lundi 8 octobre 2012

À la hauteur des attentes : première incursion dans le dictionnaire Franqus



Le supplément sur les dictionnaires du Devoir des 29-30 septembre nous apprenait que le dictionnaire Franqus était accessible gratuitement en ligne pour une période d’essai.


Au départ, je n’avais pas l’intention de publier des commentaires car, question de principe, je ne tiens guère à améliorer bénévolement avant sa parution un dictionnaire qui a déjà coûté plusieurs millions aux contribuables québécois (une bonne dizaine si mes calculs sont exacts, et cela exclut les prêts de service de la part de l’Office québécois de la langue française). Plus téméraire que l’auteur du blog Les Mystères du français[1] qui attend la publication officielle pour se prononcer, je cède à la tentation de mettre en ligne quelques commentaires sur cet ouvrage qu’on attendrait « depuis 1914 », à en croire une page que l’on pouvait lire sur le site de Franqus il y a encore peu de temps.


Remarque préliminaire : le titre officiel du Franqus est Dictionnaire de la langue française, avec comme sous-titre : Le français vu du Québec. Curieuse formulation. C’est comme si on disait : la Terre vue de Sirius. En d’autres termes, le français, corps étranger, tel qu’on le voit à partir du Québec. Et non ce que l’on attend de trouver dans ce dictionnaire : le français tel qu’il est en usage au Québec. L’avantage de la formulation de l’équipe Franqus, c’est qu’elle permet de faire l’impasse sur la question de l’existence d’une situation de diglossie au Québec – sujet trop vaste pour que je m’y aventure dans ce billet.


Le hasard a fait que l’un des premiers mots que j’ai cherchés dans le Franqus a été Fête-Dieu. Je donne la définition du Franqus et celle du Trésor de la langue française informatisé (TLFi) :



Franqus
Trésor de la langue française informatisé
Fête-Dieu
Fête catholique commémorant la présence de Jésus-Christ dans l’hostie consacrée, célébrée le deuxième dimanche suivant la Pentecôte.
Fête-Dieu, fête du Saint(-)Sacrement. Solennité instituée en l'honneur du sacrement de l'Eucharistie et fixée au jeudi qui suit l'octave de la Pentecôte.



Célébrée le deuxième dimanche suivant la Pentecôte ? Le Franqus ne suit pas le TLFi qui fixe la célébration de cette fête un jeudi.


Or, le mercredi 10 juin 2009, le cardinal Jean-Claude Turcotte (archevêque de Montréal) écrivait :

Demain soir, plusieurs centaines de personnes se réuniront à la Basilique Notre-Dame afin de célébrer la Fête-Dieu. Cette année encore, la célébration se déroulera en trois temps : messe à Notre-Dame à 19h30, procession eucharistique en direction de la Basilique Saint Patrick où la soirée se terminera par la bénédiction du Saint-Sacrement[2].


En 2009, la Fête-Dieu a donc été célébrée à Montréal le jeudi 11 juin. À Québec, la Fête-Dieu a été célébrée en 2010 le jeudi 3 juin[3].


Alors d’où vient l’affirmation du Franqus voulant que la Fête-Dieu soit célébrée le deuxième dimanche suivant la Pentecôte ? On trouve la réponse dans Wikipédia : « Les origines de la Fête du Corps et du sang du Christ, célébrée le jeudi après le dimanche de la Sainte-Trinité (en France, le dimanche suivant, en vertu d'un indult papal), remontent au XIIIe siècle. » Partout dans le monde, la Fête-Dieu se célèbre un jeudi, sauf en France. Pour ce mot, le Franqus est bien fidèle à son sous-titre, il présente le français (de France) à partir du Québec, il ne rend pas compte de la réalité québécoise.




Après cette découverte étonnante, j’ai poursuivi mon exploration du vocabulaire religieux dans le Franqus. Disons tout de suite que le Franqus n’a pas suivi l’exemple (fort critiqué) du Dictionnaire québécois d’aujourd’hui qui définissait en long et en large les sacres et en donnait de nombreux exemples. Au contraire, il les cache d’un voile pudique, se contentant à chaque fois d’indiquer tout simplement « Voir l’article thématique Les sacres en français québécois » (où on vous expliquera que le sacre est « une ressource privilégiée par les Québécois pour l’expression des émotions »).


Pour m’aider à dresser une liste de mots, j’ai consulté les sites Internet des diocèses de Québec, de Montréal et de Sainte-Anne-de-la-Pocatière.



Franqus
Trésor de la langue française informatisé
Diacre permanent
(absent)
(Diacre permanent est absent mais on trouve la définition suivante :)
Laïque qui exerce le diaconat à titre de fonction permanente. Nous entendons parler d'ordination de diacres. Ce sont des laïcs et qui le restent destinés au service des pauvres et qui secondent le clergé dans leurs fonctions sociales, liturgiques au besoin (É. Wehrlin ds Vie Lang., 1972, no 241, p. 226).
Diaconat permanent
(absent)
(Diaconat permanent est absent mais on trouve la définition suivante :)
B. [Le diaconat considéré comme un état] Fonction ministérielle permanente exercée dans l'Église catholique
(Projet) catéchétique
(absent)
Adj. Qui se rapporte à la catéchèse.
Catéchuménal
(absent)
(absent)
Réconciliation
Acte par lequel un pécheur se réconcilie avec Dieu, avec l’Église.
Le sacrement de la réconciliation : le sacrement de pénitence.
Acte par lequel un pécheur se réconcilie avec Dieu, avec l'Église
Sacrement de la réconciliation. Synon. de sacrement de pénitence
Célébration de la Parole
(absent)
(absent)
Liturgie de la Parole
(absent)
(quatre attestations, p.ex. s.v. Évangile : Texte proclamé (lu ou chanté) notamment à la messe au cours de la liturgie de la Parole)



Le Franqus donne la définition ancienne de diacre : « […] clerc qui a reçu l’ordre du diaconat à titre transitoire (avant la prêtrise) ». Le TLFi offre la définition issue du concile Vatican II : « fonction ministérielle permanente exercée dans l'Église catholique ». Sur ce point, le TLFi, dont la version papier fut publiée de 1971 à 1994, reflète davantage l’usage contemporain.


La liste fait voir que tous les mots cités, sauf un, sont absents du Franqus. Pourtant, liturgie de la parole et célébration de la Parole sont très fréquents au Québec, il suffit de lire les rubriques nécrologiques de nos journaux pour s’en convaincre. On voit en outre que, malgré ce que l’on a pu lire dans le supplément du Devoir du 29 septembre («Toutes les définitions sont de notre cru, nous n’avons rien emprunté aux autres dictionnaires»), la définition que le Franqus donne de réconciliation est exactement la même que celle du TLFi. Ce qu’illustrent aussi les exemples suivants :



Franqus
Trésor de la langue française informatisé
Confirmand
Personne qui va recevoir le sacrement de la confirmation.
Personne qui va recevoir le sacrement de la confirmation.
Nonce
Ecclésiastique ambassadeur du Saint-Siège auprès d'un gouvernement étranger.
Ecclésiastique ambassadeur du Saint-Siège auprès d'un gouvernement étranger.
Custode
Boîte à paroi de verre dans laquelle on enferme l'hostie pour l’exposer ou la transporter
Boîte à paroi de verre dans laquelle on enferme l'hostie



En ce qui concerne la définition du dernier mot, elle est en apparence plus complète dans le Franqus (mots ajoutés en rouge) mais les deux dictionnaires ne rendent pas compte du sens contemporain de « petite boîte ronde en métal précieux ou doré ou émaillé » (Wikipédia) (donc, pas de paroi de verre) utilisée pour porter la communion au domicile des malades.


Enfin un dernier exemple :



Franqus
Trésor de la langue française informatisé
Onction






1 Geste rituel de certains sacrements qui consiste à appliquer de l'huile sainte à une personne pour lui conférer un caractère sacré ou des grâces particulières.




2 LITTÉR. Douceur empreinte de piété dans les gestes et expressions.
I. Action d'oindre; résultat de cette action.
A.
Action d'enduire (une partie ou la totalité du corps d'une personne) d'une substance grasse. Appliquer un baume au moyen d'onctions.
B. Geste rituel entrant dans l'administration de certains sacrements, dans certaines cérémonies religieuses (de l'Antiquité, de l'Orient, de la liturgie catholique), et qui consiste à appliquer de l'huile sainte à une personne pour lui conférer un caractère sacré ou des grâces particulières.
II. Au fig.A. Caractère de douceur des gestes, de l'expression qui traduit la ferveur religieuse et porte à l'attendrissement, à la piété.
B. Péj. Douceur affectée, hypocrite.



Ce dernier exemple montre que les définitions du Franqus sont moins nombreuses (en termes techniques : on rend moins compte de la polysémie) et moins développées (j'ai indiqué en rouge les mots qui ont été retranchés de la définition du TLFi).


On peut conclure provisoirement de ce rapide survol d’une petite partie de la nomenclature du Franqus que le résultat est à la hauteur des attentes.



[1] Blog que j’ai découvert il y a peu et que je vous recommande.
[2] Source : http://www.diocesemontreal.org/publications/courriel-du-mercredi/lire/items/la-fete-dieu.212.html
[3] http://www.ecdq.tv/fr/videos/8e2cfdc275761edc592f73a076197c33

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