'ai essayé, dans cette communication, de
plaider pour un rôle actif du terminologue en matière de francisation, pour qui
il soit un agent de changement linguistique et non pas seulement quelqu'un qui
établit des listes de termes. Pour ce faire, il me semble essentiel qu'il ait
des notions de base en sociolinguistique. Le rôle du terminologue dans la
francisation des entreprises risque d'être capital ; pour l'instant, nous
ne disposons que de rares études sur le degré de succès de la francisation des
entreprises québécoises : elles semblent bien indiquer quelques progrès,
mais la méthodologie qui a été utilisée jusqu'ici – sondages téléphoniques –
n'est peut-être pas la meilleure façon d'avoir un aperçu de la réalité des
choses. Quoi qu'il en soit, il n'est pas complètement exclu que ce qu'on a
appelé opération de francisation n'ait été, dans bien des entreprises, qu'une
francisation sur papier, qu'un habile maquillage. Si cela était vrai, cela
voudrait dire que, dans ces entreprises, à peu près tout resterait à faire. On
comprendra dès lors le rôle essentiel que peut être appelé à jouer le
terminologue dans une telle situation : à condition, bien sûr, de ne pas
faire que de la terminologie mais de devenir un agent de changement, un
animateur sociolinguistique. Et cette animation suppose collaboration avec les
usagers et même participation de ceux-ci au processus de décision terminologique.
Pour rester dans le même ordre d'idée, je terminerai en citant une remarque que
Jean-Claude Corbeil formulait en 1982 au 4e colloque OLF-STQ ;
même si elle pourra paraître à certains un peu « dure à avaler », il
me semble qu'elle contient encore une part de vérité : « Il ne faut
pas exagérer un certain professionnalisme de la terminologie. La terminologie
est d'abord et avant tout l'affaire et la responsabilité des différents groupes
de spécialistes. Le terminologue, avec ses méthodes de travail et ses
connaissances, n'est qu'une aide technique dans une relation de
multidisciplinarité » (p. 183).
Devançant de peu le beaujolais nouveau, la 9e édition du Dictionnaire de l'Académie française, dont la publication a commencé dans les années 1980, est parue ce mois-ci. L'association du « Tract des linguistes » a immédiatement réagi en publiant une tribune dans Libération. La réaction, fort critique évidemment, a pu paraître hâtive même si une grande partie du dictionnaire était accessible en ligne depuis plusieurs années. Les linguistes atterré·e·s reconnaissent eux·elles (euzelles?)-mêmes que leur réaction a pu être précipitée puisqu’il·elle·s viennent de corriger leur tribune (texte de la tribune mis à jour le 22 novembre) à la suite d’un communiqué de la Ligue des droits de l'Homme France. La Ligue demande à l’Académie de rectifier « d’urgence » son dictionnaire en insérant un erratum.
Selon
la Ligue, le dictionnaire contient des mots ou des définitions offensants comme
Jaune, négrillon ou négroïde. On se doit de constater que
l’académicien Dany Laferrière est véritablement une force de la nature puisqu’il
a su résister à ces microagressions.
Je ne
peux m’empêcher de noter en terminant que la Ligue des droits de l’Homme n’a
pas cru bon de modifier son nom pour s’accorder avec ses propres principes de
bien-pensance.
Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) met en vedette ce mois-ci le terme voile d’ombrage (syn. toile d’ombrage), « toile amovible que l'on tend au moyen de fixations au-dessus d'un espace extérieur dans le but de créer une zone d'ombre. » Les rédacteurs du GDT ont oublié qu’il existait déjà un terme en français pour désigner cet objet ou plutôt ce « concept », comme ils disent : velum, « grande pièce d'étoffe servant à tamiser la lumière ou à couvrir un espace sans toiture » (Trésor de la langue française informatisé). Le terme figure dans la 8e édition (1935) du dictionnaire de l’Académie et il a été enregistré au siècle précédent par Littré : « mot latin (velum, voile) qu'on emploie quelquefois aujourd'hui pour désigner une tente dont on couvre un amphithéâtre, une allée, un espace, en quelque cérémonie. » Qu’on ne vienne pas dire qu’il s’agit d’un mot savant : il n’est pas plus savant que les mots d’origine latine album ou aréna. Sûrement moins que le fameux momentoumme qui, lui, fait (pseudo)savant : « déconseillé » par la Banque de dépannage de l’OQLF, il faut bien admettre que momentum fait bien partie du français standard en usage au Québec (sauf si cette notion n’a aucun sens) puisqu’il est utilisé sur les ondes publiques par les politiciens, économistes, journalistes, etc.
J’avoue que j’ai un faible
pour les romans qui se déroulent dans le milieu universitaire : ceux de
lord C.P. Snow (en particulier The Masters), la parodie Porterhouse
Blue de Tom Sharpe, Small World de David Loge, la charge de Biz
(Sébastien Fréchette) sur l’« Université de Montréal au Québec » (L’horizon
des événements, Leméac, 2021, cliquer ici pour lire mon billet sur ce
roman). Je m’en voudrais de ne pas
ajouter à cette liste un livre paru il y a quelques années, Les carnets
jaunes de Valérien Francœur, qui a crevé quelques enflés d’A.C. Drainville
(Montréal, Éditions de l’Effet pourpre, 2002) dont le thème est le « bourbier
infernal qu’est le Département de science politique de l’Université Laval »
(page de remerciements) (voir le compte rendu de Mathieu Arsenault dans Spirale
228, septembre-octobre 2009).
Dans ce genre vient de
paraître L’Irréparable de Pierre Simon (Héliotrope, 2024) où on croit
comprendre que l’auteur fait référence à l’UQÀM. Je ne m’attarderai pas à l’intrigue,
que j’ai déjà oubliée. Mais l’auteur a du style et il sait écrire. Que demander
de plus ?
Pierre Simon a des
expressions heureuses, par exemple ce jugement sur le texte d’un étudiant :
« … les prépositions … prélevées de l’anglais et greffées sans honte
aucune au français (p. 20) », le portrait d’une étudiante en « sauterelle
multipercée » (p. 26) ou encore « cette boucherie très trendy
du boulevard Saint-Laurent où certains employés refusent de répondre en français
à la clientèle, aussi bilingues, voire trilingues soient-ils »
(p. 21).
Il y a beaucoup de remarques
linguistiques, ainsi sur le « vocabulaire hallucinant rencontré dans les
couloirs de l’université ou sur les ondes de la radio nationale, sinon lu sur
internet. [Le héros] y accole les équivalents du siècle passé : trouple [un ménage
à trois]; polysaturé [épuisement des gonades], fluide [aux deux]; licorne
[cinquième roue]; métamour [rival]; aromantique [un sociopathe]; pansexuel [à
tout et à son contraire]; polyamoureux [slut], et le reste »
(pp. 25-26).
Pierre Simon porte des
jugements sévères : « cette attitude typiquement québécoise de se
ranger derrière les perdants de la realpolitik ». Son héros ne va plus au
théâtre ou au concert, « incapable d’encaisser ce qu’il considère comme
des bobards sur l’occupation d’un territoire supposément non cédé »
(p. 35). Il « bute sur cette difficulté, nouvelle depuis peu, de devoir
lire [d]es embryons d’essais en langue inclusive.» Pourtant le romancier y
recourt à deux reprises dans la dernière page de son roman : passant·e·s
et croyant·e·s.
Même si l’auteur avoue ne
guère priser les anglicismes, il en laisse échapper quelques rares : « payer
une visite » (p. 201) (mais c’est dans une conversation), « filière »
(p. 238) au sens de « classeur » ou de « fichier
informatique », « un taxi régulier » (p. 243) ou encore « biscuit
soda » (p. 252) que le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office
québécois de la langue française (OQLF) continue de « déconseiller » dans
une fiche non revue depuis 1985 et qui a par conséquent échappé au révisionnisme
stakhanoviste des néoterminologues qui ne l’ont pas encore intégré dans leur « norme
sociolinguistique du français au Québec» (Usito note que le terme est « parfois
critiqué »).
Il arrive au romancier, au
moins à deux reprises, d’utiliser la forme québécoise de formuler une
supposition : « Avoir le choix… » (p. 229) (dans une
conversation). Il faut dire que cette forme, particulièrement caractéristique
du français québécois et tout à fait standard chez les Québécois de souche, n’a
pas été enregistrée à ce jour par le dictionnaire Usito qui prétend « décrire
le français standard en usage au Québec »