jeudi 2 février 2012

The Thick Red Line


Les «lignes de presse» existent. Le Soleil a obtenu celles envoyées hier matin à tous les élus libéraux par le cabinet de la whip en chef du gouvernement de Jean Charest.
Il s'agit d'un document devant permettre aux députés et aux ministres de répondre aux questions des journalistes.
– Le Soleil, 2 février 2012 (site Internet)


Lundi soir, à la télévision, Jean-François Kahn écoutait, hilare, Nadine Morano puis lançait, en brandissant une feuille, qu’elle venait de débiter les éléments de langage élaborés par l’UMP. Cette feuille, distribuée aux responsables du parti majoritaire dès le 5 octobre, constituait un argumentaire en trois points :
« -Une consultation privée, aussi grande soit-elle, ne fait pas une élection. C’est en 2012 que l’élection présidentielle aura lieu, pas en octobre 2011.
-La primaire PS montre bien la difficulté du PS à désigner un candidat. Faire arbitrer les querelles d’ego par les électeurs, cela montre bien le désarroi de cet ancien grand parti devenu parti de chapelles, de clans.
-Le choix d’un candidat ne résout pas le problème du programme, inapplicable parce que déconnecté des réalités économiques de notre pays. Il faudra un président protecteur et volontaire sur le plan international comme l’est Nicolas Sarkozy plutôt qu’un président de conseil général, ou maire d’une grande ville. »
Munis de leur feuille, les ténors de l’UMP se sont donc répandus sur les media.
– Site de Louis-Jean Calvet, 12 octobre 2011


Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française nous apprend que ligne de presse est un terme à éviter. Fort bien. Et qu’« il entre inutilement en concurrence avec déclaration de presse[1] ». On voit tout de suite que l’affirmation est fausse car on ne peut guère remplacer lignes de presse par déclarations de presse dans la citation du Soleil qui introduit ce billet.


En plus, même l’équivalent anglais que donne le GDT est discutable. En anglais, on dit plutôt « line to take », « a media line to take »:



In policy terms he was nowhere near as inventive as either Mr Brown or Mr Blair. But his conviction as a Labour Party revisionist, his expertise in devising a media "line to take" on any particular issue, his ability to compress it into a soundbite that would lodge in the public mind, and his knowledge of which journalists would be most receptive to which message, were all invaluable assets to his more senior colleagues.
The Independent, « The Mandelson Affair: The Rise To Influence – A political triangle that fell apart », 24 décembre 1998


L'équivalent français de « line to take » est éléments de langage, que le dictionnaire en ligne Reverso définit ainsi : « mots-clés d'un discours, notamment politique, qu'il faut citer pour illustrer un propos. »


Le site toupie.org donne une meilleure définition :


En politique ou en communication, l'expression "éléments de langage" désigne un argumentaire sur un sujet donné, préparé à l'avance, et répété par les membres d'un groupe politique ou les chargés de communication. Ils permettent de s'assurer de la cohérence des discours en invitant les différents intervenants dans les médias à utiliser des éléments d'analyse, des idées, à citer des mots-clés ou à placer des "petites phrases" pour illustrer leurs propos.
Synonymes : réponses toutes faites, questions-réponses, prêt-à-penser, fiches.
http://www.toupie.org/Dictionnaire/Elements_langage.htm


On peut toutefois se demander si les éléments de langage constituent vraiment un argumentaire. Car il n’y a pas vraiment d’argumentation, seulement des messages à transmettre, une opinion publique à manipuler :


Les éléments de langage sont une base de la communication opérationnelle. L’objectif est de faire assimiler à un journaliste des mots et des phrases qui doivent permettre à la Défense de transmettre au public ses doctrines et ses positions. C’est pour s’assurer de cela et pour protéger les militaires (identités, renseignement…) que des officiers spécialisés accompagnent systématiquement les reporters sur le terrain.
Site Actudéfense (L’information des forces armées françaises et étrangères, article « Paris Match, destructeur d’éléments de langage », 17 juin 2010)


*   *   *


Le Bulletin de terminologie 252 du Bureau de la traduction (Ottawa) traduit « media line » par infocapsule : « Bref énoncé ou paragraphe préparé à l'intention des porte-parole de l'organisation pour les aider à répondre aux questions des médias ». Avec la note : « Les infocapsules reflètent ou contiennent les messages clés approuvés par l'organisation ».


L’expression éléments de langage rend mieux compte de la nature profonde du procédé, la manipulation de l’opinion.



[1] Définie ainsi : « Déclaration brève faite aux journalistes, qui exprime la position officielle du gouvernement ou d'un organisme sur un sujet donné. »

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