vendredi 10 janvier 2020

Auteure ou autrice / 2


Hier, l’animatrice de « Plus on est de fous, plus on lit » sur Radio-Canada Première, Marie-Louise Arseneault, a repris un segment d’une émission diffusée il y a quelques mois. On y discutait du féminin autrice qui, a-t-on dit, était de plus en plus utilisé depuis son approbation par l’Académie française en février 2019. N’ayant jamais entendu parler de cette officialisation, j’ai voulu vérifier dans le dictionnaire de l’Académie dont la 9e édition, toujours inachevée, est facilement accessible en ligne. Or, l’Académie y maintient sa position traditionnelle : auteur est un nom masculin, sans féminin. D’où peut bien venir alors la croyance que l’Académie a entériné la forme féminine autrice ? Apparemment d’une mauvaise lecture du rapport sur la féminisation que l’Académie a publié justement en février 2019 :

Un cas épineux est celui de la forme féminine du substantif « auteur ». Il existe ou il a existé des formes concurrentes, telles que « authoresse » ou « autoresse », « autrice » (assez faiblement usité) et plus souvent aujourd’hui « auteure ». On observera que l’on parle couramment de « créatrice » et de « réalisatrice » : or la notion d’« auteur » n’est pas moins abstraite que celle de « créateur » ou de « réalisateur ». « Autrice », dont la formation est plus satisfaisante, n’est pas complètement sorti de l’usage, et semble même connaître une certaine faveur, notamment dans le monde universitaire, assez rétif à adopter la forme « auteure ». Mais dans ce cas, le caractère tout à fait spécifique de la notion, qui enveloppe une grande part d’abstraction, peut justifier le maintien de la forme masculine, comme c’est le cas pour « poète » voire pour « médecin ». L’étude de ce cas illustre l’ancrage dans la langue des formes anciennes en « ‑trice », ce mode de féminisation ayant toujours la faveur de l’usage.


J’ai appris en écoutant l’émission de Marie-Louise Arseneault qu’un groupe de féministes s’opposait fermement à la forme autrice et qu’elles voulaient continuer de faire la promotion d’auteure, féminin qu’elles avaient réussi à imposer au Québec. Or, comme l’a montré Lionel Meney, auteure est en train de perdre du terrain face à autrice dont l’emploi a connu ce qu’il appelle une véritable explosion en 2019 tant au Québec qu’en France.


Il est pour le moins curieux que la simple rumeur d’une approbation par l’Académie française ait eu autant d’influence au Québec sur l’usage du féminin autrice. Cela n’est pas sans rappeler le sort réservé au mot sidatique, proposé dans les années 1980 par l’Office (pas encore québécois) de la langue française pour désigner une personne atteinte du virus du sida. Dès que l’Académie de médicine se fut prononcée en faveur de sidéen (en 1987, si je ne fais erreur), c’est ce mot qui s’imposa au Québec quasiment du jour au lendemain. Mais l’Office, qui ne s’avoue jamais vaincu, continue toujours de donner le synonyme sidatique dans son Grand Dictionnaire terminologique.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire